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Le marché aux puces du Nouvel Âge

Les gourous de l’an 2000 s’infiltrent partout. Leurs grimoires sont remplis de promesses de bonheur parfait. Méfiez-vous de ces miroirs aux alouettes.

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Les gourous de l’an 2000 s’infiltrent partout. Leurs grimoires sont remplis de promesses de bonheur parfait. Méfiez-vous de ces miroirs aux alouettes.

Au moment d’entrer en contact avec le Centre de l’Oiseau Bleu, Catherine vit un burn-out professionnel et son mari est gravement malade. Au Centre, elle rencontre la directrice et un clairvoyant guérisseur. Première rencontre : l’homme la harcèle verbalement et physiquement, la mitraille de questions et la confronte de manière agressive. Au bout de plusieurs heures, ses résistances craquent, elle est prête à tout pour qu’il arrête. Ils l’initieront alors à une technique « d’énergisation » très particulière : avoir des relations sexuelles à trois. Après plusieurs mois de ce régime, elle ne se sent pas bien du tout. « Ils n’arrêtaient pas de me dire que c’est parce que j’entretenais des pensées négatives. J’étais toute mêlée. Ils avaient fini par avoir un total ascendant sur moi. J’ai failli abandonner mes trois enfants tellement je voulais me consacrer à la recherche de « l’équilibre » ! C’était comme une drogue. J’avais absolument besoin de leur approbation, sur tous les plans de ma vie. » Catherine a quitté son mari à la suite de cette aventure de trois ans et vit actuellement seule avec ses enfants. Elle a dû suivre une longue thérapie pour se remettre sur pied. Son histoire est celle de milliers d’autres.

Le Québec compte plus de 425 groupes de croissance selon Info-Croissance, un organisme de recherche et d’information sur ces groupes. Dans ce melting-pot macèrent côte-à-côte le farfelu et le vraisemblable. Le contenu de ces cours, la formation et les méthodes d’intervention des équipes d’animation ne sont régis par aucun organisme ou structure d’évaluation. Ni le ministère de l’Éducation, ni l’Office des professions du Québec, ni les corporations professionnelles n’ont de contrôle sur ces cours. Les sommes d’argent énormes que la clientèle paie en liquide la plupart du temps et sous la table échappent même au contrôle des lois fiscales. Si plusieurs groupes sont parfaitement acceptables dans la forme et le fond, d’autres se révèlent de véritables miroirs aux alouettes.

Personnes en difficulté, s’abstenir

Marlène Carmel, psychologue et auteure, a participé au projet de recherche d’Info-Croissance visant à recenser les différents groupes et leurs méthodes. « Les cours de croissance ne sont pas construits pour venir en aide à une personne en difficulté, constate-t-elle. Le marketing de ces cours est pourtant largement orienté vers une clientèle en besoin d’aide. » Christian Lamontagne, éditeur du magazine Guide Ressources, abonde dans le même sens : « Ces cours ne sont pas des thérapies et ils ne devraient jamais être considérés comme tels. Au sortir de ma première session de groupe de croissance, il y a huit ou neuf ans, je me souviens m’être dit qu’il fallait être solide pour traverser une telle expérience. » Les directrices de centres de croissance ne partagent pas toutes ce point de vue. Pour Lise Bourbeau de Écoute ton corps, « les cours de croissance, c’est de la thérapie! Mes cours offrent une philosophie de vie. » Soutenant qu’elle ne fait pas de thérapie, au sens strict du terme, elle ajoute pourtant : « Mes cours sont pour tout le monde et effectivement, toutes sortes de personnes les fréquentent : des gens alcooliques, dépressifs, des mères de famille. . . »

Bonheur à vendre

Line Beauchamp, directrice d’Info-Croissance, explique que les animateurs (beaucoup plus nombreux que les animatrices) sont souvent d’anciens clients de l’école où ils « enseignent». Diane Provost qui poursuit actuellement en justice le Centre de santé d’Eastman pour les préjudices qu’elle estime avoir subis avait été promue thérapeute puis directrice suppléante après seulement six mois de présence au centre à titre cliente. Même procédé chez Écoute ton corps. Le groupe The Forum, dont Pierre Foglia de La Presse parlait en terme de « décapage de cerveau», est aussi une importante matrice d’animateurs de croissance.

Michèle Larivey, psychologue et auteure du livre Groupes et croissance personnelle, estime que les spécialistes en croissance personnelle doivent posséder une formation de psychothérapeute totalisant au moins 3000 heures de cours échelonnées sur quatre à cinq ans. A cela doit s’ajouter une formation en intervention de groupe : 1000 heures en deux ans. Dans le cadre de la recherche qu’Info-croissance a effectuée en 1988, sept groupes en particulier ont été sélectionnés pour une enquête approfondie. Or, cette recherche démontre que 99% des animateurs et des animatrices n’ont aucune formation sérieuse en animation de groupe ou en relation d’aide. Mais dans six cas sur sept, ces personnes avaient une formation ou une expérience de vente importante. Le bonheur se vend dorénavant comme un petit pain chaud.

Le bonheur des autres est-il féminin?

Chaque année, des milliers de femmes avalent goulûment des promesses irréalistes de paix, d’amour, d’harmonie : 70% de la clientèle des cours de croissance est effectivement féminine. Le bonheur des autres n’a-t-il pas toujours été la responsabilité des femmes? Les chiffres démontrent en tout cas que ce sont elles qui ont toujours cherché les réponses.

Louise Guyon, auteure du livre Quand les femmes parlent de leur santé démontre que les femmes déclarent plus de problèmes généraux liés à la santé psychologique que les hommes; leur détresse semble particulièrement associée à des problèmes touchant les liens affectifs avec d’autres personnes. Marlène Carmel rappelle que les femmes consomment plus de médicaments que les hommes. En outre, elles consultent les sexologues, les psychologues et les travailleurs sociaux, beaucoup plus souvent que leurs pairs masculins.

Mise en garde

  • Identifiez vos besoins et vos attentes-Pourquoi souhaitez-vous vous inscrire à ce cours? Si votre situation est difficile ou nouvelle (divorce, changement d’orientation, deuil, déménagement, changement d’emploi, etc. ) évitez les cours de croissance!
  • Posez des questions-Quelle est la formation de l’animateur ou de l’animatrice? Y a-t-il un contrat conforme à la Loi sur la protection des consommateurs? Quelle est la philosophie de base et les méthodes du cours? Y-a-t-il une évaluation sérieuse des besoins et de l’état psychologique de ceux et celles qui y participent?
  • Ne signez rien sous la pression-Attendez au lendemain et lisez le contrat attentivement : y trouve-t-on inscrites les promesses de bonheur parfait qu’on vous a faites à la soirée d’information?
  • Ne vous accrochez pas-Un cours de croissance n’est pas une démarche à long terme. Il se déroule dans un court laps de temps et non pas dans un enchaînement successif de tous les cours que donne cette organisation. La dépendance n’est pas un signe de bien-être.
  • Ne sous estimez pas le pouvoir du personnel d’animation-Ils sont tous et toutes charismatiques. . . sinon ils feraient faillite. Méfiez-vous si les contacts physiques vont plus loin que la poignée demain, si on vous parle des problèmes personnels d’argent ou si on vous rend responsable des « pensées négatives», des vôtres ou de celles du groupe.

Pourquoi tant de femmes? Michèle Ouimet, animatrice au Centre d’éducation et d’action des femmes, pense qu’en travaillant sur elles-mêmes, les femmes ont l’impression de trouver enfin un terrain où elles peuvent exercer un certain pouvoir alors qu’elles en ont si peu ailleurs. Mais la présence des femmes dans ces cours s’explique surtout parce qu’on nous a rendues responsables du bonheur de tout le monde : si mon fils prend de la drogue, ce doit être que je n’ai pas fait tout ce qu’il fallait faire! Les femmes cherchent le bonheur des autres. » Diane Provost en a fait l’amère expérience : « On me disait sans cesse que j’étais responsable de mes problèmes. C’était toujours ma faute. Un an après être partie du Centre, je me sentais encore comme un déchet. »

Un des résultats de cette responsabilisation à outrance se traduit par une culpabilité vicieuse. Marlène Carmel a reçu en thérapie une femme qui sortait des ateliers de Écoute ton corps. « On avait si bien réussi à la responsabiliser de tout qu’elle se retrouvait paralysée de culpabilité. Dans ces cours-là, on dit aux femmes : Voici LA réponse que vous cherchez. Si ça ne marche pas, on vous répond que c’est vous qui êtes en faute. On vous a donné les bons outils et vous ne vous en servez pas correctement. » Mme Carmel met en garde contre la surresponsabilité que les gourous de tout acabit tentent de faire peser sur leurs adeptes : « La part de responsabilité que nous avons effectivement dans notre façon de vivre les événements a une limite bien réelle. Une femme n’est pas responsable de la surconsommation de drogue de son fils! C’est de la foutaise! »

Après le retour à la terre, la révolution sexuelle et la guerre des étoiles, les cours de croissance prétendent offrir à leur tour de nouvelles réponses à l’éternel questionnement : Qui suis-je? Où vais-je? Les plus prosaïques répondront que notre incarnation physique nous oblige aussi, et même à l’ère du Verseau, à demander le quoi, le quand et le combien?