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Les employeurs peuvent se passer des analphabètes

Vient un moment où les changements technologiques exposent au grand jour ce que les analphabètes mettent tant de soin à cacher.

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Vient un moment où les changements technologiques exposent au grand jour ce que les analphabètes mettent tant de soin à cacher. L’aide-cuisinière insiste pour que les serveuses écrivent le numéro du plat. Le préposé à l’entretient des machines s’entête à vouloir remplir sa formule à la maison. L’emballeuse prétexte avoir oublié ses lunettes pour demander à sa voisine de lire l’avis affiché au babillard. Ces personnes sont, en fait, incapables de lire et d’écrire. Elles en paient chaque jour le prix. Elles ignorent certaines directives distribuées dans les enveloppes de paye. Elles commettent de nombreuses erreurs. Elles ne respectent pas toujours les règles de sécurité. Puis vient le moment où les changements technologiques exposent au grand jour ce qu’elles mettaient tant de soin à cacher. C’est ce qui est arrivé à la boulangerie Weston de Longueuil où la modernisation de l’usine a failli entraîner la mise à pied des travailleuses et des travailleurs les plus anciens. « Plusieurs d’entre eux, explique Mario Jodoin de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), ne savaient pas suffisamment lire et écrire pour suivre la formation professionnelle nécessaire à l’opération des nouvelles machines. Afin de faire respecter l’ancienneté, nous avons obtenu un programme d’alphabétisation d’urgence. Ce programme leur a permis d’avoir accès à l’autre formation. » Des situations comme celle de la Weston, il y en a des centaines. Les solutions sont beaucoup moins nombreuses. « Les employeurs québécois sont moins sensibilisés que les employeurs ontariens, constate Mario Jodoin. Le taux de chômage élevé du Québec y est pour quelque chose : les employeurs peuvent se passer des analphabètes. » Même son de cloche chez Louise Miller, l’ancienne coordonnatrice du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation que la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) vient d’engager. Ginette Croteau, de la Maison Alpha de Sherbrooke, remarque un progrès depuis 1984. « Malheureusement, c’est souvent dans les PME qu’il y a le plus d’analphabètes mais aussi le moins de ressources physiques, humaines et financières. Quant à la grande entreprise, elle a des exigences qui les excluent à l’embauche. » Des initiatives comme celles de la Weston contribuent à accélérer les choses tout comme la reconnaissance des cours d’alphabétisation par le programme d’assurance-chômage ou comme mesure d’accès à l’emploi pour les bénéficiaires de l’aide sociale. Le véritable déblocage passe par les syndicats. L’arrivée de Louise Miller à la FTQ est un signe encourageant tout comme le projet ABC-INFO de la CSD. L’objectif est d’utiliser l’informatique pour aider les travailleuses et les travailleurs à s’alphabétiser à leur rythme, de façon plus autonome. Il faudra plus. Il faudra notamment que les grandes centrales fassent des efforts pour rejoindre les travailleuses et les travailleurs analphabètes et pour favoriser leur pleine participation à la vie syndicale. Cela veut dire utiliser davantage les moyens de communication oraux et visuels, simplifier les procédures des assemblées et les textes des conventions collectives. « A la CSD, cette tâche est encore laissée aux syndicats locaux », reconnaît Mario Jodoin. Pour sa part, Louise Miller considère qu’il est de son mandat de faire progresser le dossier à l’intérieur du monde syndical.

Surtout les verbes et les dictées

La Commission des écoles catholiques de Montréal a mis sur pied le programme « J’apprends avec mon enfant. » Analphabètes, des pères et des mères surtout arrivent à se sentir compétents comme parents. Mimi Maltais et Marie d’Amico sont de retour sur les bancs de l’école. Elles sont venues apprendre à lire et à écrire à l’école des enfants. Mimi en a deux, en 6e et en 4e année, Marie a un petit-fils en 3e année. « Ils l’acceptent sans problème; ils sont contents de nous voir dans leur école » , racontent-elles. La décision n’a pas été facile à prendre. « Je n’acceptais pas de ne pas savoir lire et écrire et je me taisais » , avoue Marie. « J’ai commencé presque en cachette, déclare Mimi. J’aime mieux comme maintenant, cinq demi-journées par semaine : je sens plus que j’avance. » N’allez pas vous imaginer que la douzaine d’adultes qui suivent le programme J’apprends avec mon enfant répètent en cœur ba, be, bi, bo, bu ou écoutent l’histoire de la souris qui fait i, i et du fermier qui crie u, u à son cheval. « Nous partons de situations de la vie de tous les jours », explique Lucie Payette, la « maîtresse » de Mimi et de Marie à l’école Garneau, une école primaire de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM). Comme la grande majorité des élèves sont des femmes, nous lisons l’étiquette d’un médicament, le bail, les circulaires des épiceries, les dépliants des services publics. Nous utilisons les journaux locaux dont la langue est simple. Dans les grands quotidiens, nous travaillons seulement avec les gros titres et les annonces classées. Nous donnons aussi la base en mathématiques. Là encore, nous partons de choses pratiques : écrire un chèque, calculer l’économie sur un produit en vente. » Le lien avec ce que font les enfants en classe s’établit de plusieurs façons. On explique le bulletin scolaire. Les parents discutent de leur rôle, des moyens d’aider et d’encourager leurs enfants. On leur fait faire le même genre d’exercices. Par exemple, dans un texte, reconnaître les adjectifs ou les noms, faire des tests où il faut choisir la réponse. Ces mères et ces pères en viennent à se sentir plus compétents comme parents. Ils sont capables de suivre leurs enfants sur le plan scolaire. Tout cela les valorise beaucoup. « J’ose parler avec mes enfants de ce qu’ils font en classe. Avant, je me contentais d’écouter, reconnaît Mimi. J’ai repris confiance en moi. Et pas seulement à la maison! Je n’ai plus peur de ne pas comprendre ou de ne pas me faire comprendre. » « J’ai cessé de rester toujours dans mon coin et j’en suis fière » , enchaîne Marie. Mimi et Marie suivent des cours d’alphabétisation depuis maintenant trois ans. Au début, elles ont trouvé cela très difficile. « Surtout les verbes et les dictées! » Les maths aussi, « les méthodes sont tellement différentes ». Lucie Payette considère que son plus grand défi est de maintenir la motivation de ses élèves. Leurs progrès sont en général très lents. La plupart ont quitté l’école avant la fin du primaire et manquent de confiance en leurs capacités. « De plus, leurs conditions de vie difficiles prennent facilement le dessus. »

En mots simples

Par la parole claire, par l’écrit simplifié, par l’image significative, il y a moyen de rejoindre et d’aider les personnes qui n’arrivent pas à suivre dans un monde de lettres et de chiffres. Comment amener les clientèles les plus défavorisées, qui ont souvent de grandes difficultés de lecture, à utiliser les services mis sur pied pour elles? Comment aider les personnes analphabètes à remplir une formule? A savoir à quoi elles s’engagent lorsqu’elles répondent ou signent un document? Comment s’assurer que les règles de santé et de sécurité, le contenu des conventions collectives sont compris des travailleuses et des travailleurs? L’Année internationale de l’alphabétisation a posé ces questions. Elle a aussi permis de commencer à y répondre. Dans tous les domaines, des efforts ont été faits pour sensibiliser le personnel au fait que de nombreux adultes ont de la difficulté à lire et à écrire. Dans tous les milieux, on s’échange des trucs, on donne de la formation afin de faciliter l’accès aux services et le plein exercice des droits.

La parole est d’or!

Une personne qui ne peut pas lire n’est ni sourde.. . ni débile. Parlons-lui, elle comprendra. Le personnel des services de renseignements téléphoniques doit bannir cette réponse automatique : « Je vous envoie la documentation. » Les personnes analphabètes se trahissent par leurs hésitations. Elles reprennent souvent la même question. Elles répètent mal les informations qu’on leur donne. Ces signes doivent inciter à parler plus lentement, à répéter l’information de façon différente. Il faut parfois leur suggérer de se rendre à un comptoir ou de communiquer avec un organisme qui peut les aider, en donnant le numéro de téléphone et l’adresse. De petites choses font parfois toute la différence. Pour indiquer le chemin à prendre, on insistera sur les points de repère visuels : la couleur de l’édifice, les immeubles et commerces voisins, le drapeau ou une statue. Le personnel au comptoir prendra le temps de souligner les éléments importants d’un formulaire ou d’un dépliant. Il existe des services adaptés. Il est possible, par exemple, de passer oralement l’examen théorique pour obtenir son permis de conduire. Dans le domaine médical, le défi est énorme. Les directives pour se préparer à des examens et la formule de consentement aux soins sont presque incompréhensibles.. . pour tout le monde. Au moment de prendre rendez-vous pour des analyses de laboratoire, plusieurs personnes sont incapables de lire ce que le médecin a coché sur la liste de tests. Il n’y a pas d’autre choix que d’expliquer oralement ce dont il s’agit ou de demander aux personnes de se présenter avec la liste. On parle beaucoup dans les réunions, ce qui n’empêche pas qu’elles sont conçues pour des personnes qui savent lire. Il n’y a qu’à voir la tonne de documents distribués! La personne qui préside l’assemblée a ici un rôle important à jouer. Elle ralentira le rythme des interventions et des débats, ajoutera des explications verbales, s’efforcera de créer un climat d’aisance. La procédure sera ramenée à l’essentiel : ne discuter que d’un sujet à la fois; permettre à et à chacun de s’exprimer à son tour; suivre la même façon de faire pour chaque point à l’ordre du jour. Des responsables de groupes populaires préparent des mises en situation pour présenter la question à discuter. Pour être légal, un avis de convocation à une assemblée syndicale ou à une assemblée de locataires doit être écrit. Multiplier les rappels verbaux et mettre en place une chaîne téléphonique permettent de s’assurer que tout le monde est au courant du jour et de l’heure de l’assemblée. Une jeune maison d’édition de Montréal, La littérature de l’oreille inc., a pensé aux analphabètes. Elle a mis sur le marché trois cassettes de contes lus par des comédiennes et des comédiens professionnels. Ces contes sont aussi imprimés. Les mots difficiles sont indiqués et expliqués. Le coffret comprend également un guide pédagogique. Ce matériel peut donc être utilisé dans les groupes d’alphabétisation.

La pub à son meilleur

Une campagne de publicité a plus de chances de rejoindre tout le monde par la radio ou la télévision. Il y a toutefois quelques conditions à respecter : présenter un seul message à la fois, employer des mots simples, lire le texte à une vitesse modérée, éliminer les jeux de mots, les subtilités. Souvent, ces campagnes orales sont appuyées par une affiche ou un dépliant. Il est important de retrouver partout les mêmes mots et le même visuel. La campagne qui invite les consommateurs à utiliser le numéro 800 pour se renseigner sur la TPS fournit un exemple de ce qu’il.. . ne faut pas faire. Les annonces télévisées font entendre et voir les mots TPS ajoutée et TPS comprise, tandis que les annonces dans les journaux parlent de TPS incluse et de TPS non incluse. Les symboles visuels sont un moyen efficace d’effectuer certaines mises en garde. La Loi sur l’identification des produits dangereux, le Code de la sécurité routière et les manufacturiers de vêtements ont adopté de tels symboles. Attention, ce langage des signes doit aussi être appris! Cependant, il est moins complexe que le langage des lettres et il ne ramène pas les souvenirs pénibles de la petite école. La photo mérite une plus large place. Le CLSC Centre-Sud de Montréal s’est servi de photos pour faire connaître le programme Vigilance des facteurs et pour illustrer toutes les étapes pour s’inscrire. En montrant uniquement ce qu’il faut, on évite la confusion. Ceci est particulièrement important lorsqu’il s’agit de sécurité. La bande dessinée a été utilisée avec succès par l’Office de protection du consommateur pour bien faire comprendre les garanties, les démarches d’achat d’une voiture d’occasion ou les pièges de la vente itinérante. La demande a été énorme au point qu’il n’en reste à peu près plus. La participation aux réunions serait sans doute meilleure si on faisait davantage appel à l’image. Pourquoi ne pas utiliser des graphiques au lieu des colonnes de chiffres pour faire approuver le rapport financier?

Remplissez cette formule!

Où qu’on aille, quoiqu’on fasse, il y a presque toujours une formule à remplir. Pour rejoindre le plus de personnes possible, une formule doit présenter une organisation visuelle claire, avoir un titre bien en évidence. De façon générale, un texte est plus facile à lire lorsque les mots sont d’usage courant et qu’ils comptent moins de trois syllabes, lorsque les phrases sont courtes et complètes. Les renvois sont à éviter. Dans le bail type, les mots moins courants peuvent être remplacés et les phrases raccourcies et construites sur le modèle sujet-verbe-complément. Les réponses écrites peuvent échapper au jargon administratif. Quelques mots changent et le ton devient plus simple, plus proche. Certains journaux, comme le Droit d’Ottawa-Hull consacrent une page aux lecteurs débutants. Les polices d’assurance, les conventions collectives et les feuillets d’instructions pour assembler ou faire fonctionner un appareil sont reconnus pour être difficiles à comprendre et même à lire. Les textes légaux, les textes de contrats et les textes médicaux résistent au courant créé par l’Année internationale de l’alphabétisation pour rendre les textes écrits plus accessibles. S’ils étaient enfin simplifiés, tout le monde, pas seulement les personnes analphabètes, en profiterait largement.