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La planète version femmes

Le Forum global qui s’est tenu en marge du Sommet de Rio a montré que la solidarité entre les femmes du Sud et celles du Nord est possible!

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Le Forum global qui s’est tenu en marge du Sommet de Rio a montré que la solidarité entre les femmes du Sud et celles du Nord est possible! « Chaud, humide, étourdissant de monde, d’activités, d’informations, d’échanges, l’enthousiasme était palpable » , se rappelle avec ravissement France Tardif. « Les femmes avaient leur tente, enchaîne Denise Brouillard, la Planeta Femea (planète féministe pour un meilleur environnement). Trois mille femmes de tous les continents l’ont fréquentée. La moitié ont participé activement aux discussions et aux ateliers dans un bel esprit de solidarité et d’entraide. Malgré les différences d’opinions, il y avait une grande ouverture aux autres. Chacune pouvait dire ce qu’elle pensait. » « Les femmes du Nord et du Sud ont parlé d’une seule et même voix », relève avec fierté Aoua Bocar Ly, une Sénégalaise. Ces trois femmes étaient à Rio en juin 1992 au Forum global, tenu en marge du Sommet de la Terre. Leurs propos tranchent avec le goût amer laissé par la rencontre officielle des grands de ce monde qui a fait ressortir les divergences d’intérêts plus qu’elle n’a rapproché dans l’action. France Tardif, directrice de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, et Aoua Bocar Ly, qui termine un doctorat en sociologie de l’environnement à l’Université de Montréal, représentaient le Comité québécois femmes et développement de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale. Aoua Bocar Ly représentait en outre le Réseau des femmes africaines, formé en avril 1992 lors d’une réunion préparatoire au Sommet de Rio. Denise Brouillard a participé au Forum par l’entremise de son association avec le Centro Informaçao Mulher (Centre d’information des femmes) de Sao Paolo où elle résidait alors avec sa famille dans le cadre d’un projet CSN-ACDI. Le Forum global a réuni à Rio 2500 organismes non gouvernementaux (ONG) et 20. 000 personnes. Malgré ses allures de foire et de carnaval, il a permis de débattre des vrais problèmes et posé les vraies questions. On y a signé une trentaine de traités, les uns portant sur des sujets abordés par la conférence officielle (les changements climatiques, biodiversité, forêts, financement du développement durable), les autres sur des questions qu’elle a négligées (notamment le militarisme, la dette des pays pauvres, la surconsommation des pays riches, l’éducation à l’environnement). Les femmes ont été très actives au Forum global. Leur présence au sein des ONG et les activités de Planeta Femea témoignent d’une contribution remarquable et remarquée. Certains ont même qualifié le forum de « sommet des femmes ». Le traité sur la population, l’environnement et le développement a été négocié sous la tente des femmes, d’où son appellation familière de « traité des femmes ». Aoua Bocar Ly raconte : « On en a discuté tous les jours de 19 h à 21 h avant de le présenter en plénière où 34 amendements, venant principalement des femmes du Sud, ont encore été apportés. C’est vous dire à quel point la question a été examinée à fond et à quel point les femmes du Sud et du Nord se sont mutuellement écoutées. »

Ressources mal réparties

Ce traité conteste la théorie qui fait de la surpopulation du Tiers-Monde la principale cause de la dégradation de l’environnement. « Cela revient à dire, explique France Tardif, que les pauvres sont responsables de leur propre misère et qu’en plus, ils sont responsables de la destruction de la planète. » Ce n’est pas l’accroissement de la population qu’il faut accuser. C’est la nature même des systèmes économiques basés sur une logique marchande et une consommation effrénée. C’est le fait que 74% de la population ne dispose que du cinquième de la production et des richesses de la terre. « Le sous-développement du Sud est le pendant du développement du Nord, soutient Aoua Bocar Ly. Le problème, c’est la mauvaise répartition des ressources et la pauvreté, non pas le surpeuplement ou la croissance démographique accélérée. » La preuve en est que dès que les conditions sociales, économiques et de santé des femmes s’améliorent et que le niveau de vie général d’une population augmente, la natalité chute. Blâmer le taux de fécondité des femmes conduit à vouloir réduire le nombre de pauvres par le contrôle des populations, une tendance qui s’affirme depuis le milieu des années 70. Ainsi, les femmes des milieux ruraux du Bangladesh n’ont plus droit aux services de santé après deux accouchements. Au Sri Lanka, la stérilisation est payée 500 roupies, et les femmes qui la refusent se voient retirer leur droit de travailler. Des contraceptifs tels le Depo-Provera et le Norplant ont été testés, en quelque sorte, sur les femmes du Tiers-Monde puisqu’ils ont été largement utilisés avant même que leurs effets secondaires ne soient connus. « Au Brésil, dit Denise Brouillard, les femmes recourent à certaines mesures sur une base qui n’est pas toujours volontaire. J’ai vu des candidats aux élections « acheter » des votes en payant la stérilisation. Résultat : 44% des Brésiliennes en âge de procréer qui vivent en couple sont stérilisées contre 7% dans les pays industrialisés. » Le traité sur la consommation ajoute aux 3 « R » du credo des environnementalistes-Réduire la consommation des ressources, Réutiliser les biens et Recycler-trois nouveaux « R, » : Réévaluer le système des valeurs, Restructurer les systèmes économiques et Redistribuer les ressources. La dette des pays du Tiers-Monde est un obstacle majeur à leur développement. Plusieurs pays doivent consacrer une grande partie de leurs revenus à payer leur dette extérieure. « Ils ne peuvent en même temps, souligne France Tardif, soutenir des services de santé, des programmes sociaux et des services de planning des naissances. » Cette question est éminemment politique, plusieurs pays réclamant l’élimination de leur dette envers le Nord. « Ils considèrent, poursuit France Tardif, qu’ils ont déjà amplement payé, car leurs ressources ont été souvent surexploitées, si ce n’est épuisées au profit des pays industrialisés. » « Aussi longtemps que 20% de la population de la planète continuera d’accaparer 80% des ressources et de l’énergie mondiales, la puissance militaire sera utilisée pour maintenir cette situation injuste, décrète le traité sur le militarisme. La pauvreté et la faim engendrent des tensions et des pressions que seule l’oppression militaire peut garder en place. » Or, le militarisme détruit la terre et les diverses formes de vie qu’on y trouve. Il gaspille les ressources naturelles et humaines nécessaires au développement économique et social. D’où l’urgence « de procéder à la démilitarisation, d’abolir la guerre et d’établir une paix durable ». Il est à noter que ce traité élargit la notion de sécurité pour inclure la sécurité personnelle, libre de violence et d’abus sexuels. Le traité sur l’éducation environnementale mérite une mention parce qu’il prolonge tous les autres. L’éducation environnementale n’est pas neutre, elle est fondée sur des valeurs et constitue « un acte de transformation sociale. » L’approche doit être globale et remonter aux causes des problèmes qui menacent l’écologie mondiale. Elle doit « stimuler la solidarité, l’égalité et le respect des droits ». Largement publicisé, le Sommet de Rio a sensibilisé les populations aux défis environnementaux. L’éducation assurera un suivi à cette prise de conscience.

Une dynamique à prolonger

Le Forum global est allé au fond des choses, il a fait entendre la voix du Sud et montré que la solidarité entre femmes du Sud et du Nord est possible. « Cette solidarité doit se poursuivre dans la réciprocité et la perspective d’un enrichissement mutuel, croit Aoua Bocar Ly. Les mêmes problèmes se posent de part et d’autre mais sous des angles différents. Nous parlons de surfécondité et vous de sous-fécondité. Nous avons un problème de jeunesse vous avez un problème de vieillissement. Sur ce dernier point, nous avons des modèles dont vous pourriez vous inspirer. Par contre, vous pouvez faire pression sur vos gouvernements, qui sont les bailleurs de fonds des nôtres, pour qu’ils refusent leur aide aux pays qui n’appliquent pas l’esprit de Rio. Le Sommet de Rio se démarque des autres conférences qui l’ont précédé (Stockholm en 1972 et Nairobi en 1982) par la participation du monde associatif. Les gouvernements n’avaient plus les mains libres. Ils sentaient une pression agissante dont les traités alternatifs sont la manifestation. Cette dynamique doit continuer à jouer. » Dès leur retour au Québec, France Tardif et Denise Brouillard se sont attelées à la tâche de faire connaître Rio et la situation des femmes du Tiers-Monde. En novembre, le Comité québécois femmes et développement a rencontré des porte-parole de l’ACDI et du ministère des Affaires extérieures. « On se prépare pour la conférence mondiale sur les populations qui aura lieu au Caire en 1994 et qui sera précédée d’une conférence préparatoire en septembre 1993, peut-être au Bangladesh. Nous voulons que les délégations officielles reconnaissent nos préoccupations et nos perspectives. Le gouvernement du Canada a accepté de consulter plusieurs ONG après leur avoir donné le temps d’étudier ses documents de réflexion. » Les pays riches ne doivent pas se leurrer lorsqu’ils se disent en faveur du développement durable. Ils devront respecter les principes d’équité et de justice sociale déjà énoncés dans le rapport de la Commission des Nations Unies sur l’environnement et le développement présidée par la première ministre de Norvège Gro Harlem Bruntland. « Le développement durable, rappelle Aoua Bocar Ly, repose sur l’équité entre les nations, entre le Nord et le Sud, entre les hommes et les femmes, entre les générations présentes et les générations futures » . « Cela implique très souvent de voir et de faire autrement » . conclut Denise Brouillard.