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Ces enfants qui sont de trop

Chacun à sa façon, le documentaire de Sylvie Groulx et celui de Carole Poliquin nous obligent à poser autrement la question de la dénatalité.

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Chacun à sa façon, le documentaire de Sylvie Groulx et celui de Carole Poliquin nous obligent à poser autrement la question de la dénatalité.

Au mitan du siècle, pour changer le monde, l’investir et l’influencer, les Québécoises ont dû faire moins d’enfants. En retour, le monde du travail s’ingénie depuis vingt ans à nier l’évidence : les travailleuses sont encore et toujours des mères et les couples souffrent plus qu’on pense de ne pas avoir tous les enfants qu’ils veulent.

Au printemps dernier, deux cinéastes passionnées, Sylvie Groulx et Carole Poliquin, qui n’en sont pas à leurs premières armes-et mères de famille en prime, lançaient chacune un documentaire percutant qui pose autrement la question de la dénatalité. Quand on sort de Qui va chercher Giselle à 3 h 45? de Sylvie Groulx et du Dernier Enfant de Carole Poliquin, on ne se demande pas pourquoi les Québécoises font moins d’enfants, mais plutôt comment il se fait qu’elles en font encore…

Le documentaire de Sylvie Groulx, produit par le programme Regards de femmes de l’Office national du film (ONF) est un film grave, dérangeant, où l’on rit peu. Quand on s’esclaffe, c’est devant la bêtise et l’incompréhension dont sont victimes ceux et celles qui ont choisi de vivre avec des enfants et d’écourter leurs nuits, régulièrement, pour réussir à combiner leurs responsabilités familiales et professionnelles.

En toile de fond à Qui va chercher Giselle à 3 h 45? , il y a un long entretien bouleversant de franchise entre deux journalistes : France Paradis, 25 ans et Francine Pelletier, 40 ans. La première est enceinte et sait qu’elle risque gros en décidant d’avoir un enfant au moment où sa carrière démarre; la seconde se résigne, non sans une pointe de regret, à ne pas avoir d’enfant. Lasse d’attendre celui qui voudra l’accompagner dans cette galère, elle a récemment abdiqué et privilégie désormais la carrière à la vie de famille.

En contrepoint à cette conversation, des scènes de la vie quotidienne racontées avec tendresse et réalisme. Celles de Clothilde, serveuse de restaurant et sans cesse congédiée à chacune de ses grossesses, de Johanne, chauffeuse d’autobus, qui s’épuise à faire du surf sur des horaires impossibles et qui ne passera pas un seul week-end avec son fils au cours des six prochaines années. Enfin, il y a l’histoire de Yves, jeune père partageant la garde de deux fillettes, qui, lui, cumule deux emplois à mi-temps pour arriver. C’est lui qui s’exclame : « Qui va chercher Giselle à 3 h 45? » alors que sa journée de travail finit à 18 h et qu’il n’y a pas d’autobus scolaire.

Même si le traitement du film est conventionnel et la forme peu inventive, les propos et confidences de ces parents, amoureux de leurs enfants, sont décapants de vérité et laissent un arrière-goût d’injustice.

Pourquoi payer si cher le plaisir de mettre des enfants au monde et de s’en occuper?

La parentalité à rude épreuve

Du plaisir et de l’amour, la vidéo de Carole Poliquin, Le Dernier Enfant, en parle beaucoup et c’est très rafraîchissant. En blague, je dirais que c’est un vrai film de propagande féministe en faveur des enfants et du plaisir de vivre près d’eux. D’ailleurs, on les entend et on les voit beaucoup, les enfants. Dodus, espiègles, vifs comme l’éclair. Cinq couples sont interviewés et on suit leur réflexion à travers un montage rapide et efficace. Qu’ils soient jeunes comme Valérie et Stéphane, yuppies comme Louise et Serge, de milieu modeste comme Jocelyne et François, ou immigrés comme Rolando et Martha, ils sont tous aussi estomaqués devant l’inconséquence de la société actuelle qui s’emploie si efficacement à décourager la parentalité.

Toutes et tous parlent de la course folle contre la montre « une heure ici, dira Rolando, c’est plus court qu’une heure au Salvador! » des garderies insuffisantes et coûteuses, de la double tâche, des difficiles rapports de couple après la naissance des enfants. Et du travail à qui il faudrait tout sacrifier jusqu’au bonheur de vivre. A leur manière, ces couples sont des résistants. Des hommes et des femmes en désaccord profond avec ce système qui, d’un côté, vénère la performance et l’argent et, de l’autre, complique amèrement l’existence de ceux et de celles pour qui vivre en harmonie, avec ceux qu’ils aiment, demeure un idéal en soi.