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L’arbitre de l’insatisfaction

Vous avez du fil à retordre avec l’administration gouvernementale ? Après enquête et si vous avez raison, le Protecteur du citoyen peut redresser les choses en votre faveur rapidement, gratuitement et confidentiellement.

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Vous avez du fil à retordre avec l’administration gouvernementale? Après enquête et si vous avez raison, le Protecteur du citoyen peut redresser les choses en votre faveur rapidement, gratuitement et confidentiellement.

Marguerite Beaulieu a 91 ans lorsqu’elle fait appel au Protecteur du citoyen. Elle est hébergée en centre d’accueil depuis quelques années et elle retire sa pension de sécurité de la vieillesse. Comme l’y a invitée une publicité du gouvernement fédéral quelques mois plus tôt, elle a accepté que cette pension lui soit versée par dépôt direct à son compte de banque. C’est d’ailleurs cet arrangement, pratique à première vue, qui sera à l’origine de ses problèmes. La somme est versée automatiquement à son compte deux jours avant que le loyer n’en soit prélevé; chaque mois, pendant quarante-huit heures, Marguerite Beaulieu a 2000 $ en banque au lieu des 1500 $ habituels. Le ministère de la Main-d’œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle, qui évalue périodiquement la situation financière des personnes hébergées pour fixer le montant de leur loyer, tombe pile, lors de l’un de ses contrôles, sur les journées « riches » dans le mois de Marguerite.

Répercussion immédiate sur sa note d’hébergement : le loyer passe de 575 $ à 825 $. La vieille dame conteste sans succès l’augmentation auprès du Ministère et elle s’adresse finalement au Protecteur du citoyen. Ce dernier étudie l’affaire et conclut qu’il s’agit là d’un exemple concret de rigidité administrative exagérée à l’endroit d’une personne très âgée. Comportement trop strict de fonctionnaires, eux-mêmes souvent incités par les autorités à appliquer un programme à la lettre et de façon un peu mécanique. C’est d’ailleurs à des cas comme celui-ci que le Protecteur du citoyen fait allusion quand il parle d’un blocage répandu dans la fonction publique, causé par ce qu’il appelle le « ciment de la directive». Parmi les 20. 000 plaintes reçues l’an dernier, bon nombre des insatisfactions provenaient justement de ce que les normes applicables semblent. . . impitoyables.

Pour en revenir à Marguerite Beaulieu, son loyer a été ramené au montant initial à la suite de l’intervention du Protecteur du citoyen. Dans près de 99% des cas, ses avis portent fruit.

Qui est le Protecteur du citoyen?

Créée il y a vingt et un ans, l’institution du Protecteur du citoyen assure le respect des droits de la population vis-à-vis de l’administration publique québécoise et de ses fonctionnaires. Le Protecteur du citoyen lui-même est une personne impartiale, nommée pour une période de cinq ans, sur proposition du Premier ministre, par les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale de toutes les formations politiques. Autres facteurs d’indépendance, le Protecteur du citoyen et son personnel ne sont pas des fonctionnaires et l’organisme ne relève d’aucun ministère. Il doit rendre des comptes à l’Assemblée nationale directement.

Attention, le Protecteur du citoyen n’a pas compétence sur les municipalités ni sur les commissions scolaires, les hôpitaux, les CLSC, les centres d’accueil pour personnes âgées. Il ne peut intervenir non plus si la plainte concerne un organisme du gouvernement dont le personnel n’est pas régi par la Loi sur la fonction publique : (Aide juridique, Société des alcools du Québec, Hydro-Québec, etc. ).

Plusieurs confondent le Protecteur du citoyen avec l’Office de la protection du consommateur. Le Protecteur du citoyen n’a pas compétence sur les rapports entre les consommatrices et consommateurs et les commerces. Le Protecteur du citoyen a compétence sur tous les ministères et organismes du gouvernement du Québec dont le personnel est nommé et rémunéré selon la Loi sur la fonction publique : on en compte près de 115 qui regroupent environ 70. 000 fonctionnaires. C’est donc dire que chaque fois qu’une personne, une compagnie ou une association s’estime lésée dans ses droits par un fonctionnaire ou, plus largement, par un service gouvernemental ou dans l’application d’une loi, elle peut faire appel au Protecteur du citoyen si elle ne dispose pas d’autres recours. Doté de larges pouvoirs d’enquête, le Protecteur a plein accès à toutes les personnes et à tous les documents utiles à ses recherches. Autre pouvoir dont il dispose, celui de recommander des-changements au profit des citoyen-nes et des-citoyens dans le fonctionnement de l’appareil gouvernemental. Ces propositions ne sont pas exécutoires, mais ont un poids démontré.

Quand l’administration a tort

Lorsque les déléguées et les délégués du Protecteur du citoyen font enquête et arrivent à la conclusion que la personne qui a porté plainte a subi une injustice, elles et ils demandent aux autorités du ministère ou de l’organisme concerné de corriger la situation. En cas de refus, le Protecteur du citoyen porte l’affaire à l’attention de la plus haute autorité du ministère ou de l’organisme. Si cette dernière n’apporte pas de justifications satisfaisantes, le Protecteur du citoyen lui adresse une recommandation formelle de remédier à la situation. Si cette recommandation n’est pas suivie dans un délai raisonnable, le Protecteur du citoyen peut en aviser le Conseil des ministres et faire un rapport spécial à l’Assemblée nationale. Il peut également, lorsqu’il le juge d’intérêt public, recourir à l’opinion publique et aux médias pour commenter les résultats d’une enquête.

L’actuel Protecteur du citoyen est Me Daniel Jacoby. Ex-sous-ministre de la Justice, il avait au départ l’atout d’une connaissance aiguisée du monde de l’administration publique et des fonctionnaires. En poste depuis 1987, il a nettement affirmé son côté « médiatique » et son attirance pour les tribunes publiques : pour Me Jacoby, l’efficacité du recours passe logiquement par la connaissance que les gens en ont.

Une pension de retraite équitable

Thérèse Morin a enseigné à des étudiantes infirmières pendant plus de trente ans et à la veille de sa retraite, elle apprend que près du tiers de sa carrière n’est pas considéré dans le calcul de la pension à laquelle elle aura droit. Pourquoi? Parce que la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances (CARRA) qui administre, entre autres régimes, celui du personnel enseignant considère que du temps où les écoles d’infirmières étaient rattachées aux hôpitaux, il ne s’agissait pas de véritables établissements d’enseignement.

Du point de vue strictement administratif, Thérèse Morin n’est considérée comme une véritable enseignante qu’a partir du moment où les cours se sont donnés dans le réseau scolaire public. Thérèse Morin se débat alors pour démontrer à la CARRA que le Québec des années 50 et du début des années 60 proposait cette seule avenue : pour accéder à la profession que les cours dispensés dans ces écoles étaient de grande qualité et qu’ils étaient, de plus, supervisés par l’université la plus proche. La CARRA entend ses arguments et maintient sa décision.

L’enseignante se tourne alors vers le Protecteur du citoyen qui, lors de l’étude du cas, remonte à la charte de fondation de l’hôpital en question et y trouve justement de quoi faire pencher la balance en faveur de Mme Morin : la charte émise en 1952 par le gouvernement du Québec précisait que l’hôpital avait notamment pour mission d’agir à titre d’école d’infirmières. Il n’en fallait pas plus. Les années d’enseignement contestées ont été reconnues par la CARRA et Therèse Morin a obtenu le plein respect de ses droits.

Les déléguées et délégués du Protecteur du citoyen le représentent et ont les mêmes pouvoirs d’enquête que lui. Le volume, la variété et la complexité des plaintes ont rendu nécessaire la spécialisation de ces déléguées et délégués : accidents travail, sécurité du revenu, éducation, justice, assurance-maladie, assurance automobile, impôt, rentes, etc. Dans chacun des domaines, il arrive qu’un dossier commande un brassage plus important : des changements majeurs apportés à une loi ou encore un dédommagement rétroactif versé à des centaines de citoyennes et citoyens. Les délégués parlent alors d’intervention systémique ou, plus simplement, de beaux cas. . .

Faute de document

Johanne Deschênes, étudiante fait une demande d’aide financière au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Science. La réponse reçue du Ministère lui précise qu’elle a oublié de fournir un document exigé dans son cas pour fixer le montant de l’aide à laquelle elle peut avoir droit, soit la déclaration de revenus de son père pour l’année précédente. Or le père de Johanne a plus de 65 ans et ses revenus sont peu élevés, si bien qu’il ne produit plus une telle déclaration depuis déjà quelques années.

L’étudiante explique la situation au fonctionnaire qui la prévient que, sans ces renseignements supplémentaires, sa demande sera rejetée. Johanne a immédiatement recours au Protecteur du citoyen qui constate d’abord que l’exigence du fonctionnaire est effectivement prévue dans le programme de prêts et bourses. Toutefois, comme le document exigé est inexistant, le Protecteur du citoyen est efforce de trouver d’autres formes de preuve des revenus du père : une déclaration assermentée de ce dernier et les talons de chèques, de pensions ou d’autres sommes reçues mensuellement.

L’étudiante a touché le prêt auquel elle avait toujours cru avoir droit.

Évaluation trop élevée

Louise Thériault, bénéficiaire de la sécurité du revenu (autrefois aide sociale) souffre de sclérose en plaques et elle doit se déplacer en chaise roulante. Avec l’aide financière de l’Office des personnes handicapées, elle fait faire des travaux dans sa maison (qu’elle occupe avec ses enfants) afin de faciliter ses déplacements sur les deux étages : rampes spéciales, : portes, deuxième salle de bain, etc. A la suite de ces améliorations, l’évaluation foncière de sa résidence passe de 45 000 $ à 75 000 $.

La valeur de la propriété d’une ou d’un bénéficiaire de la sécurité du revenu ne peut dépasser 60 000 $, et c’est en tenant compte de la nouvelle évaluation que le ministère de la main-d’œuvre et de la Sécurité du revenu réduit les prestations de Louise de 330 $ par mois.

Au terme de démarches infructueuses, Louise Thériault explique son cas au Protecteur du Citoyen. Les recherches dans ce dossier démontrent que les modifications apportées à la maison correspondent avant tout à des équipements destinés à améliorer les conditions de vie d’une personne handicapée. C’est ce que fait valoir le Protecteur du citoyen auprès du Ministère. Celui-ci modifie finalement la valeur attribuée à la maison de Louise, aux fins de ses calculs, et lui accorde de nouveau le plein montant de ses prestations.

Souplesse, rapidité et gratuité

Les recours en justice sont généralement associés à des frais, à des démarches et à des retards qui font craindre les tribunaux. Chez le Protecteur du citoyen, tout s’explique le plus souvent au téléphone, tout se passe en moyenne en quelques semaines, tout est gratuit. (Voir encadré Comment porter plainte). La plaignante ou le plaignant n’a pas à se déplacer ni à être confronté avec les fonctionnaires dont la décision est contestée. Des affaires urgentes, notamment en matière d’aide sociale, peuvent exceptionnellement être réglées dans la journée même du dépôt de la plainte.

Des chiffres révélateurs

Deux appels sur trois au Protecteur du citoyen ne font pas l’objet d’une enquête parce qu’il s’agit plutôt de demandes de renseignements ou de sujets en dehors de la juridiction de l’institution. Trente pour cent des plaintes donnent donc lieu à des recherches plus approfondies et année après année, les plaintes traitées permettent d’établir que les grands ministères et organismes « payeurs » demeurent les principales cibles des citoyennes et des citoyens insatisfaits : ministère de la Main-d’œuvre, de la Sécurité du revenu et deux ministères « montants » dans l’échelle des mécontentements : la Sécurité publique, responsable des centres de détention, et le ministère de l’Environnement (hausses respectives des plaintes de 93 et de 121% par rapport à l’année précédente). Signe des temps, d’une part, le monde carcéral étouffe et les détenus se plaignent de plus en plus de la surpopulation dans les prisons; d’autre part, les citoyennes et les citoyens tolèrent moins qu’avant les agressions et les différentes formes de pollution qui détériorent leur milieu de vie.