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Alzheimer: une affaire de famille

«On ne s’habitue jamais. Chaque fois que je la vois, j’ai envie de lui crier «Maman!».

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Souvent doublée d’une grande douleur dans le cas des proches, l’assistance à la personne atteinte d’Alzheimer pose un défi de taille : la communication verbale et la logique habituelle disparaissent. Le contact doit s’établir de manière différente.

« On ne s’habitue jamais. Chaque fois que je la vois, j’ai envie de lui crier « Maman! ». Puis elle me regarde et je ne la reconnais plus. A mon salut, elle répond qu’il est l’heure pour elle d’aller mettre les patates au feu; elle est en centre d’accueil depuis un an… C’est horrible à dire, mais même quand je suis à ses côtés, je m’ennuie d’elle. C’est ma mère d’avant qui me manque… »

On ne s’habitue pas à la maladie d’Alzheimer, témoignent Jeanine et, derrière elle, les milliers de personnes en relation étroite avec ceux et celles qui sont atteints de ce mal incurable caractérisé par une détérioration progressive des fonctions mentales. On ne s’habitue jamais et pourtant, les familles n’ont pas abdiqué leurs responsabilités-qui sont multiples. Jusqu’à la dernière limite, révèlent les statistiques filles, fils, conjoints et autres proches permettent le maintien de ces malades dans leur communauté, leur prêtant une assistance toujours plus grande dans les gestes quotidiens, tout en répondant à leurs besoins affectifs qui eux ne disparaissent pas avec la mémoire.

La famille se révèle aussi indispensable auprès du personnel soignant en lui communiquant les renseignements de base sur la ou le malade; sans ces informations, on ne peut suivre de façon appropriée le cheminement de la maladie, pas plus qu’on ne peut interpréter les comportements de la personne atteinte d’Alzheimer. « Les questions du personnel professionnel de la santé ne sont pas une charge pour les proches, considère Carmen Métivier, travailleuse sociale au CLSC-Laurentien et animatrice à la Société Alzheimer. Au contraire, elles leur permettent enfin de parler, de dépasser le tabou de la maladie. »

Plus âgées, plus vulnérables?

Jusqu’à maintenant, on estimait qu’environ 3 à 5% des personnes âgées de plus de 65 ans étaient atteintes de la maladie d’Alzheimer. Une équipe de recherche de Boston vient cependant de livrer un portrait encore plus noir en avançant de nouveaux chiffres : 3% des 65 à 74 ans, 18% des 75 à 85 ans et 47% des plus de 85 ans seraient victimes de la maladie aux États-Unis. Pour les femmes, qui constituent déjà la majorité des cas d’Alzheimer, ces pourcentages sont inquiétants puisque l’espérance de vie des Québécoises est de 79, 5 ans. « Ces nouveaux chiffres me paraissent très élevés, reconnaît Denis Gauvreau, chercheur à l’Institut national de recherche scientifique (INRS-Santé) et directeur d’un groupe d’investigation de la maladie. Mais si c’est le cas, c’est catastrophique… Avec le vieillissement de la population, la situation va devenir intolérable! »

Il n’est pas facile d’établir, hors de tout doute, un diagnostic de la maladie d’Alzheimer. C’est pourquoi il y a matière à discussion autour du nombre de cas.

Pour l’instant, on peut seulement soupçonner fortement la maladie lorsqu’une succession de comportements étranges survient et que sont écartées les autres causes possibles de la perte de mémoire et de facultés intellectuelles (dépression, tumeur cervicale, intoxication médicamenteuse, multi-infarctus, etc. ). Ce diagnostic n’est confirmé qu’après la mort puisque l’autopsie du cerveau présente alors diverses anomalies des cellules nerveuses, notamment la formation de plaques dites séniles par un amas de cellules mortes. Un déficit de certaines protéines qui servent habituellement de relais entre les cellules nerveuses est également en cause. Toutefois, la médecine ne comprend toujours pas l’origine de la maladie.

Encore au stade des tâtonnements, la recherche médicale a cependant fait quelques pas importants au cours des dernières années. Autrefois, on diagnostiquait la maladie d’Alzheimer chez les seules personnes atteintes de moins de 65 ans; les mêmes symptômes, lorsqu’ils apparaissaient chez les plus âgées, étaient mis sur le compte du vieillissement. « Alzheimer n’est pas un processus de vieillissement normal, insiste Sylvie Lauzon, professeure au Département des sciences infirmières de l’Université de Montréal et coauteure d’un livre sur la maladie d’Alzheimer (voir encadré). Il ne s’agit pas de pertes de mémoire ou de déclin intellectuel très graduels qui pourraient être ralentis par une meilleure gymnastique du cerveau et avec lequel on peut fonctionner moyennant un surplus d’effort et un peu plus de temps. » Bien sûr, note Sylvie Lauzon, les premiers signes de la maladie peuvent être confondus avec les dommages que cause l’âge. On remarque d’abord quelques troubles de mémoire. Mais bientôt, le processus s’accélère, entraînant une désorientation dans le temps et l’espace. Le vocabulaire se restreint, la personnalité se transforme et des comportements importuns surviennent : par exemple, colère hors contexte, agitation ou apathie incompréhensibles. Graduellement, la personne atteinte perd le « mode d’emploi » de son corps : boutonner une chemise deviendra difficile; plus tard, elle ne saura plus si, pour se moucher, il faut souffler ou aspirer; elle ne contrôlera plus ses sphincters, et mourra peut-être de pneumonie, faute de savoir comment éliminer correctement ses sécrétions…

Ma mère devenue mon bébé

Pour les personnes qui prennent soin de ces malades, la tâche s’alourdit irréversiblement. Souvent doublée d’une grande douleur dans le cas de proches, l’assistance à la personne atteinte d’Alzheimer pose un défi de taille : la communication verbale et la logique habituelle disparaissent. « Ce qui est souvent le plus difficile à accepter pour l’entourage, explique Carmen Métivier, c’est le changement de rôle que cela suppose. De fille, par exemple, on devient mère. On habille, on nourrit, on installe une barrière devant l’escalier… » On a souvent l’impression que la personne malade régresse retourne à l’état d’enfant, de bébé et finalement de nourrisson. Cependant, estime Sylvie Lauzon, cette analogie comporte un piège. « On ne doit jamais oublier que la personne a tout un vécu derrière elle, souligne-t-elle. Pour cette raison, lors du placement en institution, la famille devient une aide essentielle qui permet de mieux la comprendre, de faire des liens entre ses attitudes et son passé. » Parce que le patient ou la patiente a perdu ses facultés intellectuelles, le personnel ne peut apprendre de sa bouche la raison de ses pleurs, de ses cris, de sa tendance à errer à travers les corridors. Il revient donc aux proches de livrer quelques pistes d’interprétation.

Malgré la perte progressive de sa capacité de compréhension et d’expression, signalent Sylvie Lauzon et ses coauteures, la patiente ou le patient est désireux de communiquer, mais incapable de le faire par les moyens habituels. Le contact doit donc s’établir de manière différente. Dans un livre qu’elle a publié en 1988 (voir encadré), une bénévole travaillant en milieu hospitalier, Françoise Pelletier, apporte à ce sujet un témoignage candide. Venant de perdre sa mère, décédée subitement, elle s’attache à une vieille dame atteinte d’Alzheimer et l’amitié se transmet par une foison de signes non verbaux qui jouent sur le mode émotionnel : regards, pressions de la main, sourires, etc.