« Dis, tu trouves ça correct que le gars lui dise : « Merci, ma Poule! »
Le samedi matin, Maya, Jasmin et Judith regardent Police Academy, une émission de dessins
animés. Pendant que leurs bouts de chou sont sagement installés devant le petit écran, les parents peuvent-ils de leur côté vaquer à leurs occupations l’esprit tranquille?
« Assez tristement, dans les dessins animés, les fillettes n’ont pas vraiment de petites amies capables de leur proposer des rêves de dépassement, d’indépendance,
d’originalité et de nouveaux rapports entre elles et avec le sexe opposé »
, observe Sylvie Lamarre, auteure de Nos petites amies du samedi matin, une étude sur le
comportement des personnages féminins dans les dessins animés. « Les scènes de violence, elles sautent aux yeux dans ce type d’émissions pour enfants. Toutefois, les
modèles de comportement sexistes me semblaient plus subtils et mieux camouflés sous toutes ces images fascinantes du monde de l’animation. C’est ce que j’ai voulu vérifier.
»
Munie de magnétoscopes, Sylvie Lamarre enregistre et visionne des dizaines de bandes dessinées et établit une grille d’analyse en partie inspirée du code d’éthique en
matière de publicité sexiste du Conseil du statut de la femme. Les personnages féminins, constate-t-elle, sont trois fois moins nombreux que ceux de sexe masculin et ils sont
beaucoup moins actifs. Les Bertha et Délima de même que la plupart des personnages féminins sont majoritairement campés dans des attitudes ou des rôles traditionnels. « Ce
sont des personnages insipides et oisifs à la voix plutôt niaise. On peut à bon droit s’interroger sur le degré de leur quotient intellectuel. Et quand ces figures féminines
exercent des métiers ou ont des activités dites non traditionnelles, rares sont celles qui échappent aux attitudes sexistes. »
Depuis plus de dix ans, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ( CRTC ) s’intéresse à la représentation des femmes et des hommes
dans les médias électroniques au Canada. A la demande du CRTC, le Groupe de recherche sur les jeunes et les médias de l’Université de Montréal a fait l’analyse
statistique des rôles sociaux des personnages dans les dessins animés à la télévision de langue française entre 1984 et 1988. Cette étude démontre que les personnages féminins
sont aussi peu présents en 1988 (22% ) qu’en 1984 (21% ) et « que les femmes apparaissent plus souvent que les hommes dans des rôles au foyer ou familiaux »
.
Johanne Brunet, responsable des achats pour le secteur jeunesse à Radio-Canada, n’est pas surprise de ces résultats. « Il faut comprendre que les achats se font pour une
période de quatre à cinq ans, les dessins animés étant des produits qu’on peut présenter plusieurs fois. »
Elle admet en outre que les diffuseurs commencent à être de plus
en plus sensibilisés à la notion de sexisme, là comme dans tout autre type d’émissions. Elle-même se fait un devoir de refuser toute production qui lui apparaît dévalorisante
à l’égard des femmes même s’il n’y a pas de politique écrite à ce sujet. « Récemment, explique-t-elle, j’ai pu influencer le scénario d’une série de bandes dessinées
coproduite par la France et le Canada. Dans la série Pierre et Isa, ce sera la fille qui générera l’action, celle qui ira de l’avant, celle qui prendra les initiatives.
»
Au Canal Famille où l’on ne diffuse que des émissions pour enfants, la politique est claire : « Pas de violence, pas de sexisme, pas de racisme, disent Louise Dansereau
et Jeannie Fortin, responsables de la programmation. C’est un canal récréatif pour enfants intelligents et nous prévisionnons toutes les émissions en pensant qu’elles
s’adressent à nos propres enfants. D’ailleurs, le réseau des garderies est branché à notre canal et on sait jusqu’à quel point les exigences sont élevées dans ce milieu.
»
De bonnes bandes dessinées, il en existe donc. Mais ce sont souvent celles où les personnages sont des animaux, des êtres légendaires ou encore situés dans un contexte éloigné de la réalité nord-américaine.
Une des tortues Ninja femelle de la fameuse série est policière. Fort bien. Mais « ce n’est pas une lumière »
, constate Judith. L’effort s’est arrêté en chemin.