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Terres humaines

Mairesses ou dirigeantes de groupes autochtones, elles sont déterminées à ne faire aucun compromis sur la qualité de vie dans leurs communautés.

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Au nord du 49e parallèle, des mairesses et des dirigeantes de groupes autochtones sont déterminées à ne faire aucun compromis sur la qualité de vie dans leurs communautés. Au cœur de leurs batailles : l’humain.

Sur le territoire couvert par le Plan Nord, le pouvoir municipal se conjugue de plus en plus au féminin. Port-Cartier est dirigée par Laurence Méthot, Fermont par Lise Pelletier, Chibougamau par Manon Cyr, et Baie-Comeau par Christine Brisson.

Photographie de Mme Laurence Méthot.

« Avant le capitalisme, il y a l’humain. »

— Laurence Méthot, mairesse de Port-Cartier

Qu’est-ce que ça change? Tout et rien, répond Nathalie Normandeau, ministre responsable du Plan Nord jusqu’en septembre 2011. Les revendications restent les mêmes, « mais quand ces femmes avancent des solutions, on sent qu’elles sont vraiment tournées vers la communauté et que leurs propositions ont été validées sur le terrain. Elles sont à l’écoute et elles souhaitent bien traduire le consensus ». « Ma job est d’écouter ma communauté, pas de jouer au boss », lance d’entrée de jeu Laurence Méthot.

Ce qui frappe chez les trois mairesses plus directement touchées par le Plan Nord — mesdames Pelletier, Méthot et Cyr —, c’est qu’elles « se battent bec et ongles pour que le vaste projet amène des familles à s’installer dans leurs villes, et pas seulement des travailleurs de passage », note Charlotte Thibault, consultante en condition féminine et en analyse différenciée selon les sexes.

Toutes trois ont récemment fait adopter une politique familiale et une politique culturelle par leur conseil municipal. Leur discours est ponctué de préoccupations touchant la qualité de vie, le développement harmonieux de leur communauté, la conciliation travail-famille. « Comment veux-tu développer une industrie si tu ne gardes pas ton monde heureux? » s’interroge Laurence Méthot, la colorée mairesse de Port-Cartier, qui n’a pas de mine à sa porte, mais une usine de bouletage dont les employés habitent la municipalité avec leur famille. « Avant le capitalisme, il y a l’humain. »

L’aspect social à revaloriser

Lise Pelletier, elle, a sur les bras le développement accéléré et chaotique d’une ville prise de court par deux expansions minières majeures (le Mont-Wright et le lac Bloom) et marquée par l’arrivée massive de travailleurs masculins de passage. Fermont manque cruellement de ressources — financières, physiques et humaines. « Nous avions trouvé un promoteur pour bâtir une garderie privée, mais la gestionnaire qui devait la diriger est partie. Des femmes m’ont demandé de créer un poste de brigadier scolaire; je l’ai fait, mais on ne trouve personne pour pourvoir au poste! » relate celle qui n’a pas eu de réelles vacances depuis 2010.

Photographie de Lise Pelletier.

« Le fly-in/fly-out, ça va les premières années, mais ce n’est pas viable à long terme. »

— Lise Pelletier, mairesse de Fermont

Outre les places en garderie, le plus grand combat de la mairesse de Fermont est de convaincre les compagnies minières (ArcelorMittal Mines Canada et Consolidated Thompson Iron Mines) de réduire leur fly-in/fly-out, une formule de travail selon laquelle le personnel ne vit pas près de la mine, et d’installer des familles près de leurs exploitations. « Je leur ai souvent répété que si ça continue, nous serons une ville-dortoir! » ArcelorMittal a entrepris de construire des unités d’habitation, mais peu sont destinées à des familles, déplore la mairesse. La compagnie a promis 150 unités familiales, mais à peine le tiers ont été livrées à ce jour. « Le fly-in/fly-out, ça va les premières années, mais ce n’est pas viable à long terme, s’exclame Mme Pelletier, qui commence à se sentir flouée. Notre municipalité a fait preuve de bonne foi envers les compagnies minières. Nous avons répondu à leurs besoins financiers. Nous demandons maintenant un juste retour des choses sur le plan social. »

Lise Pelletier, Laurence Méthot et Manon Cyr bataillent dur pour obtenir plus de places en garderie, des budgets supplémentaires en santé, des infrastructures pour permettre la construction de plus de logements… Et elles le font de façon concertée : Fermont et Port-Cartier sont liées par un même employeur, ArcelorMittal Mines Canada (autrefois Québec Cartier Mining), qui a son usine et ses mines à Fermont (Mont-Wright) ainsi que ses installations portuaires à Port-Cartier. « Nous nous parlons constamment, nous nous assurons de détenir la même information, et nous ne lâchons pas les instances. Au point d’être tannantes! » affirme Mme Méthot en riant.

Photographie de Manon Cyr, mairesse de Chibougamau

« Les temps ont changé : beaucoup de femmes veulent travailler même si elles ont des enfants. Et on les réclame. »

— Manon Cyr, mairesse de Chibougamau

Manon Cyr, mairesse de Chibougamau, dit avoir l’avantage de voir ses deux consœurs la précéder et de pouvoir planifier le développement de sa municipalité avant que le boum ne lui tombe dessus. Aucun projet minier ne s’est encore implanté chez elle. Mais ça pourrait changer. En attendant, Chibougamau sert de point de départ pour des travailleurs qui font du fly-in/fly-out vers le Nunavik ou les monts Otish, à une heure d’avion. La mairesse a établi des liens avec la commission scolaire de la municipalité pour élaborer des formations adéquates, par exemple en extraction de minerai et en forage. Elle joint sa voix à celles de Lise Pelletier et Laurence Méthot pour réclamer un volet nordique à la politique familiale du Québec en ce qui a trait aux garderies. Car il n’est pas question que les femmes dont le mari quitte la ville pour travailler dans des mines éloignées demeurent au foyer, à moins de le souhaiter. « Les temps ont changé : beaucoup de femmes veulent travailler même si elles ont des enfants. Et on les réclame », lance Mme Cyr. Les temps ont changé aussi pour les hommes : « Plus de deux semaines sans leur famille, c’est nocif pour eux, et ils le font savoir à leur employeur. »

Toutes ces femmes de décision attendent la création de la Société du Plan Nord (SPN) pour que les dossiers qu’elles ont montés sur le logement, les garderies, les services de sécurité, de santé, d’éducation et de formation aboutissent. Mais elle tarde à être créée : une bataille politique est en cours pour déterminer l’emplacement de son siège social. En février, une délégation composée d’une vingtaine d’élus municipaux et de représentants des communautés autochtones a demandé au gouvernement d’implanter la SPN à Sept-Îles. Mais Chibougamau est aussi en lice, de même que Port-Cartier, Québec, Chicoutimi, Baie-Comeau… Le projet de loi n° 27, Loi sur la Société du Plan Nord, qui tranchera la question, fait l’objet d’une étude détaillée de la part de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles.

« Le gouvernement s’est plus préoccupé des infrastructures et de l’acceptabilité des projets miniers que de l’aspect social, note Mme Cyr. Mais c’est la prochaine étape. Et nous la planifions. » Le financement suivra-t-il? Ça reste à voir.

Femmes autochtones en action

Les femmes autochtones sont elles aussi portées par un élan puissant pour assurer le bien-être de leurs pairs. Michèle Audette, présidente de Femmes autochtones du Québec, promet de « chausser ses mocassins de militante » pour faire entendre la voix des femmes autochtones à l’égard du Plan Nord, « qui les a ignorées ». Plus concrètement, elle fera la promotion d’un nouveau plan d’action et de lutte contre la pauvreté, lancé ce printemps et qui pourra s’arrimer au Plan Nord. Ce plan d’action recommande d’abord d’établir un portrait socioéconomique des femmes autochtones du Québec, afin de savoir « où ça va mal ». Il propose également des mesures visant à augmenter le niveau d’employabilité des femmes autochtones de même qu’un programme de mentorat et un fonds de microcrédit pour les femmes entrepreneures.

Michèle Audette et Maggie Emudluk, présidente de l’Administration régionale Kativik (qui regroupe les 14 villages nordiques du Nunavik et gère les programmes gouvernementaux affectés à ces villages), mènent un autre combat au sein de leurs communautés : la distribution plus équitable des redevances accordées aux autochtones par les compagnies minières et par Hydro-Québec.

Au Nunavik, une grande partie des redevances minières est remise aux villages directement touchés par les activités industrielles, tandis qu’une part moindre va à l’ensemble des villages du Nunavik. Ce système de redistribution accroît les inégalités, estime Maggie Emudluk. Qui plus est, cet argent est souvent redonné sous forme de chèques individuels aux habitants des villages. Loin d’être la meilleure façon d’assurer le bien-être collectif, ces chèques entraînent une consommation souvent éphémère. « Quand on donne un chèque de 1 000 $ à quelqu’un, il sera tenté de se payer un buzz qui n’ira pas bien loin, résume Michèle Audette. Les compagnies devraient plutôt injecter l’argent dans les programmes sociaux qui investissent dans le capital humain. »

Mais pour changer les choses, il faut accéder au pouvoir. Or, les femmes autochtones, même si elles sont de plus en plus nombreuses à s’impliquer dans la gestion de leurs communautés, accèdent difficilement au pouvoir économique. Chez Makivik, la société qui négocie et gère les redevances remises aux Inuits par les compagnies minières et celles découlant de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, il n’y a aucune femme parmi les hauts dirigeants. Et si Maggie Emudluk est présidente de l’Administration régionale Kativik, elle administre des fonds qu’elle ne contrôle pas — contrairement à la société Makivik, qui décide où elle dépensera les fonds qu’elle reçoit. Dans les conseils de bande, les femmes occupent des postes liés à la gestion de la santé, des services sociaux et de la culture. Mais les postes décisionnels qui touchent le développement économique et les finances sont occupés par des hommes.

Les femmes trouveront-elles une juste place dans le Plan Nord? L’ingénieure minière Aline Morin avoue qu’elle ne s’est pas posé la question. Elle travaille chez ArcelorMittal depuis 22 ans. Son conjoint aussi. Ils ont élevé leurs deux filles à Fermont. « Il y a de la place pour les femmes qui font bien leur travail. Tout est automatisé maintenant, les emplois du secteur minier ne demandent pas de force physique. » Mais le boum actuel soulève des problèmes pour les familles avec enfants, reconnaît-elle. « Ça prend énormément d’organisation. Idéalement, il faudrait des garderies ouvertes 24 heures. »

Conjuguer le social et l’économique semble le défi à relever pour rendre le Plan Nord égalitaire.