Le retrait de l’avortement du Code criminel depuis 1988 n’a pas entraîné de vide juridique puisque, comme tout acte médical, l’avortement est assujetti aux lois qui
régissent la santé et la pratique médicale. Mais s’il n’y a pas de vide, il y a un manque, à la fois dans l’accessibilité et dans l’universalité.
De la façon dont les services d’interruption volontaire de grossesse sont actuellement implantés au Québec, les femmes de Lanaudière, de Chaudière-Appalaches et du
Nouveau-Québec ne trouvent strictement aucune ressource disponible dans leur propre région; celles de vastes régions comme le Bas-Saint-Laurent, l’Abitibi-Témiscamingue ou la
Côte-Nord doivent nécessairement frapper à la seule porte des centres hospitaliers de Rimouski, de Rouyn-Noranda ou de Baie-Comeau les Montréalaises, plus choyées, ont accès à
tous les types de ressources, la plupart publiques et gratuites, quelques-unes communautaires et d’autres privées non gratuites.
Présents en 158 points du territoire québécois, les centres locaux de services communautaires (
CLSC) ne sont
pourtant que 12 (alors qu’on en comptait 14 jusqu’en 1984) à offrir un service d’avortement, 10 concentrés à Montréal, Longueuil et Laval, un à Chicoutimi et un à
Drummondville.
Au-delà d’une accessibilité défaillante, les femmes qui ont recours à une
IVG doivent dans de nombreux cas payer pour ce service. L’absence de politique claire du
gouvernement a entraîné une diminution des ressources publiques et une croissance des ressources privées. Plus du tiers des
IVG (34, 2% ) ne sont pas gratuites. Les usagères
doivent débourser entre 75 $ et 200 $.
Devant ce constat de services soit inexistants, soit incomplets, soit inégalement répartis et gratuits, le Conseil du statut de la femme (
CSF) demande au gouvernement québécois de développer et de consolider un réseau stable de ressources facilement et rapidement
accessibles. Dans l’esprit du
CSF, cela signifie des services d’avortement plus complets dans un plus grand nombre de
centres hospitaliers et de
CLSC; l’élargissement de la gratuité de l’intervention aux cliniques spécialisées
privées et la reconnaissance de l’expertise des centres de santé des femmes par un financement adéquat.
Mais la question de l’avortement, soutient le
CSF, doit être considérée dans le contexte plus large de la planification
des naissances. Aussi le Conseil demande-t-il instamment au ministère de la Santé et des Services sociaux d’intensifier ses campagnes d’information et d’éducation sur la
sexualité, la contraception et la stérilisation. Également de soutenir la recherche et le développement de méthodes contraceptives efficaces et sécuritaires pour la santé des
femmes et des hommes.
Les jeunes sont particulièrement visées. Une adolescente sur huit au Québec devient enceinte. L’échec de la contraception est un des facteurs responsables de ces grossesses
non planifiées. Les adolescentes qui poursuivent leur grossesse se retrouvent souvent dans une situation économique et sociale difficile. Celles qui l’interrompent (17, 2% des
22. 436 avortements pratiqués en 1990 l’ont été chez les moins de 19 ans) sont plus nombreuses à consulter à des stades de grossesse plus avancés, un retard qui les rend plus
sujettes aux complications. Seules trois ressources en avortement, toutes établies à Montréal, offrent des services spécifiques aux très jeunes femmes. A l’instar du Comité
famille-enfance de l’Association des hôpitaux du Québec, le
CSF préconise la gratuité des méthodes contraceptives pour les
moins de 18 ans, le développement de services d’éducation et d’information sur la sexualité et la contraception à l’intention des filles et des garçons, la présence soutenue
des infirmières scolaires dans les écoles. L’interruption volontaire de grossesse pourrait être assortie de counselling pré et post-avortement tant pour les adolescentes que
pour l’ensemble des femmes qui y ont recours.
Avortement et réforme
D’après la nouvelle
Loi sur la santé et les services sociaux, il appartient aux régies régionales d’analyser les besoins de la population de leur territoire et
d’affecter ou d’implanter les ressources pour y répondre adéquatement. Dans un tel contexte, le
CSF soutient que
l’accessibilité et la prestation de services d’avortement nécessitent une perspective interrégionale et nationale que seul le ministère de la Santé et des Services sociaux
peut se charger d’établir. Sinon, craint le Conseil, les inégalités maintes fois observées dans la répartition et l’accessibilité des services d’avortement risquent de se
perpétuer. D’autres questions doivent aussi être abordées au niveau national : la relève médicale difficile à assurer dans le domaine de l’avortement; la formation médicale
qui tarde à intégrer la planification des naissances et les techniques d’avortement dans le programme d’études; le rôle des cliniques spécialisées dans les avortements de
second semestre.
Selon le
CSF, chaque région du Québec devrait offrir des services complets d’
IVG pour le premier trimestre. Pour le
second trimestre, le gouvernement devrait, de façon transitoire, reconnaître le mandat spécialisé et national des établissements qui offrent déjà le service, leur allouer le
budget nécessaire, prévoir un système adéquat de référence et rembourser les frais connexes assumés par les femmes.
Formation des médecins
En planification des naissances et en avortement, la formation des médecins apparaît nettement insuffisante : pas de cours spécifique, connaissance des techniques abortives
obligatoire en obstétrique-gynécologie seulement.
Les médecins généralistes en exercice qui veulent pratiquer des avortements doivent faire leur apprentissage auprès d’une praticienne ou d’un praticien d’expérience. Le
CSF préconise que la formation médicale universitaire comprenne au moins 45 heures obligatoires en planification des
naissances et un stage. Cette formation devrait nécessairement privilégier une approche globale et multidisciplinaire de la santé reproductive.
La pilule abortive
Utilisée en France depuis 1988, puis en Grande-Bretagne et bientôt dans les pays scandinaves, la pilule abortive RU486 n’est pas disponible sur les marchés américain,
canadien et québécois. Méthode non chirurgicale et précoce d’interruption de grossesse, le RU486 a passablement modifié le contexte médical de l’avortement en France et le
CSF croit qu’il en serait de même au Québec. Cette pilule abortive offrirait un choix supplémentaire aux femmes désireuses
d’interrompre un début de grossesse et constituerait pour certaines un substitut à l’avortement chirurgical. Le
CSF souhaite
que le gouvernement fédéral autorise la recherche et l’expérimentation clinique sur le RU486 au Québec et que son éventuelle mise en marché soit assortie d’un contrôle médical
rigoureux quant à la prescription et à l’utilisation.
Cette recommandation, comme toutes celles que contient le document
L’accessibilité aux services de contraception et d’avortement, s’inspire des principes
d’autonomie des femmes et du respect de leur intégrité physique que le
CSF préconise en matière de santé.
Consolider le réseau des établissements, étendre la gratuité de l’intervention aux cliniques spécialisées, intensifier les campagnes d’information sur la sexualité et la
contraception, mieux former les médecins, tout cela reste à faire pour que l’avortement soit plus accessible au Québec.
Le portrait de l’avortement au Québec
Le nombre d’avortements pratiqués au Québec en 1990 s’élève à 22. 436 selon les données de la Régie de l’assurance-maladie du Québec. Toutes méthodes d’avortement
confondues, ils se répartissent ainsi :
95% de ces avortements sont pratiqués avec des méthodes généralement utilisées au cours du premier trimestre de grossesse et 4, 4% avec des méthodes de second trimestre,
surtout chez les femmes âgées entre 20 et 29 ans.
Les lieux de pratique
- Dans le réseau public (65, 8% des avortements) : 27 centres hospitaliers couvrant 12 régions; 12 CLSC dans 5
régions.
- Dans les secteurs communautaire et privé (34, 2% des avortements) : 4 cliniques spécialisées à Montréal; 2 centres de santé des femmes à Montréal et à Trois-Rivières; 1
clinique des femmes à Hull.