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Sexisme, violence et vidéoclips Plus qu’hier… moins que demain

Si les clips ont l’existence courte, le sexisme, lui, semble promis à une longue vie!

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Si les clips ont l’existence courte, le sexisme, lui, semble promis à une longue vie! Racé, raciste : ces mots de même origine n’ont évidemment pas le même sens. Il en va de même pour sexy et sexiste. Que de jolies filles en jupes strech et talons hauts traversent les clips, là n’est pas le problème. Mais lorsqu’une vingtaine de « nanas » en micro-tenues s’agglutinent, pâmées, autour d’un chanteur mâle en scandant le rythme à coups de bassins évocateurs, là, attention : il y a assurément sexisme à l’écran. Sexe hors contexte, passion violente, caméra baladeuse et voyeuse : sur le chemin qui mène à l’estime de soi et à l’égalité, la femme-vidéo fait du surplace. Régresse même. En 1988, une étude commandée par le Conseil du statut de la femme Sexisme dans les vidéoclips à la télévision pointait 46% des clips; en 1991, le CSF refait l’exercice, histoire d’évaluer le chemin parcouru. François Baby, professeur en communication audiovisuelle à l’Université Laval, ses collaboratrices Johanne Chéné et Hélène Dugas ont passé au crible, du 20 janvier au 3 mars 1991, les vidéoclips diffusés durant les émissions Décompte vidéostar à CFCM-TV (affilié à TVA), Video Hits et Good Rockin’Tonite à CKMI-TV (affilié à CBC) et à Musique Plus. En tout, 338 vidéoclips, dont 223 originaux et 115 reprises. Résultat? Avec la Nouvelle étude sur le sexisme et la violence dans les vidéoclips à la télévision, 55% des clips originaux (soit 122) se retrouvent dans le collimateur, proportion qui passe à 60% si on inclut les reprises, 10% de plus qu’en 1988. Si les clips ont l’existence courte, le sexisme lui, considéré comme la représentation d’attitudes, de paroles et de gestes dévalorisants à l’égard des femmes, semble promis à une longue vie! L’équipe de François Baby a utilisé pour son étude le même baromètre du sexisme qu’en 1988, basé sur la durée et l’intensité des manifestations. Les résultats n’ont sans doute rien d’absolu, mais ils sont révélateurs : le pourcentage de clips très sexistes (dans lesquels les manifestations sexistes comptent pour 50% et plus de la durée de chacun) a plus que doublé en trois ans, passant de 15 à 38% . En 1988, on pouvait par contre se consoler : les productions québécoises, moins nombreuses certes (5% contre 15% en 1991), étaient généralement moins sexistes que les autres. Ce beau temps est fini. Compétition oblige? Nos producteurs ont, à l’évidence, réajusté le tir : la moitié des clips d’ici ont maintenant pris place au rang des vidéos sexistes. Une chose reste constante. Et consternante : les deux tiers des clips qualifiés de sexistes sont rediffusés, contre seulement le tiers pour les autres. En d’autres mots, moins le vidéoclip est reluisant pour la femme… plus elle a de chance d’être vue!

Image peu flatteuse

Dans le monde merveilleux de ces 122 clips sexistes, les femmes sont toutes là… de corps. Pour l’esprit, il faudra repasser. Pas plus qu’il n’y a trois ans, la femme-vidéo ne brille par son intelligence et sa détermination Dix-neuf fois sur vingt, on présente d’elle une image fort peu flatteuse : bête à manger du foin, envahie nuits et jours par une sexualité dévorante pimentée de fantasmes débilitants, passive devant l’homme, j’en passe et sûrement de meilleures. En 1988, 85% des clips renvoyaient ce reflet douteux de la gent féminine. Si « l’éternel féminin », la rêveuse romantique perd du terrain (de 5 à 1% ), la femme heureuse et épanouie se fait elle aussi de plus en plus rare (de 7 à 1% ). Mais, après tout, qui s’en soucie? Pourvu qu’elle ait les yeux d’un ange… et le diable au corps. Cela lui est facile puisqu’on la dote, chanceuse, d’une jeunesse quasi éternelle : de 1988 à 1991, le pourcentage des moins de 25 ans est passé de 77 à 81% . Tant mieux, car une fois franchi le cap fatidique des 35 ans, les choses se gâtent. En général, elle devient laide, s’habille mal, se néglige quoi! Que fait la femme-clip dans la vie? Mais elle danse! En fait, dans les clips où on a pu déterminer avec précision leur champ d’activité, la moitié des personnages féminins exerce des activités artistiques, et la danse l’emporte haut la main ce qui, la plupart du temps, sert de prétexte à présenter la belle comme un objet sexuel. Autrement, en secrétaire, serveuse ou ménagère, la femme-clip donne encore aussi allègrement dans le stéréotype, non plus dans 31% mais-tout de même-dans 20% des cas. Qu’importe! Si l’on se fie aux décors, le travail semble nettement moins la préoccuper. Il y a quatre ans, 27% des clips représentaient des endroits reliés au travail. En 1991, c’est cinq fois moins. Les lieux se font plus… intimistes. Par exemple, on retrouve l’héroïne en salle de bain plus souvent qu’à son tour. Pourquoi? Entre autres, parce qu’elle-et les producteurs! -semblent avoir découvert… l’autosexualité. En 1988, ces manifestations étaient rares, et peu explicites; en 1991, 28% des clips à connotation sexuelle contiennent une référence gestuelle directe et sans équivoque (ensemble de comportements propres à se procurer à soi-même des satisfactions sexuelles comme la masturbation, certaines formes de caresses). Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici d’un jugement éthique, moral. « L’autosexualité appartient habituellement à la vie très privée, explique François Baby. Présenter des femmes s’y livrant sans réserve sur scène ou en pleine place publique devient sexiste parce que cela renforce certains stéréotypes féminins selon lesquels les femmes sont nymphomanes, obsédées sexuelles. De plus, les clips réservent presque exclusivement cette pratique aux femmes. » Autoplaisir ou pas, la femme est plus souvent qu’autrement une voluptueuse allumeuse : la plupart de ses gestes trahissent sa libido en délire (66% en 1988). Assoiffée de caresses, elle s’habille en conséquence : le tiers du temps, la beauté vit sa vinaigrette légère et court vêtue, exhibant camisoles affriolantes, maillots échancrés et autres tenues restreintes presque deux fois plus souvent qu’en 1988. Hier comme aujourd’hui, il semble bien que le vêtement serve surtout à montrer ou laisser deviner au maximum courbes, rondeurs et tutti quanti.

Autrement violents

Depuis 1988, les rapports hommes-femmes ont changé… mais peu évolué : si les personnages féminins se livrent moins fréquemment à des opérations de séduction en bonne et due forme (56 à 35% ), elles se soumettent davantage à la volonté mâle (34 à 40% ). Les relations entre femmes sont, elles, reléguées aux oubliettes, ou presque. Ne regrettons rien : les femmes de 1988 étaient surtout des rivales prêtes à dominer leurs semblables. La violence explicite à l’endroit des femmes aurait, semble-t-il, diminué quelque peu. Présente dans près d’un clip sur trois en 1988, on la retrouve aujourd’hui dans 16% des vidéos sexistes telle que l’équipe de recherche l’a définie : représentation du recours à l’intimidation, à la force ou aux sévices contre une femme et qui a pour effet de porter atteinte à l’intégrité de sa personne ou de menacer de le faire. Des exemples? Jeunes filles agressées, membres d’un couple qui en viennent aux coups, femmes répondant à la violence en brisant tout ce qui leur tombe sous la main. Sans compter la violence d’ambiance (explosion, scènes de guerre… ) et même le vampirisme pratiqué par une femme en réponse à la violence! François Baby souligne cependant qu’au-delà de ces démonstrations évidentes, « un très grand nombre de vidéos contiennent des manifestations ou associations symboliques impossibles à mesurer avec précision pour l’instant. Par exemple, une femme se caresse et, au plan suivant, un mur s’écroule ». Sans compter la puissance du montage, le jeu des contrastes, les agressions sonores. Autrement dit, parfois tout est dans la manière…

C’est pas grave!

« Voyons, c’est pas grave! », crânent souvent les garçons devant les clips olé olé, racoleurs. Les filles sont peut-être un peu plus sensibles au sexisme, mais… « En fait, les jeunes de cet âge-là n’ont pas le bagage nécessaire pour faire la part des choses », estime Francine Duquet, sexologue consultante pour le ministère de l’Éducation (MEQ). Quel fige au fait? Même si Musique Plus cible les 18-34, ce serait plutôt les 9-13, voire les 7-12 qui capoteraient pour les clips. Les jeunes se bâtissent des modèles de comportement, poursuit la sexologue. C’est sûr qu’en voyant exclusivement des images de sexualité immédiate, performante et ultrapassionnée, ils auront tendance à croire que la vie est ainsi faite… et, en plus, à complexer s’ils ne correspondent pas à cela! Il ne s’agit pas d’être réactionnaire ou intégriste. Encore moins de démolir ou condamner les idoles! On veut simplement apprendre aux jeunes à décoder, les aider à faire la différence entre sensualité, sexualité et sexisme. » Le MEQ a donc conçu Clippe, mais clippe égal! , un court métrage déclencheur qui, depuis deux ans, circule abondamment dans le réseau scolaire auprès des élèves du deuxième cycle du primaire et du premier cycle du secondaire, Des jeunes s’inscrivent à un concours de vidéoclips. En élaborant leur scénario, ils découvrent à quel point le sexisme et la violence teintent leur œuvre; ils repartent à zéro, autrement. Une bande dessinée illustre les situations délicates; Michel Matignol du groupe Madame, la jeune comédienne Fanny Lauzière, l’animateur Manuel Hurtubise et l’interprète Laurence Jalbert donnent leur point de vue. Mais l’univers des clips est souvent inconnu des enseignantes et des enseignants, donc inquiétant à aborder. Pour leur permettre d’en faire le tour et de mieux utiliser l’outil pédagogique Clippe, mais Clippe égal! et son guide d’accompagnement, le MEQ offre aussi, depuis quelques mois, une session de perfectionnement d’une journée sur la violence et le sexisme dans les vidéoclips aux titulaires du cours de Formation personnelle et sociale; on intègre d’ailleurs les données de la récente étude du CSF. « Pour ces personnes, c’est souvent une révélation, ou tout comme! », constate Francine Duquet.
« Si on les aide à décoder, à être critiques, les jeunes ne verront plus jamais les clips de la même façon. Un jour, après un visionnement, j’ai demandé à des garçons s’ils aimeraient se retrouver tous sur scène, vêtus uniquement d’un cache-sexe, à se trémousser autour d’une chanteuse habillée jusqu’au cou. La plupart sont devenus gênés, mal à l’aise : ils commençaient à voir les choses d’un autre point de vue! »

Les insolences de la caméra

La forme du védioclip reste, encore et toujours, agressivement au service… des formes : 61% des cadrages sont des plans ou des très gros plans de l’anatomie féminine. Le plan rapproché poitrine est très couru et, une fois sur quatre, on double son effet en le mixant à une contre-plongée, histoire de gonfler l’objet du désir. La moitié inférieure du corps féminin a souvent droit à un traitement particulier : le cadrage se fait « à hauteur d’yeux », comme si on y était… Ce genre d’images simule une situation de grande intimité, l’œil de la caméra faisant du spectateur un voyeur complice. Les aller-retour de la caméra sont également éloquents : le panoramique glisse sur le corps féminin dans 52% des vidéos, tandis que le travelling trahit un but avoué dans 45% des cas. Parfois le mouvement se fait circulaire, enlaçant le corps des seins au bassin. Et pour que le public soit vraiment tout proche, à fleur de peau, zooms à répétition! Le choc du montage vient encore ajouter au propos. Vingt-neuf pour cent des vidéos proposent un corps féminin « en aggloméré » : les parties du corps se bousculent dans une succession de gros plans. Dans l’ordre parfois, dans le désordre plus souvent qu’autrement. Chaque morceau devient une pièce détachée; on peut refaire le casse-tête… si désiré. Concentrés, contrastés ou nettement violents dans 60% des vidéos, les éclairages ont peu changé depuis 1988 (57% ). Ils servent souvent à faire toute la lumière sur l’intimité de la femme, dévêtue en tout ou en partie, le reste du décor étant plongé dans une obscurité totale. Trente et un pour cent des clips optent carrément pour le noir et blanc, qui sert presque toujours à envelopper les femmes d’une ambiance sexuelle. Enfin, une foule d’effets très spéciaux (gel d’images, fondus, multiplications d’images, flous, accélérés… ) sont mis, plus encore qu’en 1988, au service des sens.

Moralisme, pruderie que tout cela?

Voilà un portrait d’ensemble qui n’est pas rose, rose. Au Programme d’aide à la production de vidéoclips du ministère des Affaires culturelles, on prend note. Les producteurs subventionnés doivent déjà s’engager à réaliser un clip non sexiste et non violent, stipule clairement un critère du programme. « Au moment de prendre sa décision, le jury n’a devant lui qu’un projet, explique Claude Roy, responsable du programme. Le produit final est parfois difficile à prévoir. Bien sûr, s’il y avait vraiment un problème en bout de piste, on pourrait bloquer la subvention. Jusqu’à maintenant, la question ne s’est pas posée. » Toutefois, ce programme de soutien est loin de financer l’ensemble de la production locale. Il a permis de subventionner environ 10% des 106 nouveaux clips québécois qui, selon l’ADISQ, ont été diffusés l’an dernier. Sans parler des clips d’ailleurs. Alors, comment changer les choses? « C’est très clair. On a l’intention de travailler de plus près avec l’industrie, soutient Sylvie Petitpas, responsable du dossier au Conseil du statut de la femme. Nous comptons utiliser l’étude pour un large travail de sensibilisation, auprès des diffuseurs et des animatrices et animateurs d’émissions vidéo. » A Musique Plus, les vidéos traverseraient, dit-on, deux filtres… internes avant de passer la rampe. De toute évidence, prouve l’étude, certains clips sexistes ou violents se glissent aisément entre les mailles de ces filets. « Et quand l’animatrice présente l’un d’eux comme extraordinaire, , ca n’aide pas beaucoup!, estime Sylvie Petitpas. Sans les dénoncer ouvertement, il y aurait peut-être moyen de ne pas en faire la promotion outre mesure. » Le CSF veut aussi agir auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui ne semble pas se soucier encore beaucoup de l’impact du nouveau média. Ou si peu : dans son dernier rapport sur l’image des femmes dans les émissions et la publicité, il ne consacrait qu’une seule page aux vidéoclips. Informer, éduquer, multiplier les actions. Pour ce faire, le CSF compte beaucoup sur des organismes qui partagent le même objectif : Evaluation-Médias, groupes de femmes, ministères des Affaires culturelles, des Communications, ministère de l’Éducation par lequel on espère rejoindre les comités de parents et les jeunes. Parce que les consommatrices et les consommateurs, ce sont eux. Et l’industrie, c’est connu, a l’épiderme très sensible aux pressions de son public. « Si on les sensibilise, soutient Sylvie Petitpas, les jeunes seront plus attentifs, et réagiront. Pourquoi n’appelleraient-ils pas une station pour dire qu’ils en ont ras-le-bol d’un clip sexiste? » Moralisme, pruderie que tout cela? « C’est bizarre, s’étonne François Baby, quand on voit des manifestations de racisme, tout le monde est d’accord pour respecter un code d’éthique. Quand on parle de réduire le sexisme, on crie tout de suite à la censure. Pourquoi? »