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La mère des sages-femmes

Sage-femme à la retraite, Huguette Boilard est une pionnière de la pratique. En 2010, elle a été nommée chevalière de l’Ordre national du Québec.

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Sage-femme à la retraite, Huguette Boilard est une pionnière de la pratique. En 2010, elle a été nommée chevalière de l’Ordre national du Québec en reconnaissance du rôle de premier plan qu’elle a joué dans l’officialisation de la pratique de sage-femme au Québec. Retour dans le passé. Quand Huguette Boilard a commencé à pratiquer, en 1975, le climat s’apparentait à une chasse aux sorcières. « On dit que le métier de sage-femme était illégal, mais il était plutôt “alégal”, comme dans absence de législation », précise-t-elle. Les femmes ont toujours pu accoucher à la maison, mais à l’époque, personne n’avait le droit d’agir en tant que praticienne pour les aider. Et lorsqu’un transfert à l’hôpital s’avérait nécessaire, les sages-femmes n’étaient pas toujours bien reçues. « Oh Bonne Mère! Jusqu’en 1984-1985, on avait intérêt à être juste l’amie de la patiente, et non sa sage-femme. C’était féroce comme attitude dans les milieux hospitaliers. Les médecins menaçaient de nous poursuivre, ils nous disaient qu’on n’avait pas le droit de faire ça. Ils nous considéraient comme des incompétentes imprudentes et mal formées. » Il faut se rappeler qu’au cours des années 1970, le milieu hospitalier, en raison des progrès de la médecine, est présenté comme le lieu par excellence pour accoucher, surtout pour des raisons de sécurité. Étonnamment, devenir sage-femme n’a pas été le choix de Mme Boilard. Infirmière de formation, elle a suivi des cours spécialisés en obstétrique pour aller travailler dans le Nord-du-Québec, où elle a pratiqué quelques accouchements en toute légalité. À son retour, en février 1975, elle s’est fait inviter à une soirée à Québec, où étaient réunis des parents insatisfaits de leur expérience à l’hôpital. « Je n’ai jamais su comment ils m’ont trouvée, s’étonne-t-elle encore aujourd’hui. J’ai rencontré une quinzaine de personnes que je ne connaissais pas du tout, mais qui savaient que j’avais reçu un “entraînement spécial” pour travailler chez les Inuits. » Durant cette réunion, une femme enceinte lui a ordonné d’être là pour donner naissance à son enfant à la maison. « Mais je n’avais pas du tout envie d’y aller! Dans le Nord, j’avais une assurance, j’avais légalement le droit d’assumer un accouchement, mais pas ici! » La dame a insisté et s’est même rendue au CLSC où travaillait Mme Boilard pour la supplier. « C’est le seul cas de harcèlement que j’ai vécu dans ma vie! » dit-elle en riant. Finalement, elle s’est pliée aux demandes répétées de la future maman, mais en la prévenant qu’il fallait que tout se déroule bien, sinon elles seraient toutes les deux dans l’embarras! Plus de 3 000 bébés plus tard, Huguette Boilard se souvient encore de cet épisode marquant. « J’ai toujours dit que c’est cette dame-là qui a réveillé la sage-femme en moi. » À l’époque, trois autres femmes, une à Sherbrooke et deux à Montréal, avaient été sollicitées de la même façon pour prendre en charge des accouchements plus naturels que ceux pratiqués à l’hôpital. « C’est ça qui est intéressant : ce sont les familles qui ont mis les sages-femmes au monde. » En 1984, Huguette Boilard est partie étudier à Terre-Neuve, où elle a obtenu un diplôme de sage-femme, une formation accessible aux infirmières qui avaient déjà travaillé dans un dispensaire dans le Nord. « En réalité, ça faisait déjà 10 ans que je pratiquais! » C’était à une époque où le débat sur la pratique sage-femme avait commencé à faire jaser sur la place publique au Québec. Il a fallu attendre 1999 pour que la profession soit légalisée et que les sages-femmes obtiennent leur ordre professionnel, au terme de longues négociations. Après avoir collaboré à des groupes de recherche sur la reconnaissance du statut particulier des sages-femmes, Mme Boilard a entre autres participé à l’instauration des premières maisons de naissance rattachées aux CLSC et à l’élaboration de la formation universitaire des aspirantes sages-femmes. Elle a d’ailleurs été la première directrice du programme de baccalauréat en pratique sage-femme à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Même si elle est maintenant retraitée, Mme Boilard continue d’accompagner de nouveaux parents dans l’expérience de la grossesse et de l’accouchement.« Depuis plus de deux ans, j’assiste presque exclusivement des personnes que j’ai aidées à naître il y a 20, 25, 28 ans, et qui me reviennent pour un premier bébé. C’est tellement extraordinaire! » Un véritable cadeau pour cette femme qui se sent comme une grand-mère pour tous ces enfants devenus grands.