Dans les clubs épargne-femmes, on ne devient pas millionnaire, mais on s’enrichit. Et pas seulement sur le plan financier.
« Ça impressionne mon mari de me voir jongler avec des devises étrangères et des dividendes. Ça impressionne aussi mes enfants de me voir dévorer les pages économiques
et commenter les décisions de la Banque du Canada »
. Nicole Raymond n’est pourtant ni économiste, ni gérante de banque. Elle est femme de ménage, mère à sa retraite et
membre passionnée des clubs épargne-femmes.
En 1980, à Sherbrooke, Clarisse Codère travaille auprès des femmes et se rend bien compte que la dépendance financière dans laquelle se trouve la grande majorité d’entre
elles freine leur recherche d’autonomie. Elle créera donc le premier club épargne-femmes afin de mettre en commun des ressources financières et humaines et faire ainsi une
première brèche dans le mur de la dépendance. Depuis, 15 groupes se sont formés, rassemblant 166 femmes dans les régions de l’Estrie, du Richelieu et de Montréal-Est. L’idée
est toute simple : placer ensemble de petits pécules afin d’augmenter le pouvoir économique. Mais l’objectif premier des clubs est surtout d’apprendre. Apprendre comment
fonctionne l’économie, comment elle se dit.
« Je sais maintenant ce que c’est qu’un trust, je connais tous les termes de la bourse, explique Nicole Raymond, qui appartient
au club de Longueuil depuis trois ans. Ce sont des choses qui me permettent de mieux savoir où je m’en vais et ce qui se passe autour de moi »
. Au dernier discours du
budget, elle n’a pas eu le sentiment que le ministre des Finances parlait une autre langue.
Les clubs épargne-femmes sont des groupes d’au moins sept femmes et d’au plus douze. Chaque groupe est formé en société et un contrat de huit ans lie les membres entre
elles. Le contrat prévoit tout : marche à suivre en cas de décès ou de désistement d’une membre, proportion du capital collectif à investir sur les marchés boursiers, etc.
Chaque femme apporte un capital de départ qu’elle augmentera chaque mois. Dans le club de Longueuil, par exemple, la mise initiale est de 100 $ auxquels s’ajoutent 20 $ par
mois la première année. Chaque groupe est autonome dans son fonctionnement interne.
« Les débuts sont toujours très prudents »
, affirme Jocelyne Nelligan, présidente
provinciale de l’
Association des sociétés de développement des clubs épargne-femmes du Québec inc. Progressivement, les membres abordent des sujets aussi divers que
les
REER, l’intérêt, le testament, les assurances, la déclaration de résidence familiale, le mandat d’inaptitude. Avec les années et l’expérience, le goût de l’aventure se
montre le bout du nez et la bourse est sans doute le chant des sirènes pour les investisseuses.
« C’est à qui apporterait les plus beaux titres »
, renchérit Nicole Raymond. Au
besoin, une conférencière ou un conférencier viendra répondre aux questions.
La plupart des clubs tiennent des réunions mensuelles. Les membres réussissent le périlleux exercice de prendre une décision à douze. Et le consensus est obligatoire.
«
C’est peut-être ce qui est le plus difficile »
, constate Jocelyne Nelligan. Ces femmes viennent de tous les horizons : traductrices, propriétaires de salon de coiffure,
médecins, étudiantes, masseuses, réceptionnistes, femmes à la maison. Pas le même parcours, pas la même façon de voir les choses…
Trois membres assument chaque année les rôles de présidente, de secrétaire et de trésorière de leur club. Au cours des huit années que dure le contrat, chaque femme devrait
avoir occupé au moins une fonction.
« On apprend à animer une réunion, à rédiger des procès-verbaux, à préparer des ordres du jour, ajoute Jocelyne Nelligan. Ces
responsabilités permettent d’exercer du pouvoir. La plupart pensent qu’elles ne seront pas capables d’être présidente. Mais ce qu’il y a de bien dans ces clubs, c’est qu’il
n’y a pas de « membres professionnelles »
. On est toutes dans le même bain et on apprend toutes les unes avec les autres ».
« C’est le plus intéressant peut-être, plus
encore que les profits que tu fais, confirme Nicole Raymond. Les femmes n’ont pas été habituées à gérer leurs économies. Habituellement, elles ramasse sous par sou dans un
compte d’épargne qui ne rapporte rien et quand arrive le coup dur, tout leur capital y passe. Dans le club, moi, j’ai découvert d’autres façons de faire qui sont plus sûres.
On ne devient pas millionnaire, mais on s’enrichit, c’est certain. Et pas seulement sur le plan financier. Il faut que les femmes se réveillent et s’approprient leur économie
pour représenter une vraie force de frappe »
.