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Margaret Atwood

Enfant chérie de la littérature canadienne, Margaret Atwood est aussi citoyenne à part entière et elle revendique ouvertement son droit de parole devant les grands enjeux sociaux.

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Enfant chérie de la littérature canadienne, Margaret Atwood est aussi citoyenne à part entière et elle revendique ouvertement son droit de parole devant les grands enjeux sociaux. En français ou en anglais, elle n’a jamais eu la langue dans sa poche. Quand elle vous écoute Margaret Atwood plisse un peu les yeux et incline sa tête à gauche. On sent que les idées se bousculent derrière le regard clair de cette belle femme de 50 ans, bien que les mots s’éternisent dans sa bouche. Ses phrases sont construites laborieusement mais rien à faire, elle refuse de parler sa langue maternelle au Québec. « Je préfère de parler français », précise-t-elle d’entrée de jeu. Pourtant nos minutes sont comptées. Enfant chérie de la littérature canadienne, Margaret Atwood est aussi citoyenne à part entière et elle revendique ouvertement son droit de parole devant les grands enjeux sociaux. Même si elle refuse l’étiquette de romancière engagée « je ne suis pas une propagandiste » , on lui connaît trois passions : le féminisme, l’environnement et, depuis vingt ans, la sauvegarde de la culture canadienne. Comme la majorité des intellectuels canadiens-anglais, elle s’est élevée contre le libre-échange en raison des dangers d’effritement de la culture canadienne et contre l’Accord du Lac Meech, au nom des autochtones et des femmes, mais surtout parce que la notion de société distincte l’irrite souverainement. Francophile par ailleurs, Margaret Atwood a joint sa voix à celle de l’Association canadienne-française de l’Ontario pour réagir contre le mouvement d’intolérance antifrancophone à Sault-Sainte-Marie au printemps dernier.

Devenir essentielles

Pour l’auteure de Oeil-de-chat (son dernier roman, Éditions Robert Laffont), tous et toutes, écrivains et féministes compris doivent travailler, comme citoyens et citoyennes, à influencer le cours du monde. Devrait-il alors y avoir plus de féministes en politique? Margaret Atwood est sceptique. Sans décourager les postulantes elle estime « qu’il est presque impossible d’être visiblement féministe, quand on veut être chef des hommes. Et ce n’est pas d’hier!! ! Il faut lire le brillant ouvrage de Lady Anthonia Fraser sur l’histoire des femmes en politique depuis l’Antiquité jusqu’à Margaret Thatcher, The Warrior Queens (Penguin Books, 1989). Si les Anglais ont élu une femme première ministre, c’est parce qu’elle ressemblait à une nanny (une nounou)! La seule manière de « risquer » l’élection, c’est de ne pas se présenter comme féministe. Autrement, les hommes ne voteront pas pour vous et les femmes antiféministes non plus. Les autres, de toute façon, sont minoritaires… » Atwood s’étonne, du reste, que les féministes québécoises « les plus radicales de tout le Canada », aient peu pris part au débat constitutionnel et qu’ici, la question de la mixité des grands événements féministes (lors du 50e anniversaire du droit de vote) soit encore à l’ordre du jour. « Partout, nous devons devenir essentielles et pour cela, faire des alliances avec les hommes. Les organisations séparatistes nous ghettoïsent. Actuellement, il devient impérieux que les hommes reprennent le discours des féministes et il existe des hommes de bonne volonté. » Bouleversée par le massacre de Polytechnique, la romancière croit que l’événement du 6 décembre dernier a réveillé le mouvement féministe, d’un bout à l’autre du Canada et même jusqu’aux États-Unis. « Cette tuerie a redonné le goût aux femmes de se réunir de nouveau et de réaliser que la lutte n’est pas gagnée. Les femmes sont encore beaucoup trop souvent en position précaire, vivant sous l’emprise d’innombrables peurs, et trop de forces s’opposent encore à leur liberté. » Et lorsque j’ai demandé si l’engagement social-si peu « in » depuis dix ans-allait revenir à la mode, elle a eu cette blague : « Vous savez, il ne faut pas oublier qu’il y a eu beaucoup d’éclopés (tant de burn-out) chez les militantes et les militants et que nous ne sommes plus bien jeunes, n’est-ce pas? Il faut tellement d’énergie pour descendre dans la rue, revendiquer, organiser! Mais un récent sondage américain m’a réconfortée. Pour la première fois depuis les années 70, les Américains de moins de 20 ans ont choisi des valeurs sociales et environnementales avant celles liées à l’argent. J’ai confiance : l’engagement va revenir à travers le mouvement écologiste qui, lui, a toujours été intimement lié aux valeurs féministes. »