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En quête d’un second souffle

Même si le féminisme en milieu étudiant fait du surplace depuis nombre d’années, quelques militantes reprennent le collier.

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Même si le féminisme en milieu étudiant fait du surplace depuis nombre d’années, quelques militantes reprennent le collier. Une tâche ardue…

Il y a moins d’un an, Charlene Nero recevait des menaces de mort pour ses prises de position féministes lors de son élection comme coprésidente de l’Association étudiante de l’Université Concordia (CUSA). Et alors qu’elle circulait paisiblement dans les corridors de l’institution, un individu lui assène un coup de poing en pleine figure. Plus choquée qu’apeurée devant ces démonstrations violentes, Charlene Nero n’a pas baissé pavillon. « Je ne pense pas qu’en arrêtant de donner mes opinions ou de parler de mes options radicales, je serais plus en sécurité. C’est vrai, je ne serais plus une cible publique, mais je resterais une cible privée. »

Coprésidente de la CUSA pour une deuxième année consécutive, l’étudiante en journalisme revendique toujours l’abolition pure et simple de toute forme de sexisme et la suppression de la discrimination auprès des groupes minoritaires. Quelques femmes d’autres universités et cégeps font de même. La réponse du milieu étudiant, militant ou non, se fait trop souvent indifférente pour ne pas dire hostile.

Pour Mélanie Desmarais-Sénécal, secrétaire générale de l’Association nationale des étudiantes et étudiants du Québec (ANEEQ), le cas de Charlene Nero fait ressortir l’absence d’un réseau réel de comités-femmes dans les associations étudiantes. « Si l’Organisation des femmes de l’ANEEQ (ODFA) avait été forte et aux aguets, il y aurait eu une mobilisation. Rien n’a été fait. »

Étouffées par les luttes étudiantes des années 80 et 90, les revendications féministes refont lentement surface. La reprise se fait inégale. Un peu partout, les jeunes militantes doivent d’abord s’assurer du respect des acquis. Progressiste, le milieu étudiant militant? « Ce n’est pas toujours évident! », rétorque Mélanie Desmarais-Sénécal. Même au sein de l’ANEEQ, qui représente 18 associations étudiantes, les filles doivent régulièrement défendre les positions antérieures favorisant l’égalité. L’alternance des interventions des hommes et des femmes au micro lors des congrès, l’autonomie et la non-mixité de l’ODFA font toujours l’objet de remarques qui les remettent en cause. Les gars se sentent bousculés et peu d’entre eux admettent facilement la légitimité du féminisme. Les cas de discrimination et de harcèlement sexuel n’épargnent pas les exécutifs des associations étudiantes. Pour les militantes, il s’agit de reprendre le collier de la sensibilisation et de l’information. Presque un retour à la case départ puisque même l’ODFA battait très faiblement de l’aile depuis plusieurs années.

L’ODFA peut-elle revivre?

Dans une petite salle de l’UQAM, une quinzaine d’étudiantes participent au forum des femmes, une journée de réflexion précédant le congrès général de l’ANEEQ, une tentative de « redémarrage » de l’ODFA. La première invitée brosse un historique du mouvement des femmes au sein des associations étudiantes. Simonne Monet-Chartrand séduit son auditoire. Les anecdotes se succèdent rapidement. On rit. Le message passe. « Je crois au regroupement. Mais mettre sur pied un comité-femmes exige beaucoup de ténacité, d’imagination… Je crois à la responsabilité individuelle qui mène à la responsabilité collective. J’ai beaucoup confiance en vous, les jeunes. » A 73 ans, Simonne Monet-Chartrand réussit encore à insuffler le goût de la lutte. Dominique Daigneault du Centre des femmes de Verdun ajoutera au tableau historique la portion plus récente, celle des débuts de l’ODFA.

L’Organisation des femmes de l’ANEEQ a connu son apogée peu de temps après sa création en 1981. L’organisation a mené deux campagnes nationales en 1983-1984. Celle sur la violence faite aux femmes a été un succès dans plusieurs cégeps. « Par la suite, il y a eu des hauts et des bas explique Dominique Daigneault, ex-membre de l’ODFA. On peut tenter d’expliquer le flottement du comité-femmes par le besoin que nous avions de nous engager dans des dossiers chauds comme l’avortement. On s’est préoccupées des luttes fondamentales puisqu’il s’agissait des derniers remparts de l’individualité des femmes. »

Créer des liens stables

Julie Leblanc du comité-femmes de l’UQAM croit que l’accent mis sur les luttes à court terme a justement empêché la transmission des acquis. « Il faut créer des liens qui soient stables et non pas se tourner seulement vers les actions spontanées. Nous devons faire de la lutte des femmes un discours continu dans le milieu de l’éducation. De plus, il faut des structures à long terme pour éviter que les générations suivantes ne refassent les mêmes luttes. On est dans un véritable cercle vicieux, ajoute-t-elle. Tant que l’ODFA ne fonctionne pas, elle ne peut aider les comités-femmes à repartir. Et tant que les comités-femmes n’existent pas, l’ODFA ne peut repartir! »

Ce jour-là, ces étudiantes parmi les plus convaincues ont tout de même esquissé un plan d’action. Elles veulent créer un réseau d’information qui permettra, entre autres activités, la remise sur pied des comités-femmes locaux. Un groupe de travail tentera d’élaborer une charte des droits des étudiantes qui tiendrait compte de leurs conditions socio-économiques et du contexte pédagogique. Le groupe veut aussi revaloriser la position prochoix de l’ANEEQ et préparer des actions nationales pour souligner des événements comme celui de la tuerie de Polytechnique. Autre dossier qui fera l’objet d’une attention spéciale : l’histoire des femmes qu’on voudrait voir inscrite comme cours obligatoire dans le cursus scolaire.

Prochaine étape : recruter, grossir les rangs des quinze. Le militantisme féministe a-t-il quelque attrait pour les étudiantes? « Je pense que maintenant les filles ont peur de porter l’étiquette de féministe, répond Julie Leblanc. Il existe un tabou autour des comités-femmes. Certaines filles pensent que l’égalité est atteinte. » Mélanie Desmarais-Sénécal abonde dans le même sens. « Les étudiantes peuvent maintenant se diriger vers les sciences pures, le génie et les finances, rien ne les en empêche, mais plusieurs ne réalisent pas ce qui se passe. Pourtant, il y a une augmentation de la violence, de la pornographie et l’équité salariale est loin d’être gagnée. Les causes demeurent plus difficiles à percevoir. »

Dans les cégeps du Québec, les comités-femmes sont rares et fonctionnent couci-couça. Dans les cégeps de Limoilou et de Rosemont comme à François-Xavier-Garneau (Québec) trois étudiantes tentent de donner un second souffle à leur comité local. Andrée Pelletier compte organiser une dizaine de soupers-causeries sur des questions touchant les femmes : « Même si les filles n’osent pas s’avouer féministes, elles participeront à des activités qui touchent leur quotidien. L’an dernier, j’ai organisé un souper-causerie sur l’anorexie et la boulimie. La réponse a été très encourageante. » Agée de 20 ans, Andrée Pelletier s’affiche comme féministe. Elle ne rate pas une occasion de faire passer son message. Dans un cours sur la communication orale, Andrée Pelletier sort de son sac le livre Parole de femme d’Annie Leclerc et commence à lire. La salle réagit bien, « un mélange de malaise et d’approbation », se souvient-elle. Au cégep de Limoilou, Sonia Bergeron-Laliberté avoue qu’elle devra travailler « à redorer l’image du comité-femmes qui n’est pas perçu comme un organisme sérieux. » Isabelle Goupil du cégep de Rosemont cherche toujours le moyen pour que les femmes répondent à ses « appels à l’implication ». Seule personne au sein du comité, elle croit que le désengagement actuel ne fait que refléter une attitude généralisée dans le mouvement étudiant. « Il faut monter un réseau d’information ». constate-t-elle.

A Concordia et à l’UQAM, les deux seules universités membres de l’ANEEQ, le féminisme a repris progressivement de la vigueur. Devant le laxisme de l’UQAM à sévir dans les cas de harcèlement sexuel malgré l’existence d’une politique officielle, les militantes du comité-femmes ont répondu par la mise sur pied de la Brigade rose en août 1992. Vêtue de rose, le visage peint en blanc, la brigade mixte veut dénoncer pacifiquement et silencieusement les cas de harcèlement. Une fois les plaintes vérifiées, « on se pointera dans les cours, les lieux de travail ou les bureaux administratifs puis on s’assoira sans dire un mot à la personne harcelante », précise Julie Leblanc. La Brigade rose veut de plus offrir un service de raccompagnement par quartier les soirs de fêtes étudiantes. Le comité-femmes travaille aussi à la mise en place d’une halte-garderie pour accommoder les mères étudiantes.

A Concordia, les choses bougent : projets de recherche sur le sexisme dans les classes, évaluation de la sécurité sur le campus et révision de la politique de harcèlement sexuel. L’Association étudiante créait en septembre 1992 un bureau sur la situation des femmes. En plus des groupes autonomes, la CUSA finance plusieurs comités dont la coalition pour des études lesbiennes et le collectif prochoix. « Je pense qu’il n’y a pas qu’un seul mouvement des femmes, soutient Mme Nero. Nous avons des intérêts différents, alors pourquoi essayer de former un seul bloc? Nous avons besoin de travailler séparément sur des problèmes spécifiques et ensemble sur des causes plus globales. C’est pour cela que nous avons plusieurs groupes et que nous avons du succès. »

Charlene Nero croit que la réussite de l’action des femmes doit nécessairement passer par « des féminismes ». Pour la secrétaire générale de l’ANEEQ, le nouveau féminisme doit tabler sur une prise de conscience collective. Mélanie Desmarais-Sénécal mise sur l’information et l’éducation pour y arriver, au sein même du milieu étudiant en priorité. Car face aux luttes des femmes, celui qu’on qualifie de « mouvement progressiste » oscille toujours entre le grand bond en avant et le petit retour en arrière.