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La vie devant soi

«Les vieux ne rêvent plus… Leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit», chantait Brel.

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« Les vieux ne rêvent plus. . . Leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit » , chantait Brel. Jolie formule mais holà! Non seulement les aînées rêvent-elles, mais elles agissent, s’engagent, travaillent, contestent. Elles vivent, quoi! Avoir 65 ans ne signifie pas nécessairement battre en retraite.

Beaucoup d’aînées ne correspondent pas à l’image désolante et distordue que l’on brosse trop souvent d’elles : une masse grise sans relief de femmes-âgées-seules-passives-pauvres-malades. D’abord, les mots sont parfois des pièges. Le vocable « personne âgée » englobe en effet des individus qui peuvent avoir jusqu’à 40 ans de différence d’âge : deux générations, parfois trois. . . Mais il y a plus grave : si nier ou occulter les conditions de vie précaires et le triste sort que nombre d’aînées subissent quotidiennement serait totalement absurde, persister à ne montrer que ce versant sombre de la réalité tient tout autant du non-sens. Plusieurs femmes se sentent effectivement à l’étroit dans le moule. Avec raison : leur vieillesse à elles se déroule sous le signe du bien-être et de l’action. C’est d’elles dont il est question ici. Et force est d’admettre qu’écouter parler ces « golden girls » a vite fait de vous dépoussiérer l’aura misérabiliste qui flotte sur cet âge de la vie.

Une coupure après 65 ans? Nenni!

Pour Madeleine Guimont, 80 ans, la distance n’a pas d’importance. Deux fois par mois, elle prend l’autobus Québec-Montréal pour aller suivre ses cours de dessin et de peinture avec sa professeure préférée. « C’est drôle, des moins âgés me disent parfois : « Comment fais-tu? Je ne pourrais pas! » Moi, je suis ravie, ca me repose, je lis. . . Et à l’atelier, je rencontre des plus jeunes, ça me renouvelle! »

Si on lui demande pourquoi, pourquoi ne pas se contenter de laisser tout ca et profiter tranquillo des jours qui passent, elle vous regarde gentiment. De toute évidence, la question lui semble incongrue : « Je continue par besoin d’aller plus loin, de chercher; en art, c’est essentiel. Je ne pourrais tout simplement pas faire autrement! » Voilà l’affirmation clé, celle qu’elles endossent toutes : rester branchée sur la société, ça va de soi. Une coupure après 65 ans? Jamais.

Bien dans leur peau, les plus de 65 ans? La très grande majorité se dit plutôt heureuse, voire très heureuse, selon l’étude du Conseil du statut de la femme Caractéristiques des femmes âgées au Québec. On y apprend aussi que sept femmes sur dix se sentent en bonne santé. Les statistiques sont nettement moins dramatiques que la rumeur publique. Qu’on en juge : trois personnes sur quatre sont parfaitement autonomes; moins de 7 % sont hébergées en centre d’accueil; d’après l’Enquête Santé Québec (1987), la moitié des 65-74 ans n’avaient consulté aucun professionnel de la santé au cours des quatre mois précédant l’enquête. Vlan dans les préjugés! Les battantes à cheveux gris se considèrent tout de même privilégiées de tenir la forme.

Seules, les aînées? Pas tant que ça. Le tiers seulement habite en solo. Et certaines s’en accommodent très bien. « J’avais beaucoup de responsabilités avec mes quatre enfants, mon mari étant mort jeune, se rappelle Noëlla Porter, 68 ans. Alors quand je me suis retrouvée seule, j’ai découvert la liberté. Le silence, quelle merveille! » Dans une enquête menée en 1992 par l’association Femmes de 50 ans et plus de Charlesbourg, l’isolement arrive loin dans l’échelle des préoccupations. . . bien après la pollution et les conflits dans le monde. Dans des universités québécoises, une augmentation de 1700 % (! ) depuis 1975. Fernande Ménard-Langlois, 75 ans, en était. Elle vient de boucler une thèse de maîtrise en psychopédagogie sur le retour de la femme adulte aux études, et prépare un doctorat. « Il faut arrêter de se poser des questions. Et foncer! La connaissance donne du pouvoir», assure-t-elle. Les défis, elle a toujours aimé. Celui d’être reconnue à part entière en représente un. « Un jour, un garçon de 22 ans m’a demandé s’il devait m’appeler grand-maman ou ma tante. J’ai répondu : Je suis une étudiante, comme toi. Appelle-moi Fernande, tout simplement » . Pour les plus intimes, c’est carrément Fern.

La formule appelée « Université du troisième âge», compte aussi ses adeptes. Ici, aucun crédit. Seul bonus, la satisfaction d’en savoir plus. A l’Université Laval, le concept porte le nom d’Entretiens et Ateliers. Aux Entretiens, on aborde la science, la philosophie, l’histoire. . . Les Ateliers sont plus concrets : anglais, rédaction, apprentissage du piano, même. En 1993, on relevait quelque 2000 inscriptions aux 75 activités proposées. Qui-y-vient? Des femmes, à 85 % .

La retraite? Connais pas

La Dre Paule Ladouceur se rend au bureau quatre jours par semaine. Elle fait toujours partie de la population active, comme d’ailleurs 5 % des personnes âgées. Après avoir travaillé tout ce temps, n’a-t-on pas envie de mettre la clé dans la porte? « Après chacun de mes six accouchements, j’ai pensé arrêter, confie-t-elle. Heureusement, je ne l’ai pas fait. Quand j’ai commencé, j’avais une formation de pédiatre. Ayant une famille, je me reconnaissais dans ma pratique; c’était agréable. Par le hasard des choses, je suis arrivée aux personnes âgées. Comme j’en suis une, je retire de mon travail un bénéfice certain » . La retraite? A 73 ans, Paule n’y pense toujours pas. . .

Pour Noëlla Porter non plus, le repos de la guerrière n’est pas encore venu. Elle donne des cours de préparation. . . à la retraite. « Pourquoi je travaille? Le salaire, bien sûr, mais aussi pour la valorisation que j’en retire. Souvent, des hommes et des femmes me disent qu’ils voudraient vieillir comme moi; ça fait plaisir. Vous savez, dans le mot retraite, il y a « retrait». Personne n’a le droit de s’exclure de la société. »

La retraite obligatoire à 65 ans a été abolie en 1982. Le démographe Jacques Légaré pense que le renversement de la pyramide des âges fera en sorte que la société ne pourra plus, dans quelques années, se priver de ses travailleuses et travailleurs vieillissants. « Le concept de Liberté 55, qui encourage les gens à quitter tôt le marché de l’emploi, sera bientôt révolu, soutient-il. En fait, les gens âgés d’aujourd’hui sont en meilleure forme que ceux d’hier, et beaucoup se recyclent. Il n’y aura donc pas de raison de les voir quitter le marché de l’emploi tôt. Je pense que c’est positif : ce sera une bonne façon de contribuer à la valorisation des aînés. La retraite existera évidemment toujours, c’est un gain social, mais il sera admis de la prendre plus tard » . Déjà, parmi les personnes de 50 ans et plus à la retraite, une sur deux aimerait retourner au travail (émission Enjeux, Radio-Canada, 15 septembre 1993).

Travail ou pas, les aînées mettent incontestablement l’épaule à la roue de l’économie. Au cours des 25 dernières années, le groupe des 65 ans et plus a réalisé des gains financiers certains. Le revenu moyen des aînés a notamment augmenté plus rapidement que l’inflation. A l’âge de l’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse, plusieurs femmes se retrouvent d’ailleurs avec de l’argent en poche pour la Première fois.

Environ les deux tiers des personnes retraitées jouissent d’un revenu qui leur permet de vivre convenablement et de verser leur part d’impôt, et de taxes. D’ailleurs, il suffit de regarder autour pour s’apercevoir que, même passé 75 ans, la moitié vont régulièrement au cinéma ou au resto. Plusieurs voyagent. . . parfois beaucoup plus loin qu’on n’oserait l’imaginer à 20 ans. Sœur Lucie Laplante est une championne du genre : à 77 ans, elle a parcouru l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande et la Polynésie durant deux mois et demi avec sa nièce, infirmière en stage. Soixante-sept heures d’avion! « Si j’ai eu peur d’être malade? Non. Et c’est ma nièce qui a attrapé un virus». L’an dernier, à 80 ans, c’était la Turquie, un mois. Demain? La Chine probablement. « J’ai vu les cinq continents, et une bonne partie de ces voyages, je les ai faits depuis que j’ai 65 ans. »

Les aînées se sentent de plus en plus libres de vivre leur vie comme elles l’entendent. Et elles manifestent de plus en plus leur présence. Individuellement, et collectivement. Le gérontoboom leur confère en effet une nouvelle force.

L’Association québécoise pour la défense des droits des retraités regroupe 25 000 membres, dont 75 % sont des femmes. « Vous savez, des femmes âgées passives, j’en connais de moins en moins, tranche Yvette Brunet présidente de l’AQDR. Chez nous, elles prennent la parole; on sent qu’elles se sont tues trop longtemps » . On se rappellera qu’au milieu des années 80, cet organisme mobilisait des milliers de personnes pour manifester à Ottawa contre le projet de désindexation partielle des pensions de vieillesse. Résultat : le gouvernement fédéral a reculé. Plus récemment, elles sont allées à l’Assemblée nationale faire voleter silencieusement de faux 2 $ pour marquer leur désaccord à l’imposition d’un ticket modérateur dans les soins de santé. « Le chantage auprès des aînés, ça ne prend plus, proclame tout net Yvette Brunet. Nous devons nous lever. On ne nous écoute pas? Alors, on met le pied dans la porte! »

L’Association des retraités et retraitées de l’enseignement du Québec s’occupe aussi d’une foule de dossiers pour défendre les droits de ses 12 000 membres, dont 80 % sont des femmes. Cette forte représentation a d’ailleurs mené à la formation d’un comité de la condition féminine. « On veut que les femmes acquièrent de la confiance en elles, les inciter à s’avancer, à prendre leur juste part dans les décisions » , dit la présidente du comité, Fabienne Thibert. L’Association, tout comme l’AQDR, est membre de la Coalition pour les aînés; plus de 500 000 membres au total. Le pouvoir gris affiche ses couleurs.

« Il ne faut jamais lâcher, soutient Simonne Guay. Les gens qui disent « à mon âge ceci, à mon âge cela » , ça me choque». A 80 ans, elle prêche très bien par l’exemple. Elle a fondé, à la fin des années 80, l’association Femmes de 50 ans et plus, en collaboration avec le CLSC La Source, de Charlesbourg. « Je jugeais qu’il fallait s’occuper d’aider les femmes à faire valoir leurs droits. La génération des 50-65 ans me semblait particulièrement démunie, surtout celles qui sont seules». L’association n’est plus, mais Simonne Guay, elle, continue. Actuellement, elle participe à une table de concertation sur la pauvreté.

Les aînées ne donnent pas leur place dans l’action volontaire. Au Québec, une personne de 65 ans et plus sur cinq fait du bénévolat, un apport évalué à plus de 5 milliards de dollars. Les aînées d’aujourd’hui s’investissent à fond dans l’action sociale. Aline Pouliot, 63 ans, participait il y a quelques années à la naissance de la troupe de théâtre Automne avec trois femmes de sa génération. « Nous avons créé Mémoire de femmes pour faire réfléchir les aînées à leur histoire collective et à leurs conditions de vie. A l’origine, nous voulions divertir, oui, mais surtout passer des messages, suggérer des trucs pour mieux vivre, aider les femmes à se prendre en main. En plus, confie-t-elle, je rêvais de faire du théâtre lorsque j’étais jeune, mais dans le temps, vous savez, la religion. . . » Quelque 230 représentations plus tard-au Québec et en Europe-Aline a maintenant soif d’autres défis, l’écriture peut-être. Et puis il y a, oh! trois fois rien, 40 kilomètres à pied chaque année («on campe à la dure, on mange froid») comme responsable du pèlerinage Québec-Notre-Dame-du-Cap. . . Elle s’étonne de nous étonner : « Je suis loin d’être la plus âgée! »

Trois fois la semaine, beau temps, mauvais temps, Marika Szirth, 70 ans, se rend donner un coup de main à la cafétéria de l’Hôpital pour convalescents de Montréal. Le bingo la maison ça ne l’intéresse pas. « J’ai beaucoup reçu; maintenant, c’est le temps de donner», dit cette chaleureuse Hongroise d’origine, qui a connu la guerre et trouve, parfois, qu’autour d’elle on se plaint. . . le ventre plein.

«Si je m’engagerais dans de nouvelles causes? Certainement! » (Léa Roback, 90 ans)

Syndicaliste, féministe et militante pour la paix, Léa Roback est un monument de notre histoire. Mais, à 90 ans, elle n’a rien de la statue figée sur son socle.

« Il y a des femmes qui commencent très tôt à laisser passer la vie. Pourquoi? Je ne sais pas. Moi, je pense qu’on n’est jamais trop vieille. J’arrêterai seulement quand on me mettra dans une boîte! » Un secret pour bien vieillir? « II faut vouloir, et penser un peu aux autres. On ne peut pas vivre pour soi. Au diable mon « moi! » Et aussi, surtout, garder l’enthousiasme, sinon la vie n’a pas de sens. »

«Je ne m’ennuie jamais. Je lis énormément, de tout. Je viens de terminer des ouvrages d’auteures québécoises : Hélène Pedneault, Simonne Monet-Chartrand. . . Et je veux apprendre sur tous les peuples, les gens que je ne connaîtrai pas. Je vais aussi à des conférences, assister à des pièces de théâtre qui montrent les « vraies choses » et m’apportent un nouvel éclairage sur la société. Revenir chez moi avec ce bagage, c’est une grande joie. Parfois les gens me disent : « Pauvre Léa, vous êtes seule». Je leur réponds : « Mais pas du tout! La rue est pleine de monde. On n’est seule que si on le veut». Ma vie, c’est ma responsabilité. Aussi longtemps que je pourrai, je militerai. Actuellement, je travaille surtout pour la paix. Si je m’engagerais encore? Si les causes sont valables, certainement! Et j’espère que je mourrai en écrivant, en faisant quelque chose. . . en allant à une réunion! »

A bas l’âgisme

Décidément, l’image monolithique et défaitiste des femmes aînées ne tient plus. Le Conseil consultatif canadien sur le troisième âge, qui vient de produire un rapport sur l’image publique, le confirme : « Les aînés ne doivent surtout pas être cantonnés dans des ghettos, résume l’une des membres du Conseil, Margot Hogues-Charlebois. Les médias, par exemple, nous les montrent quasi uniquement comme public aux émissions de variétés. C’est terriblement réducteur. Par ailleurs nous, les aînées, devons aussi lutter contre le rejet. Si on ne revendique pas notre place, personne ne nous la donnera. Bref, tout le monde doit s’y mettre pour lutter contre l’âgisme » .

Exclure pour raison d’âge équivaudrait à « nier le fait que les personnes âgées de notre temps ont acquis des habiletés et des compétences qu’elles souhaitent, bien souvent, mettre davantage au service des autres » . Telle est la position du CSF dans son Avis sur la situation démographique du Québec. Les conclusions du rapport du Groupe d’experts sur les personnes aînées (Comité Pelletier) vont dans le même sens. Le comité proposait de créer un Conseil des aînés qui aurait notamment pour mandat de suggérer divers moyens concrets afin que les aînés continuent à participer à la vie de la collectivité. Ce Conseil est actuellement en formation.

Continuité, voilà le maître-mot. La vieillesse : voie d’évitement. . . ou voie d’avenir? , un rapport produit par le Comité de la santé mentale du Québec fait de plus ressortir qu’»on vieillit comme on a vécu». « Oui, le célèbre cliché est tout à fait fondé, estime le psychologue Jean-Luc Falardeau, qui s’intéresse dans sa pratique au phénomène du vieillissement. Les gens qui ont vécu passivement auront plus tendance à se faire prendre en charge, et ceux qui étaient actifs le resteront, malgré les diminutions physiques. Mais je pense aussi que les femmes sont mieux équipées émotivement que les hommes pour vivre les changements. En ce sens, elles vieillissent mieux. »

Et elles ont des projets. . . de toutes sortes : « J’aurais envie de me trouver un compagnon de vie, dit l’une d’elles. Pour partager deux ans, dix ans, qu’importe. Mes enfants disent que je suis une incorrigible idéaliste. Oui, je suis encore capable de rêver et d’avoir des illusions. Merci la vie! »

Demain, nous serons vieilles. . . et puis?

Quelles sont les attentes des femmes de 45-65 ans face à la retraite? Comment s’y préparent-elles? Cécile Quirouette, chercheure à l’Université Concordia, a voulu savoir. Voici les conclusions préliminaires de son étude (pas encore publiée), réalisée auprès de femmes qui détiennent un diplôme universitaire.

La très grande majorité des femmes interrogées s’attend à vivre une vieillesse heureuse. Celles qui travaillent encore ont hâte d’y arriver pour être plus libres, lire, voyager. Elles tiennent toutefois beaucoup à rester très engagées dans la vie sociale et communautaire, par du bénévolat ou autrement. La différence : elles géreront elles-mêmes leur temps.

La plupart pensent qu’elles seront relativement satisfaites de la vie qu’elles auront menée jusque-là et s’attendent à franchir l’étape de la retraite sous le signe de la stabilité et de la continuité. Pour ce faire, elles se bâtissent une relative sécurité financière qui devrait leur permettre de conserver le même niveau de vie. Bon nombre de ces femmes ont cependant à cœur de ne pas devenir un fardeau pour leur entourage, advenant le cas où elles tomberaient malades ou deviendraient invalides. Elles prévoient par conséquent l’argent nécessaire pour se payer des services privés. Plusieurs sont cependant anxieuses, démunies même, à l’idée d’une détérioration physique ou intellectuelle qui les priverait de leur autonomie. La majorité toutefois s’attend à demeurer en bonne santé.

En plus d’épargner et de veiller à garder une bonne forme physique, elles se préparent de mille et une autres façons : engagement dans une seconde carrière qui leur assurera un emploi à temps partiel après 65 ans, rapprochement de la famille, renforcement des liens d’amitié. . . Bref, toutes semblent juger important de planifier, de se prendre en main. Optimistes sur ces années à venir? Oui, elles ont confiance.