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Après 25 ans, ou va l’AFÉAS?

Attirer les jeunes femmes, forger des alliances avec d’autres groupes, tenter une percée en milieu urbain: l’Aféas veut secouer ses vingt-cinq années d’existence par une cure de rajeunissement, d’assouplissement et d’ouverture.

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Attirer les jeunes femmes, forger des alliances avec d’autres groupes, tenter une percée en milieu urbain : l’AFÉAS veut secouer ses vingt-cinq années d’existence par une cure de rajeunissement, d’assouplissement et d’ouverture.

« Une chose est certaine », affirme Jacqueline Martin, la nouvelle présidente et militante depuis plus de quinze ans à l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFÉAS), « notre voix va continuer de se faire entendre encore longtemps. Mais comme tout autre groupe, nous devons nous ajuster à de nouvelles réalités tout en conservant nos chevilles traditionnelles que sont l’action et la formation sociale. »

Nouvelles percées

De l’extérieur, on a dit que le portrait sociologique des membres de l’AFÉAS tendait à se dissocier de celui de l’ensemble des Québécoises, ce qu’admet en partie Jacqueline Martin.

« L’âge moyen de nos membres tend à augmenter. Les jeunes restent moins longtemps dans l’association. Comme elles sont pour la plupart sur le marché du travail et ont de jeunes enfants, elles n’ont plus de temps à consacrer au bénévolat. Il nous faudra trouver des formules de militantisme plus souples si nous voulons les garder dans nos rangs et assurer la relève. A cette fin, nous nous proposons de créer une AFÉAS Jeunesse, de promouvoir les rencontres mères-filles, de distancer les réunions mensuelles. »

En plus de vouloir percer auprès de nouvelles clientèles, dont celles des femmes qui sont sur le marché du travail, l’AFÉAS souhaite également se rapprocher des femmes des communautés ethniques. Mais ces dernières sont surtout concentrées dans le grand Montréal, là où justement l’AFÉAS est très peu présente. Il faut se rappeler que l’AFÉAS s’est d’abord implantée dans les milieux ruraux et semi-urbains et qu’elle a très peu pénétré le cœur des grandes villes. Le type d’action de l’AFÉAS correspond-il aux attentes des femmes des milieux urbains? « Cette question devrait être prise en considération en même temps que tous les aspects d’organisation que cela implique, poursuit Jacqueline Martin. De plus, l’AFÉAS doit s’assurer d’une plus grande visibilité en faisant davantage connaître ce qu’est l’association et ce qu’elle a fait depuis vingt-cinq ans. »

Pour Jocelyne Lamoureux, qui mène depuis un an une recherche à l’Université du Québec à Montréal sur la trajectoire de l’AFÉAS, « cette association a et aura encore un rôle à jouer dans le mouvement des femmes au Québec et dans l’avenir du Québec. Pour reprendre une expression qui m’est chère, c’est la voix silencieuse des femmes qui se fait entendre. Quand on fait l’histoire de l’AFÉAS, poursuit la chercheuse, on vérifie en même temps les changements de mentalité, les transformations de la société québécoise. C’est l’illustration parfaite de l’émergence des femmes de la sphère privée à la sphère publique. L’AFÉAS a fait sortir les préoccupations domestiques ou privées des femmes sur la place publique tout en maintenant une continuité avec leurs valeurs familiales de base. En ce sens, l’AFÉAS a pratiqué un féminisme social modéré, un féminisme qui n’est pas en opposition avec le sexe masculin. »

Même si la philosophie de l’AFÉAS a toujours été empreinte d’un esprit de collaboration entre les femmes et les hommes, les membres souhaitent que ces derniers soient davantage associés à leurs projets. « Ce pourrait notamment être le cas dans la poursuite de notre démarche sur le partage des tâches. Les hommes ne sont-ils pas concernés au premier chef sur ce plan? » , ajoute Jacqueline Martin.

Fière et même jalouse de son autonomie, l’AFÉAS veut à ce moment-ci de son histoire élargir ses horizons, manifester plus d’ouverture aux autres groupes féminins, féministes et communautaires.

« Si les Cercles des fermières rejoignent nos préoccupations, par exemple, pourquoi ne pas unir nos forces? », se demande Jacqueline Martin.

Présentes partout

L’AFÉAS compte présentement 25. 000 membres réparties dans 600 cercles locaux dans tout le Québec. On les retrouve un peu partout dans leur milieu immédiat là où-ont-elles manifesté à leur congrès d’orientation-elles veulent intensifier leur action. Elles montent des bibliothèques, exercent des pressions pour faire améliorer les services de santé dont les cliniques de planification des naissances, font adopter des règlements municipaux contre la pornographie. Elles se préoccupent de plus en plus des problèmes d’environnement : recyclage des produits ménagers tout autant qu’assainissement des eaux.

Plusieurs membres de l’AFÉAS ont fait le saut dans l’arène officielle du pouvoir. Elles sont mairesses, conseillères municipales, commissaires d’école, membres de conseils d’administration d’institutions financières, d’établissements de santé et de services sociaux. Ce qui fait dire à Jocelyne Lamoureux qu’elles constituent « les élites locales ». D’ailleurs, la formation qu’elles reçoivent à l’AFÉAS les prépare à remplir ces fonctions. Elles apprennent à travailler en groupe et à défendre leurs points de vue. Elles se familiarisent avec les procédures d’assemblée.

Chaque année, les membres de l’AFÉAS établissent des priorités d’action. Elles ont travaillé sur la formation des filles, la situation des femmes collaboratrices, la reconnaissance du travail au foyer. Ce sont elles qui ont popularisé l’expression « travailleuse au foyer, » en sensibilisant l’Office de la langue française, les municipalités et les directions d’élection de comté à cette appellation.

« Si la société québécoise est aussi éveillée aux questions de condition féminine-et cela est reconnu partout, c’est dû en grande partie au travail de l’AFÉAS, souligne Jocelyne Lamoureux. Ce mouvement a réussi à faire sortir de l’ombre le travail invisible des femmes et depuis sa création, il vise à obtenir une juste reconnaissance de ce travail. »

En pilotant ce dossier, l’AFÉAS a enregistré des gains non pas en terme de chèques de paie mais sur le plan de certaines lois comme celle sur le patrimoine familial. C’est également l’AFÉAS qui a présidé à la formation de l’Association des femmes collaboratrices de leur mari dans une entreprise à but lucratif.

Il faut aussi mentionner l’obtention de la carte de crédit Affinité Desjardins AFÉAS, une mesure qui permet aux membres travailleuses au foyer d’accéder à plus d’autonomie financière.

Dossier d’avenir

L’AFÉAS s’est prononcée sur à peu près tous les grands dossiers de condition féminine et entend approfondir sa réflexion sur les nouvelles techniques de reproduction ou sur l’équité salariale. Il en est un cependant sur lequel elle ne s’est pas prononcée, celui de l’avenir constitutionnel du Québec. Cette décision fut prise à regret, souligne Christine Marion, au moment de quitter la présidence de l’organisme. « Peu importe nos convictions sur l’avenir du Québec et quelles que soient les options retenues, il faut comprendre que les événements qui se jouent en ce moment auront des répercussions sur l’avenir des dossiers de condition féminine. Un organisme qui représente 25 000 femmes devrait être en mesure de dire aux décideurs quelles sont ses attentes. »

Dans cette foulée, la sociologue Jocelyne Lamoureux renchérit : « Au moment où la société québécoise est en train de se redéfinir, il importe que l’AFÉAS prenne de plus en plus de place de façon que cette définition ne soit pas laissée entre les seules mains de spécialistes ou de constitutionnalistes. Cet organisme a fait ses preuves et doit poursuivre, là comme partout ailleurs, cette fonction essentielle qu’est l’expression d’une conscience collective féministe. »