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Les droits des femmes en Allemagne «On n’avait pas appris à se battre»

Tantôt perçues par les féministes comme les gagnantes du système communiste, les femmes originaires de l’Allemagne de l’Est sont aujourd’hui les perdantes de la réunification des deux États allemands.

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Tantôt perçues par les féministes comme les gagnantes du système communiste, les femmes originaires de l’Allemagne de l’Est sont aujourd’hui les perdantes de la réunification des deux États allemands. Les Allemandes de l’Est sont majoritairement sans emploi, n’ont plus d’indépendance financière comme jadis dans le couple, et le coût des appartements a été multiplié par dix. Elles sont maintenant libres de voyager, mais n’ont pas les sous pour le faire. Les femmes des nouveaux Länder admettent que la réunification devait se produire, mais auraient-elles été moins conciliantes si elles en avaient su le prix? « La réunification de l’Allemagne est bonne en soi, mais n’a pas rendu la société plus juste pour les femmes » , affirme Ruth Stachorra, conseillère à l’Office pour le droit à l’égalité à la mairie de Leipzig. « Dans les nouveaux Länder, le chômage est deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Ici, 60% à 70% des chômeurs sont des femmes, alors qu’elles étaient employées à 92% en République démocratique allemande (RDA) » .

Fini le plein-emploi

Toutefois, derrière le noble idéal de plein-emploi se cachait un devoir pour femmes : travailler à l’extérieur. Dans bien des cas, l’État offrait un emploi, certes, c’est-à-dire une place, un poste, mais pas de véritable travail. Somme toute, le chômage bouleverse la vie de ces ex-travailleuses qui se retrouvent soudainement femmes au foyer. Les femmes de la RDA n’ont pas assez protesté pour conserver les droits qu’elles allaient perdre, disent les féministes, mais à voir le nombre important de nouveaux centres de femmes mis sur pied dès le début de la chute de la RDA, on pourrait croire qu’elles ont vite réagi à leur nouvelle situation sociale et économique. Le premier centre de formation technique pour les femmes à Leipzig a été fondé en 1989, grâce au financement conjoint du Fonds social européen, un organisme de la Communauté européenne, et de l’Office du travail de Leipzig. Il existe actuellement deux autres centres de ce genre pour la seule ville de Leipzig, en plus d’une dizaine de centres de pédagogie, centres d’aide à la réorientation dans le nouveau marché du travail, centres de soutien universitaire des étudiantes dans les domaines des sciences et de l’économie, etc. A eux seuls, ces centres ne pourront qu’en très petite partie aider les femmes à réintégrer le marché du travail si l’on se fie aux statistiques. « Le but politique de la réunification est de s’ajuster aux lois et aux normes de l’Ouest, où seulement 55% de la force productive des femmes est employée. Une femme sur deux sera donc sans emploi », déplore Ulrike Dietrich, psychologue et collaboratrice au Bildungswerk Ost-West, à Leipzig, qui offre un programme de formation technique aux chômeuses diplômées. Le travail acharné des femmes de ce centre est remarquable. Les organisatrices veulent aider les femmes nouvellement ménagères en leur offrant une formation technique et, si possible, un stage, susceptibles d’augmenter leurs chances de réintégrer le marché du travail. Non pas qu’elles croient que toutes retrouveront un emploi, mais ces femmes sont convaincues que ce n’est pas à la maison qu’elles auront la chance de se renseigner sur les nouvelles possibilités de perfectionnement et de travail. « Les femmes veulent travailler à l’extérieur. Sans travail et avec des diplômes qui, souvent, n’ont plus de valeur, elles ne se sentent plus reconnues » , explique Claudia Müller, docteure en pédagogie et directrice du centre Bildungswerk Ost-West. « Autrefois, il était accepté qu’une femme soit directrice de chantier de construction, alors qu’aujourd’hui, pas une femme ne se trouve un tel emploi » .

De moins en moins d’enfants

Cette nouvelle situation n’a rien à voir avec celle qu’ont connue les femmes sous le régime communiste allemand. On trouvait, en RDA , tous les services pour que les mères puissent travailler à l’extérieur. Il y avait des crèches et des garderies publiques alors que les mères travailleuses à l’Ouest devaient se débrouiller pour accueillir les enfants qui rentrent tôt, parce qu’il n’y a pas de classe en après-midi en Allemagne de l’Ouest, et parce qu’il n’y a pas assez de garderies. En Allemagne de l’Est, l’avortement était libre jusqu’à trois mois de grossesse, et gratuit, sans que les femmes aient à se justifier devant quelque autorité que ce soit. Contrairement à l’Ouest, où il est le protecteur du fœtus, l’État, à l’Est, était le protecteur de la femme en sa qualité de travailleuse. Ces droits, qui semblaient plus progressistes qu’à l’Ouest, « n’avaient cependant rien à voir avec l’émancipation des femmes », celles-ci étant avant tout considérées pour leur force de travail, précise Ingrid Ewald, de la Librairie des femmes TJAN à Leipzig. Malgré la très forte présence féminine au travail, à l’Est, c’était à la femme de s’occuper des enfants et des travaux ménagers. « Lorsqu’elles n’arrivaient pas à s’occuper de tout à la fois, elles croyaient que c’était de leur faute, ajoute Ingrid Ewald. La question du partage des travaux ménagers n’a jamais été débattue à l’Est » . « Dans l’ex-Allemagne de l’Est, 90% des femmes avaient des enfants, deux en moyenne. La sécurité financière n’était pas un facteur important dans la décision d’avoir un enfant, assure Claudia Müller. Il était fréquent que des étudiantes aient leur premier enfant pendant les études universitaires. C’était possible et ça fonctionnait » . La valorisation de la famille était plus forte à l’Est qu’à l’Ouest, disent les femmes, et l’individu, moins important. La femme idéale était à la fois travailleuse et mère. L’accessibilité aux logements a aussi diminué au moment de la chute de l’État communiste. « Un appartement pouvait coûter entre 30 et 80 marks (25 $ à 70 $), affirme Ruth Stachorra. Il en coûte maintenant 300 à 800 marks par mois. Avec la plus grande insécurité financière poursuit-elle, les femmes ne veulent plus d’enfants, à un point tel que le total des naissances correspond actuellement à 30% de celui de 1989 » . Et selon les statistiques de la ville, l’an dernier, 10 000 personnes par mois ont quitté le land de Saxe pour l’Ouest. Le problème n’est donc pas la fermeture des garderies mais le manque d’enfants, souligne Ruth Stachorra. Phénomène nouveau, Leipzig connaît aujourd’hui sa première cinquantaine de sans-abri, dont quelques-uns sont des mères de famille. De plus, le taux de criminalité a sensiblement augmenté et les femmes disent désormais ne plus se sentir en sécurité, le soir, dans la rue. L’insécurité économique et, d’une certaine façon, le flottement juridique actuel sont en partie responsables de ce nouveau phénomène. En effet, vagabonds et travailleurs peu assidus étaient auparavant emprisonnés. « Tout est aujourd’hui plus compliqué, pense Ulrike Dietrich. Il y a désormais une quantité de renseignements qui circulent et c’est difficile pour les gens de s’y retrouver. En RDA, on te faisait part de tes droits à ton travail même. La devise d’aujourd’hui est de se renseigner soi-même alors qu’on a affaire à un tout nouveau système. Il faut maintenant un avocat pour divorcer alors qu’avant, un simple formulaire suffisait. On n’avait pas appris à se battre ». Il n’y a donc plus de chemin déjà tout tracé pour les gens, ce qui est insécurisant pour les hommes, et les femmes, surtout, qui sont moins flexibles parce qu’elles s’occupent des enfants. Les emplois, plutôt rares, sont d’abord attribués aux hommes. Avec les nouvelles règles et normes sociales, les gens ont de la difficulté à déterminer leur rôle dans la société. Une amélioration, toutefois : désormais, l’État ne fixera plus, comme autrefois, le nombre d’étudiants en médecine, en ingénierie ou en enseignement, par exemple, comme il planifiait le nombre de clous ou de lampes à produire.

Lutte à reprendre

La réunification de l’Allemagne était l’événement dont rêvaient les organisations féministes de la République fédérale allemande, qui espéraient ainsi obtenir plus de droits, dont celui de l’avortement, que l’État communiste garantissait à ses citoyennes. Pensant pouvoir créer une alliance avec les femmes de la RDA, les féministes de l’Ouest se voyaient déjà en train de gagner la lutte pour l’avortement plus libre. Lors d’un des nombreux rassemblements de femmes dans une église de Berlin, raconte Barbara Rudorf, de Emma, la revue féministe la plus connue en Allemagne de l’Ouest, les femmes à l’Est n’ont pas pu s’imaginer la lutte que représentait le droit à l’avortement. « Elles avaient ce droit parce que l’État en avait décidé ainsi, c’est tout ». Déçues, les féministes de l’Ouest se sont retrouvées devant un mouvement féministe naissant, où les femmes ne voyaient pas l’importance de se battre pour ce droit qu’elles avaient toujours eu. « Les femmes à l’Est ne connaissent pas les arguments moraux des conservateurs chrétiens de l’Allemagne de l’Ouest. Elles ne pouvaient croire qu’elles allaient perdre ce droit. Tu dois être radicale à l’Ouest pour te faire entendre, pour obtenir plus de pouvoir », affirme Barbara Rudorf. Ingrid Ewald trouve révélateur que les femmes sans enfants, les plus âgées et les lesbiennes étaient les plus présentes aux manifestations pour l’avortement, alors que les femmes avec enfants n’étaient pas au courant que le droit à l’avortement allait être restreint avec la réunification de l’Allemagne. Le grand ralliement n’ayant pas eu lieu, ce fut une désillusion pour les féministes de l’Ouest. Pour Ingrid Ewald, les femmes de la RDA et celles de l’Allemagne de l’Ouest ont des histoires différentes, qu’on ne peut comparer. « Les féministes à l’Est veulent vivre leurs propres expériences sans tenir compte des idées et des recettes de l’Ouest » . Le radicalisme ne les intéresse d’ailleurs pas, précise-t-elle. « Elles veulent d’abord éviter la confrontation, contrairement à celles qui ont tendance à considérer chaque homme comme un violeur potentiel, et désirent plutôt trouver une argumentation logique, se battre aux côtés des hommes, dans la mesure du possible » . Les femmes n’ont pas réagi massivement contre le durcissement de la loi sur l’avortement ajoutée à la constitution allemande, qui stipule que l’avortement est criminel mais qu’aucune femme ou médecin ne seront poursuivis par la justice si l’acte est conforme aux règlements. Cela ne signifie pas nécessairement leur désintérêt pour la situation des femmes en général. Le mouvement féministe en RDAn’existait pas jusqu’alors, et était même interdit par l’État, qui avait proclamé l’égalité entre les hommes et les femmes. Depuis la réunification, des changements se sont produits dans toutes les sphères de la société, et les femmes n’ont pas eu le temps de réagir. Elles sont bien plus préoccupées par le chômage, comme l’affirme Barbara Rudorf : « Il importe maintenant que les féministes de l’Ouest et celles de l’Est se comprennent » .