Aller directement au contenu

Et les hommes seront bien gardés!

Il y a cinq ans, moins de 7,5% des gardiens des 24 centres de détention provinciaux du Québec étaient des femmes. Aujourd’hui, elles constituent 17% de l’effectif.

Date de publication :

Auteur路e :

Il y a cinq ans, moins de 7, 5 % des gardiens des 24 centres de détention provinciaux du Québec étaient des femmes. Aujourd’hui, elles constituent 17 % de l’effectif. C’est le programme d’accès à l’égalité pour les femmes de la fonction publique québécoise, adopté en 1987, qui a donné le coup d’envoi à l’arrivée des femmes dans le milieu de la détention pour hommes. « Quand j’ai appris, il y a six ans, que j’allais être engagée comme gardienne à la prison de Bordeaux, je voyais ça pire que c’était, se rappelle Christine Carette. J’imaginais que chaque jour, on trouvait un pendu dans une cellule ou qu’il y avait des bagarres! » Les pionnières qui, il y a quelques années, ont commencé à infiltrer le milieu des gardiens de prisons pour hommes ont souvent eu bien plus de fil à retordre de la part de leurs collègues masculins que des détenus. Andrée Michaud avait 23 ans en 1984, lorsque le milieu de travail des établissements de détention pour hommes s’ouvre au personnel féminin et qu’elle est engagée, avec une autre femme, au centre de détention de Sorel. « Notre irruption dans ce milieu macho brisait l’image des surveillants… C’était clair, nos collègues ne voulaient pas de nous et ont tout essayé pour nous mettre à l’écart. Ils nous boycottaient, par exemple, en ne nous adressant jamais la parole. Ils étaient 30 à nous observer. Il ne fallait pas faire un faux pas » , révèle-t-elle. Lorsque, au bout de quelques semaines, un gardien a reconnu « Tu sais, tu ne travailles pas si pire que ça… », Andrée Michaud a senti qu’elle gagnerait la partie! Cela lui a quand même pris six mois pour se faire accepter et estimer.

Lentement mais sûrement…

Aujourd’hui, les femmes occupent 255 des 1500 postes d’agents de services correctionnels, dans les centres de détention de juridiction provinciale au Québec. « D’après les analyses du marché du travail, l’effectif féminin pourrait passer de 15 % à 30 % au cours de l’année financière 1993-1994 » , estime Marc-André Laliberté, directeur de la détention au ministère québécois de la Sécurité publique. Dans un centre de détention comme celui de Baie-Comeau, les agentes de services correctionnels détiennent déjà plus de 40 % des postes, soit 14. Les équipes de certains quarts de travail sont essentiellement féminines. Dans les établissements de détention pour hommes, les femmes sont aussi de plus en plus nombreuses à occuper un poste de cadre intermédiaire. En cinq ans, elles sont passées de 9 à 35 sur un total d’environ 300. Quant aux administratrices, elles sont trois, et dirigent les centres de détention de Joliette, Sorel et New Carlisle. Au canada, 719 des 4669 gardiens de pénitentiers sont des femmes, ce qui représente 15, 4 % de l’ensemble des agents de services correctionnels. En 1991, en même temps que l’effectif féminin se renforçait dans les prisons pour hommes, le rôle traditionnel du gardien-ouvrir et refermer les cellules et surveiller les détenus lors des trajets-s’est enrichi. Les gardiennes et les gardiens sont devenus des agentes et des agents de services correctionnels. « Nous avons accès au dossier, les autorités tiennent compte de nos suggestions et si un gars ne file pas, nous l’amenons dans notre bureau pour l’écouter, dit Carole Paulin, agente à Bordeaux. Notre travail est valorisant. » L’arrivée des femmes sur des lieux de travail autrefois exclusivement masculins ne va cependant pas sans résistance. « On s’organise et on va l’avoir! », assure Marc-André Laliberté, un convaincu qui, lorsqu’il embauche du personnel féminin, ne songe jamais à l’obligation que lui fait la Loi sur la fonction publique mais plutôt à la rentabilité. La présence de femmes parmi les agents de services correctionnels a modifié les façons de travailler. « Avant, la virilité avait sa place, du côté des détenus comme du nôtre, raconte Jacques Damphousse, chef d’unité à Bordeaux. En cas de crise, le ton grimpait vite. En observant nos nouvelles collègues, on a réalisé qu’il était possible de sortir d’une crise sans escalade de violence. un a essayé une fois, deux fois, puis le modèle s’est installé et cela fait moins mal » . « Aujourd’hui, l’intervention physique doit être le dernier recours, explique Yves Galarneau, administrateur du centre de détention de Baie-Comeau. Un soir, cinq détenus se sont barricadés dans une salle. Une agente a fini par désamorcer la bombe et les rebelles ont dormi dans leurs cellules » .

Le principe du 2/98

L’argument de l’intervention physique en cas de crise reste le point névralgique de la résistance des agents de services correctionnels à l’acceptation des femmes dans leurs rangs. « Quand ils apprennent ma profession, les gens s’exclament : « Mon Dieu, tu n’es pas tellement grande ni grosse pour une gardienne » , raconte Carole Paulin. Non, nous ne mesurons pas six pieds et ne pesons pas 250 livres! Je n’ai rien d’une Wonder Woman mais je suis capable d’intervenir. Et quand un gars me demande de l’accompagner je sens qu’il compte sur moi ». Ewa Michalkiewicz, qui travaille dans le secteur des récidivistes, est arrivée à Bordeaux au printemps 1992, en pleine semaine des émeutes. Pas question de rapport de force quand, comme elle, on mesure 1, 50 m. « Je côtoie des intervenants de six pieds; je ne les ai jamais vus agressifs mais ils ne se tassent pas non plus. Moi, je connais mes limites », assure Ewa. Les hommes ont tendance à surprotéger les femmes. « L’intervention physique, qui ne représente plus que 2 % du travail, mobilise encore 98 % de la résistance à l’égard des femmes. Ce que j’essaie de vendre aux gars, c’est que cela n’arrive pas souvent et que les femmes sont aussi capables qu’eux d’y faire face; c’est une question individuelle, non de sexe » , affirme Yves Garlarneau. « Quand on introduit des femmes dans un milieu macho et, de surcroît, fermé, il faut que les règles soient claires, précise Marc-André Laliberté. Au début, les farces à double sens et les invitations à peine voilées étaient monnaie courante. Les femmes qui remettaient leurs collègues à leur place se faisaient traiter de lesbiennes » , constate-t-il.

Du côté des détenus

Pour certains détenus, un agent de services correctionnels de 1, 90 m qui pèse 110 kilos, représente un trophée de chasse. C’est à celui qui l’aura. Tandis que dans le cas de sa collègue, personne n’a intérêt à s’en prendre à elle. Carole Paulin se souvient du jour où un de ses confrères l’a prévenue sur son walkie-talkie qu’un détenu retournant à sa cellule avait dissimulé quelque chose dans son soulier. « Je lui demande d’enlever son soulier, il ôte son gilet, je réitère ma demande, il retire ses shorts et son slip… C’est le genre de provocation qu’il n’aurait pas faite avec un homme! » , assure-t-elle. D’autres détenus essaient d’user de leurs charmes pour obtenir une fin de semaine de congé ou de meilleures conditions de détention. Mais, en général, à part quelques tentatives de manipulation, les agentes de services correctionnels ne rencontrent que peu de problèmes avec les détenus. « C’est une question de respect mutuel, note Carole Paulin. Il s’agit de leur donner l’heure juste, des réponses claires à leurs questions. En gang, les détenus affichent des comportements de machos, mais face à face dans mon bureau, cette image-là s’estompe rapidement » .

L’affaire Conway

Le 12 août dernier, la Cour suprême du Canada rendait un jugement unanime dans l’affaire Conway, confirmant ainsi la décision de la Cour d’appel fédérale. Philip Conway, détenu au pénitencier de Collins Bay, en Ontario avait porté plainte en 1985 devant les tribunaux, convaincu que ses droits fondamentaux étaient brimés parce qu’il se faisait fouiller et surveiller par des membres du personnel de sexe féminin, alors que les femmes détenues n’étaient pas soumises à de telles pratiques de la part des gardiens de sexe opposé. Dans ce jugement, la Cour suprême statue, d’une part, qu’il n’y a pas, compte tenu du contexte d’emprisonnement, d’atteinte à la vie privée et, d’autre part, explique pourquoi le traitement différent peut ne pas être discriminatoire. Voici donc quelques extraits du jugement rédigé par l’honorable juge Gérald La Forest de la Cour suprême :
(… ) « En soutenant que les pratiques contestées engendrent un traitement discriminatoire des détenus de sexe masculin, l’appelant souligne que les détenues dans les pénitenciers pour femmes ne sont pas de même soumises à des fouilles par palpation et à une surveillance par des personnes du sexe opposé. La jurisprudence de notre Cour est claire : l’égalité n’implique pas nécessairement un traitement identique et, en fait, un traitement différent peut s’avérer nécessaire dans certains cas pour promouvoir l’égalité. Compte tenu des différences historiques, biologiques et sociologiques entre les hommes et les femmes l’égalité n’exige pas que les pratiques qui sont interdites lorsque des gardiens du sexe masculin sont affectés à la garde de femmes détenues soient également interdites lorsque des agents du sexe féminin sont affectées à la garde d’hommes détenus. La réalité du rapport entre les sexes est telle que la tendance historique à la violence des hommes envers les femmes ne trouve pas son pareil dans le sens inverse, c’est-à-dire en ce sens que les hommes seraient les victimes et les femmes les agresseurs. Biologiquement, la fouille par palpation ou la vérification de la poitrine d’un homme par un gardien de sexe féminin ne soulève pas les mêmes préoccupations que la même fouille effectuée par un gardien du sexe masculin sur une détenue. En outre, dans la société, les femmes sont généralement défavorisées par rapport aux hommes. Dans ce contexte, il devient évident que la fouille effectuée par une personne du sexe opposé n’a pas le même effet pour les hommes que pour les femmes et représente une plus grande menace pour ces dernières ». (… ) « Quoiqu’il en soit, même si l’on considérait que ce traitement différent viole le par. 15 (1), les pratiques en question sont sauvegardées par l’article premier de la Charte. L’affectation de femmes à la surveillance de détenus du sexe masculin, avec toutes les fonctions de fouille et de surveillance qui en découlent, est un phénomène plutôt récent. La réalisation des objectifs gouvernementaux importants de la réadaptation des détenus et de la sécurité de l’établissement est favorisée par l’effet humanisant de la présence des femmes dans ces postes. En outre, cette initiative constitue une application concrète de l’idéal visé par le Parlement, soit l’équité en matière d’emploi. La proportionnalité des moyens utilisés par rapport à l’importance de ces fins justifierait donc la violation du par. 15 (1), le cas échéant »