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Une vie dans les maquiladoras

Des salaires de famine, un environnement pitoyable qui rappellent les débuts de l’industrialisation:

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Des salaires de famine, un environnement pitoyable qui rappellent les débuts de l’industrialisation : ce sont pourtant les géants de l’industrie moderne qui offrent ces conditions de travail à des centaines de milliers de Mexicaines. Ines Elida Fiera habite l’un des bidonvilles de Ciudad Juarez, à la frontière des États-Unis. Après une longue journée de travail, elle retourne aux quatre murs qui lui servent de maison. Des matériaux, trouvés par hasard, ont été utilisés pour sa construction. Ines travaille depuis quatre ans pour une compagnie japonaise de haute technologie. Elle doit travailler debout sur une chaîne de montage, à un rythme très rapide. L’hiver, quand il fait froid, l’usine n’est pas chauffée. L’été, elle n’est pas aérée. Plusieurs employées démissionnent à cause de la chaleur.

Les maquiladoras

Ines Elida Fiera est l’une des 350 000 employés qui travaillent dans les usines de transformation, les maquiladoras, situées principalement à la frontière des États-Unis. D’immenses parcs industriels, installés au cœur de la ville, peuvent réunir jusqu’à 300 usines ultramodernes. Depuis 1965, le gouvernement mexicain a ouvert des zones franches, soit des enclaves où les compagnies étrangères peuvent s’installer. On y trouve les géants de l’industrie moderne : General Motors, Ford, Philips, General Electric, RCA. Ces compagnies importent la totalité de leurs pièces au Mexique. Elles y sont assemblées par une main-d’œuvre bon marché, puis réexportées au pays d’origine. La compagnie étrangère ne paie de frais de douane que sur la valeur ajoutée par le travail de l’employé mexicain, une somme minime. Parce qu’elles profitent d’un régime fiscal très avantageux, il y avait 12 usines qui employaient 3 000 personnes. Cent fois plus nombreuses aujourd’hui, leur croissance devrait se poursuivre au même rythme pendant plusieurs années. La main-d’œuvre des maquiladoras est féminine à plus de 60% . Les employeurs préfèrent engager les femmes qui ont de jeunes enfants. A cause de leurs responsabilités familiales, elles sont moins portées à revendiquer de meilleures conditions de travail.

Un salaire dérisoire

Les conditions de travail dans les maquiladoras rappellent les débuts de l’industrialisation. Comme opératrice, Ines est celle qui gagne le moins dans l’entreprise, soit environ 30 $ par semaine. La maison où Ines habite, située en plein bidonville de Ciudad Juarez, coûte 45 $ par mois. Ines est chanceuse : là où elle habite, elle a accès à l’eau et à l’électricité. Mais lorsqu’elle a défrayé les coûts pour ces services, il lui reste en tout 15 $ par semaine. « Un pantalon coûte 15 $. Si tu en achètes, tu ne manges pas cette semaine-là » , dit-elle. Avec sa famille, elle partage un kilo de tortillas pour sept personnes par jour. La viande est réservée à la fin de semaine. Le reste du temps, on mange des patates et des haricots. Pour augmenter son revenu, Ines peut espérer recevoir un bon distribué par sa compagnie. Ce bon permet de se procurer un kilo de viande au magasin d’État. Les bons sont très importants pour compléter son salaire. Mais si l’employée arrive au travail avec quelques minutes de retard ou si elle s’absente pour une journée, elle perd le bon.

Travail dangereux

Les employés des maquiladoras doivent travailler pendant de longues heures en gardant la même position. Avec les années, des maladies de toutes sortes se développent. Les employés ressentent des douleurs à la taille, aux épaules ou aux jambes, selon la position qu’ils doivent tenir. Plusieurs développent des problèmes de circulation à force de travailler debout toute la journée. Des problèmes oculaires apparaissent chez certains employés, ce qui les amène à commettre des erreurs. Selon Teresa Almada Mireles, intervenante dans les quartiers populaires de Ciudad Juarez, « ces maladies ne se manifestent qu’à long terme et l’Instituto Mexicano de Seguro Social ( IMSS ) considère que ce sont des maladies personnelles. Les compagnies n’ont jamais à payer de dédommagement. » Les accidents de travail sont fréquents dans les maquiladoras. Plus de 20. 000 cas ont été enregistrés par l’IMSS en 1990, dans l’État du Chihuahua seulement. Mais dans 75% des cas, la faute a été attribuée à la négligence des employés, 25% seulement aux conditions peu sécuritaires de l’entreprise. Pourtant, entre novembre 1990 et mai 1991, les journaux de Ciudad Juarez ont rapporté six accidents mortels survenus au travail. Le 28 mai, 200 employées de la compagnie RCA ont été intoxiquées à la cafétéria de l’entreprise. Selon un employé de la RCA, les réfrigérateurs de la compagnie étaient tombés en panne la veille, mais on a décidé de servir quand même le poulet décomposé. Une des employées, Alicia Vela Papoja, 22 ans, a perdu la vie. Quatre employées ont dû être hospitalisées et les autres ont eu besoin de soins médicaux. L’époux d’Alicia Vela, Martin Lopez Meraz, n’a reçu qu’une indemnité de 50% pour les frais funéraires de son épouse. La compagnie n’a pas relié la mort de sa femme à un « risque de travail ». Le travail dans les maquiladoras est fait sous surveillance constante de superviseurs. L’assiduité, la ponctualité et la vitesse de chacune et chacun sont étroitement surveillées. Maria del Rosario Roque travaille pour la même entreprise depuis treize ans et demi. Elle en a vu plus d’une au cours de ces années. « Mes superviseurs sont des despotes, dit-elle. Ils exigent beaucoup de nous. cinq minutes de retard et on vous retourne chez vous. » Une jeune employée, Mercedez Godines, a quitté son emploi après une dispute avec sa superviseure. Elle était allée aux toilettes sans permission. Mercedez refuse maintenant de retourner travailler dans les maquiladoras. De toute façon, dit-elle, elle se mariera bientôt… Selon Teresa, le rôle principal des superviseurs est d’empêcher les travailleurs de se syndiquer. « Seulement 10% des maquiladoras ont des syndicats, qui ne sont jamais indépendants. » Au Mexique, les syndicats les plus importants sont contrôlés par le gouvernement. La constitution mexicaine reconnaît le droit d’association. Mais dans la pratique, la loi n’est pas suivie. Tenter de former un syndicat, c’est risquer de se faire mettre à la porte.

Un tissu social en décomposition

Ayant toujours vécu à Ciudad Juarez, Teresa a vu l’industrialisation transformer sa ville. Elle aide les gens des bidonvilles, presque tous employés des maquiladoras, à s’organiser pour faire pression sur le gouvernement municipal. C’est le seul moyen d’obtenir des systèmes d’égout, des installations sanitaires et de l’eau dans ces quartiers. « Des gens peuvent vivre trente ans dans un bidonville sans qu’un système d’égout ne soit installé. Pourtant, le gouvernement est en train d’aménager un nouveau parc industriel pour les maquiladoras. L’eau, l’électricité, tout est déjà installé et payé à même les fonds publics. » Selon Teresa, les jeunes sont les plus affectés par l’industrialisation. « Ils n’ont pas d’avenir, sauf le travail à la chaîne dans les usines. Plusieurs ne terminent pas leurs études secondaires parce que ça ne vaut pas la peine. Plusieurs aussi se droguent pour s’évader en inhalant des substances très toxiques comme de l’alcool ou du pétrole. Ils rêvent surtout d’aller vivre aux États-Unis en espérant y trouver une vie meilleure. »