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40 ans de rebondissements

Pour la FQPN : informer, éduquer et maintenir les acquis, notamment en matière d’accès à l’avortement.

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Si les 40 dernières années ont été pleines de défis pour la Fédération du Québec pour le planning des naissances, la préservation des acquis risque d’être l’enjeu des prochaines années.

L’actualité ne cesse de nous le rappeler depuis quelques mois : les droits reproductifs des Canadiennes sont menacés. Dans un avenir rapproché, la légalité de l’avortement pourrait être remise en question, suivant un mouvement qui refait régulièrement surface à la Chambre des communes, dans les rangs des députés conservateurs de Stephen Harper. Encore récemment, le député Stephen Woodworth déposait une motion (M-312) qui sollicite la création d’un comité pour déterminer le statut du fœtus en vertu du Code criminel. Cette motion sera discutée sur la colline Parlementaire le . « On est en période de régression », déclare la nouvelle coordonnatrice générale de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), Sophie de Cordes, rencontrée dans ses bureaux du Vieux-Montréal. « On craint pour l’accès à l’avortement, mais aussi pour l’accès à la contraception. Ça ressemble à ce qui se passe aux États-Unis… »

Tenir bon

Quand la FQPN a vu le jour, en , le Québec baignait dans un tout autre contexte de bouleversements sociaux. Au Canada, l’avortement et la contraception avaient été décriminalisés trois ans plus tôt, avec l’adoption du projet de loi omnibus modifiant le droit pénal introduit par Pierre Elliott Trudeau, alors ministre de la Justice du Canada, puis défendu par John Turner, son successeur. L’avortement n’était toutefois autorisé que lorsque la grossesse mettait en danger la santé de la mère, et sur autorisation d’un comité thérapeutique formé d’au moins trois médecins. Après l’adoption du projet de loi, on a timidement commencé à permettre la vente de contraceptifs et la diffusion d’information sur la contraception. La FQPN avait alors comme mission de multiplier les points de services qui donneraient accès à la contraception et à l’avortement aux femmes qui le désiraient.

Les efforts de l’organisme ont porté leurs fruits lorsque, en , des services de planification familiale ont été établis dans les CLSC. Deux ans plus tard, le gouvernement du Québec mettait sur pied des cliniques offrant des services d’interruption volontaire de grossesse, couramment appelées les cliniques Lazure. Mais la lutte pour le droit à l’avortement n’était pas gagnée pour autant : l’accès aux services, répartis inégalement entre les régions, était difficile, et plus du tiers des avortements étaient pratiqués en clinique privée, moyennant des frais. Bien que le gouvernement du Québec ait ordonné l’interruption des poursuites contre le Dr Henry Morgentaler en , ce n’est qu’en que la Cour suprême a rendu un jugement en faveur du médecin, qui pratiquait des avortements illégalement depuis . Du coup, l’article 251 du Code criminel, qui régissait la pratique de l’avortement, a été aboli au motif qu’il était incompatible avec la Charte des droits et libertés de la personne. La Cour suprême était d’avis que, à cause de sa lourdeur, la procédure impliquant un comité thérapeutique violait le droit à la santé et à la sécurité des femmes enceintes.

S’il était désormais entièrement légal, l’avortement n’était pas toujours sans frais. Il était pratiqué gratuitement dans les centres hospitaliers, les CLSC et les centres de santé des femmes, mais pas en clinique privée. Il a fallu attendre , alors qu’un jugement de la Cour supérieure a obligé le gouvernement du Québec à rembourser les femmes qui s’étaient fait avorter en clinique privée, pour obtenir la gratuité partout.

Défis d’aujourd’hui

Depuis les 30 dernières années, la mission de la FQPN s’est diversifiée. L’organisme s’est entre autres engagé dans le dossier de l’éducation sexuelle. Cet enseignement a été retiré du Programme de formation de l’école québécoise par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport en ,dans le contexte de la réforme scolaire. L’éducation sexuelle relève maintenant de l’ensemble des enseignants. « Aussi bien dire qu’elle ne relève de personne », lance Sophie de Cordes. La FQPN souhaite que le cours d’éducation sexuelle soit rétabli, car elle estime qu’il aide à prévenir les infections transmises sexuellement et les grossesses non désirées en ouvrant le débat sur les dimensions affective et sexuelle de la vie amoureuse. Mme de Cordes regrette que l’approche actuelle des écoles concernant la sexualité se concentre sur des questions pratico-pratiques. Le contexte hypersexualisé a comme conséquences que « les filles vont confondre le fait d’être sexy et d’être belle, par exemple », tandis que les garçons vont se poser des questions sur « la taille acceptable » d’un pénis, et se demander s’ils devraient prendre du Viagra…

Dans les années est également apparu dans le paysage social québécois le dossier de la procréation assistée, auquel la FQPN a participé. Récemment, l’organisme s’est opposé au financement par l’État de ces interventions, jugeant qu’il y a des enjeux collectifs plus prioritaires. En gros, explique Mme de Cordes, la Fédération veut « faire valoir un regard critique sur les enjeux collectifs que soulèvent les technologies de la reproduction humaine par des tournées de sensibilisation et la participation à des consultations publiques ». La coordonnatrice générale s’interroge entre autres sur les éventuelles portées de ces technologies, dont certaines pourraient mener à choisir le sexe de l’enfant. Cette pratique est fréquemment utilisée en Inde et en Chine afin d’éliminer les fœtus féminins non désirés.

Parallèlement au lobbying politique, c’est sur le terrain que la FQPN devra travailler à maintenir ses acquis, notamment en matière d’accès à l’avortement. Dans un document sur les services d’accès à l’avortement au Québec (Le point sur les services d’avortement au Québec, ), l’organisme déplorait la multiplication de centres qui diffusent des renseignements erronés sur l’avortement derrière une bannière neutre. Selon l’Association canadienne pour la liberté de choix, qui a travaillé avec la FQPN dans ce dossier, il y aurait 27 centres « anti-choix »au Québec. Sous couvert de neutralité, ils diraient par exemple aux femmes enceintes que l’avortement peut causer le cancer du sein ou qu’il entraîne des effets post-abortifs importants, comme des pensées suicidaires ou l’abus de drogues et d’alcool. Ces centres seraient largement soutenus par un réseau religieux principalement évangéliste et protestant. Autrefois appelé la Christian Association of Pregnancy Support Services, ce réseau a masqué son appartenance religieuse en se renommant la Canadian Association of Pregnancy Support Services (CAPSS). Pour y adhérer, les organismes doivent affirmer leur foi en la sainteté de la vie du fœtus dès sa conception.

Au-delà de la prolifération et de la fausse neutralité de ces centres, la FQPN s’inquiète du fait qu’ils sont parfois recommandés par les services de santé publics comme Info-Santé ou les CLSC. Pour en savoir plus long sur le financement et le fonctionnement de ces centres et du réseau, la Fédération a entrepris une recherche en collaboration avec le Service aux collectivités et l’École de travail social de l’UQAM, intitulée Centres de soutien aux femmes enceintes : comment départager les « pro » des « anti » choix? Les résultats sont attendus en décembre prochain. L’un des buts visés est d’obtenir la création d’un label dont pourraient bénéficier les centres de santé pro-choix, qui donnent accès aux trois options qui s’offrent à la femme enceinte en crise : la poursuite de sa grossesse, le don de l’enfant en adoption ou l’avortement.

Il ne faut rien tenir pour acquis, dit-on… La FQPN en sait quelque chose.

L’approche de la FQPN

Le travail de la FQPN s’intègre dans une perspective de justice reproductive, c’est-à-dire une approche à l’écoute des multiples réalités des femmes par rapport à la sexualité, à la reproduction et à la maternité. Car elles subissent divers types de discrimination dans ces domaines : une femme vivant avec un handicap verra sa capacité d’être mère remise en question, une femme de couleur ou une jeune femme sera soupçonnée de manquer de rigueur dans l’utilisation de son contraceptif, la demande de soins ou d’information d’une lesbienne sera peu considérée, etc. La Fédération mène actuellement une démarche consultative auprès d’organismes à Montréal et en région afin d’établir les enjeux communs aux publics marginalisés et les bonnes pratiques en réponse à ces discriminations systémiques.

Notre corps, nos choix!

La FQPN a lancé une mobilisation pro-choix et mis sur pied un fonds de mobilisation et de sensibilisation en vue d’offrir une réponse rapide et efficace aux menaces qui pèsent sur le pouvoir de décider en matière d’avortement.