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Parentalité: modèle réduit ou « deux dans un »?

Les tiens, les miens, le nôtre : le retour de la famille nombreuse, nouvelle version.

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Les tiens, les miens, le nôtre : le retour de la famille nombreuse, nouvelle version. « C’est quoi ton signe? » « Recomposée, ascendant monoparentale ». Les femmes seront légion à se définir ainsi dans l’avenir, quitte à décevoir celles et ceux qui, comme Élisa, 75 ans, font la déduction suivante : « L’éclatement de la famille a eu lieu. Maintenant, les choses vont se stabiliser » . Eh bien non : le futuroscope esquissé par les chercheurs laisse plutôt présager le mouvement perpétuel!

Même les respectables institutions qui transforment nos faits et gestes en statistiques ne tiennent plus la forme; bousculées dans leurs habitudes, elles sont souvent à côté de la réalité. Quand on sait qu’il était impossible avant 1981 de connaître les taux de remariage, la question n’étant pas posée dans les sondages officiels, on devine qu’il faudra encore patienter pour être fixé sur l’incidence de la garde partagée, des familles à format variable, ou des live apart together, ces couples qui vivent ensemble… séparément. Pour l’instant, la vie que l’on vit cause des maux de tête aux statisticiens et persiste à glisser au travers des mailles de leur filet.

On prévoit, tenez-vous bien, que près de 40% des Québécoises seront à la tête d’une famille monoparentale d’ici quelques années (22% aujourd’hui). Les familles recomposées seront-elles aussi en hausse libre? Actuellement, elles constitueraient entre 10% et 15% des familles. Certains démographes avancent qu’elles seront dominantes d’ici la fin du siècle; un enfant sur deux, parmi tous ceux nés ces années-ci, pourrait vivre au moins un épisode de son enfance ou de son adolescence dans une famille recomposée. Les tiens, les miens, le nôtre : le retour de la famille nombreuse, nouvelle version!

Irréaliste? Non, logique. Un mariage sur deux se termine par un divorce. Puis, la roue tourne. Les gens demeurant ensemble moins longtemps, plus de femmes seront monoparentales. Du coup, le nombre de familles recomposées gonflera aussi. La tendance s’observe dans tous les pays occidentaux : nous sommes appelées à connaître des séquences de vie en rafales. Ajoutez à cela l’allongement de l’espérance de vie, mixez le tout, et la conclusion s’impose : la seule chose permanente sera bientôt… le changement.

La monoparentalité galopante a de quoi inquiéter. On a fait et refait mille fois le sombre portrait des mères en solo. Hélène Labrecque, présidente de la Fédération des Associations des familles monoparentales, fait entendre un son de cloche moins oppressant : « La conjoncture oblige les femmes à être plus réalistes, plus autonomes. Je constate d’ailleurs une prise en a charge énorme : études, formation… Je ne suis pas en peine pour elles»! Et puis, soyons claires, monoparentale un jour, ne veut pas dire monoparentale toujours. On dit que la monoparentalité se vit de plus en plus tôt, oui, « mais elle tend à durer moins longtemps », comme l’illustre la démographe Hélène Desrosiers. « De 1984 à 1990, le temps moyen de cinq ans a raccourci. De plus, seulement le quart des répondantes à une enquête de 1990 sont toujours dans cette situation après 10 ans, comparativement au tiers en 1984 » . Nous referons donc vie commune, en superposition, en cohabitation, à distance. Maligne qui pourrait prévoir toutes les formes que prendra la vie à deux. Ce n’est pas sans raison que la revue Les affaires titrait récemment : « L’instabilité des couples transformera la maison de demain ». Cette augmentation de la famille recomposée, Hélène Labrecque veut l’entrevoir comme un espoir : « Au lieu d’avoir la perspective de demeurer seule, on peut penser qu’on rebâtira une famille, c’est encourageant » . Pour le moment, 8 nouvelles familles sur 10 sont reconstruites autour d’une mère et de ses enfants. Une augmentation de la garde partagée accroîtrait-elle la recomposition autour du père et de ses rejetons? La présidente ne perçoit pas de bascule à l’horizon. « Même quand il y a partage de garde, la balance des responsabilités penche du côté de la mère. Je n’hésite pas à l’affirmer : ce sont les mères qui vont continuer à vivre le quotidien avec les enfants » . Ne rangeons toutefois pas nos valises trop loin; déjà pas facile d’accorder ses flûtes à deux, alors quand l’autre arrive avec sa troupe… Plusieurs familles recomposées devront aussi s’adapter à un autre phénomène : aux États-Unis, 20 millions de jeunes adultes de 18 à 34 ans vivent encore chez papa-maman, ou chez l’un ou l’autre. Ouf! Pour l’instant, on semble en être à l’étape essai-erreur; le taux de séparation est encore plus élevé dans les ménages recomposés que dans les premières unions. Rebonjour la monoparentalité!

Bye-bye donc famille modèle. La cellule familiale se présentera plutôt en formats variables. Mais si les sociologues perdent leur latin quant à savoir jusqu’où iront les mutations, aucun ne prédit l’extinction, du moins prochaine, de la famille. Seulement, elle sera davantage bâtie autour de relations que d’un lieu stable et unique, ce que l’on pressentait déjà dans nos vies quotidiennes. « Plus besoin d’être autour du même feu pour s’appeler famille, estime Renée Dandurand. On peut vivre à distance et rester très proches. Les générations n’habitent plus dans la même maison comme avant, mais la notion de parenté est encore très forte. Une enquête française a montré que la majorité des gens avait un parent à moins de 20 kilomètres ». La famille de l’avenir sera peut-être virtuelle, mais elle sera.

Reste que nous nous sommes mises à l’heure du réalisme. « Je veux un enfant dit Anne, 40 ans. Je suis certaine que le gars avec qui je vis sera un excellent père. Cela dit, cet enfant, je sais que je serais en mesure de m’en occuper seule, psychologiquement et financièrement, au cas où… Sinon, je n’y penserais même pas » .

Violence conjugale : aurons-nous la paix?

Les femmes tolèrent moins longtemps un conjoint violent.

La clientèle des maisons d’hébergement rajeunit : bon signe ou faux espoir? La fondatrice de la toute première maison au Québec opte pour l’optimisme : « Il y a dix ans, effectivement, le noyau de notre clientèle avait 35 ans et plus. Maintenant, ce sont les 25-35 ans qui frappent à la porte, observe Thérèse Laplante aujourd’hui coordonnatrice de la Fédération des ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec. Les femmes sont plus sensibilisées, endurent moins longtemps. Moi, ça m’encourage pour l’avenir » .

Marie Moisan croit par contre qu’il ne faut pas pavoiser trop vite : « On ne peut établir de relation de cause à effet, explique la responsable du dossier violence au CSF. Il faut tenir compte d’autres considérations. Prenons la récente enquête de Statistique Canada sur la violence : 12% des 18-24 disent avoir été victimes de violence conjugale au cours des 12 derniers mois; comparé aux 3% déclarés par l’ensemble des femmes, c’est inquiétant. Les jeunes déclarent-elles plus parce qu’elles sont plus sensibilisées au phénomène que leurs aînées, ou parce qu’elles subissent plus de violence? Il faudrait voir… »

Au Regroupement provincial des maisons d’hébergement, le profil des femmes a aussi changé. Mais ce qui frappe davantage Diane Prudhomme, adjointe à la coordonnatrice, c’est le net raccourcissement de la durée de vie commune avec un conjoint violent. « En huit ans, la moyenne a chuté; de cinq à dix ans, elle est passée de un à cinq ans. Par ailleurs, quand je donne des conférences dans les cégeps, les filles prennent le micro pour dénoncer la violence qu’elles ont subie de la part d’un ex-chum. Jamais on aurait vu ça en 1980! » De là à prédire des lendemains meilleurs, il y a un pas… qu’elle ne franchira pas. « Au total, il y a autant de violence. Autrement dit, même si la société la tolère moins, et les femmes moins longtemps, rien ne laisse supposer que les hommes violents ont compris le message » .

Thérèse Laplante calcule tout de même que « depuis dix ans, on a fait des pas de géant! On reçoit de plus en plus de demandes de renseignements, et d’animation de différents milieux de travail. Les mentalités n’évoluent pas en un jour, mais on avance. La diminution de la tolérance des conjointes, c’est excellent, mais ça ne suffira pas à enrayer le mal. Il faudra que les hommes marchent ouvertement aux côtés des femmes pour le dénoncer » .