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Bilan de campagne

Points de vue féminin sur la campagne électorale provinciale 2012.

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Quelle place ont occupée les femmes dans la campagne électorale provinciale ? Points de vue divers à partir d’une lorgnette féminine.

Une première femme première ministre du Québec et un nombre record de députées, avec 33,6 % de femmes qui siégeront au Salon bleu à la prochaine rentrée parlementaire : voilà de quoi réjouir ceux et celles qui déplorent la faible présence des femmes en politique.

Malgré ces belles victoires, la campagne électorale ne s’est pas déroulée sans bémols. « Peu de place a été faite aux sujets qui préoccupent les femmes », estime Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), qui a organisé le seul débat sur la place des femmes dans les partis pendant la campagne, le à la Grande Bibliothèque. « Habituellement, dans les campagnes, on s’adresse à nous comme parents, comme travailleuses, mais jamais comme femmes. » Il aura fallu attendre la tenue de ce débat pour discuter d’enjeux proprement féminins comme la représentation des femmes en politique, la violence, la laïcité, etc.

Françoise David, cochef de Québec solidaire, ne s’est pas privée, elle, de parler de féminisme lors du débat des chefs du , diffusé sur les grands réseaux télé. « Je me souviens que mes collègues et moi avons été agréablement surprises de l’entendre dire haut et fort, dès l’ouverture du débat, que celui-ci présentait deux femmes et deux hommes. Et elle a parlé de féminisme tout naturellement. C’était fantastique! » lance Alexa Conradi. Il est vrai que, d’ordinaire, on cache ce mot tabou devant les caméras à heure de grande écoute. Mais voilà que les temps changent.

De la même manière, on a peu ou pas attaqué Pauline Marois sur sa féminité, constate Isabelle Miron, journaliste et blogueuse pour jesuisféministe.com. « Depuis une dizaine d’années, les choses ont évolué », observe celle qui est également chroniqueuse sur les ondes du 104,7 Outaouais, une station du groupe Cogeco. « C’est un signe positif que l’on n’ait rien dit sur son image, ses vêtements, ses cheveux. Tant mieux. Il était temps! » Cette jeune maman trouve cependant que les thèmes liés aux femmes ont peu attiré l’attention. « On aurait pu parler en profondeur du problème des CPE, par exemple. Aborder, entre autres, l’inefficacité du guichet unique! J’en ai fait l’expérience, comme bien des femmes que je connais. Mais le sujet n’a pas pris. »

C’est aussi l’avis de Marie-Claude Lortie, chroniqueuse à La Presse. « On a peu soulevé de sujets de femmes. Par contre, il s’est trouvé quelques voix discordantes sur la légitimité de Pauline Marois. » La chroniqueuse a elle-même publié un texte, « Les femmes, la politique et cette incroyable inertie », dans lequel elle dénonçait les propos de Serge Cardin (d’ailleurs élu, délogeant le premier ministre Jean Charest). Le candidat péquiste dans Sherbrooke avait affirmé que des gens n’étaient peut-être pas prêts à voir une femme première ministre. Il faut croire qu’il s’est trompé. Marie-Claude Lortie estime aussi que François Legault, chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), s’est « mis le pied dans la bouche » lorsqu’il a commenté le faible nombre de candidatures féminines dans son organisation. Dire qu’il était difficile de trouver des femmes parce que le parti choisissait avant tout la compétence, voilà qui était maladroit.

Le cas de la CAQ

Il y avait pourtant un enjeu pour l’électorat féminin dans les promesses de la CAQ : François Legault disait vouloir « faire le ménage » en coupant dans la fonction publique, Hydro-Québec et les commissions scolaires, des instances où les femmes sont très nombreuses. Mis à part Josée Boileau dans un éditorial du Devoir (« La méfiance des femmes », ), peu de journalistes, de féministes ou de leaders syndicales se sont publiquement inquiétés de ces déclarations.

La CAQ a tout de même cru bon de présenter, à quelques reprises, son chef entouré de femmes pour montrer que oui, il y avait des recrues féminines dans son équipe. Sa candidate et présidente de parti, Dominique Anglade, a rectifié le tir et expliqué qu’il était difficile pour un nouveau parti de recruter des femmes. Selon Brigitte Legault, directrice générale de la CAQ, les candidates étaient hautement qualifiées. « Le débat qui a eu lieu sur le manque de femmes dans notre formation ne nous a rien fait perdre, au contraire. Nous avons pu mettre de l’avant la qualité de nos candidates. Nous sommes nombreuses à occuper des postes importants, à commencer par Dominique Anglade et moi-même. Notre parti compte nombre de femmes inspirantes de très haut calibre. »

Très intéressée par le sujet, Brigitte Legault propose une explication à ces accusations : « Peut-être que la question du nombre de femmes a frappé parce que nous avions Pauline Marois en face de nous. Mais je crois que les électrices ne se sont pas tellement arrêtées à cela et sont passées à autre chose. »

Solidarité au féminin

Les candidates sont aussi passées à autre chose. Elles ne craignent pas de montrer leur fierté, leur ambition, leur solidarité. Françoise David n’a-t-elle pas exprimé son appui à Pauline Marois dès l’ouverture du débat des chefs? Elle a tout de suite souligné l’atteinte de la parité dans ce débat, une première dans l’histoire du Québec, et affirmé qu’elle se tenait possiblement à côté de la future première ministre. Peut-être même ce moment a-t-il grandement contribué à donner un certain élan à la campagne de Mme Marois. « En tout cas, ce ton cordial et poli qu’adoptaient mesdames Marois et David attirera peut-être plus de femmes en politique, estime Esther Lapointe, directrice générale du Groupe Femmes, Politique et Démocratie. Car il faut savoir que l’aspect du métier qui implique de s’invectiver dans les débats et de se crier des noms rebute totalement les femmes. »

L’aversion des femmes pour ce climat de dispute ne les a pas empêchées de faire des gains et d’occuper des postes de député en grand nombre, comparativement aux années précédentes. « Ce qu’il faut souligner, ajoute Esther Lapointe, c’est qu’en termes de candidatures, il y avait moins de femmes inscrites, mais elles ont été plus nombreuses, en proportion, à être élues. Ce que cela signifie, c’est qu’elles ont été placées dans des circonscriptions “prenables”, et ça fait toute la différence pour les femmes. »

Un attrait grandissant

Au final, la récente campagne estivale a été plutôt positive pour les femmes. Alors que des recherches, menées notamment par le Groupe Femmes, Politique et Démocratie, témoignent d’une hésitation de la part des femmes à entrer en politique, les choses sont peut-être en train de changer. Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), est de cet avis. Elle soutient même que les obstacles qui se présentent aux femmes politiques, une fois élues, ne décourageront pas les plus jeunes. « Par exemple, je ne pense pas que les difficultés de l’ex-ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, pendant le conflit étudiant décourageront les jeunes femmes de s’engager en politique. » Au contraire, assure-t-elle : dans les milieux étudiants québécois, 10 leaders sur 15 sont des filles. « En fait, les épreuves que traversent les femmes des générations plus âgées nous mettent en garde. Nous ne serons que mieux préparées. »

La jeune femme estime en effet que Line Beauchamp n’a pas été soutenue par ses collègues pendant le conflit étudiant. « Je ne sais pas à quoi ça tient exactement, mais elle n’a pas été protégée, comme l’a été par exemple Sam Hamad quand il a été mis sur la sellette après l’effondrement dans le tunnel de l’autoroute Ville-Marie. Il a changé de ministère aussitôt. » Difficile de spéculer sur les raisons qui ont poussé Mme Beauchamp à quitter le navire, alors qu’elle était prête à défendre l’idée d’un moratoire sur la hausse des droits de scolarité, affirme Martine Desjardins. Mais il demeure que ce qu’a vécu Line Beauchamp sous l’œil des caméras inspirait une certaine compassion.

Esther Lapointe ajoute une suggestion bien terre à terre, mais qui pourrait amener encore plus de femmes à se lancer en politique : « Pour faire le saut, les femmes ont besoin de “s’organiser”. Or, lancer une campagne en deux mois, qui plus est à la rentrée scolaire, ce n’est pas du tout une bonne idée! Des élections à date fixe contribueraient à favoriser l’implication des femmes en politique active. » Voilà un projet qui intéressera peut-être nos députées?