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Indispensabies recherchistes

Un curieux métier, un métier de curieux surtout, plein de vie mais dans l’ombre, ayant le charme du fourre-tout et qui passionne bien souvent celles et ceux qui le pratiquent.

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Un curieux métier, un métier de curieux surtout, plein de vie mais dans l’ombre, ayant le charme du fourre-tout et qui passionne bien souvent celles et ceux qui le pratiquent. « Le jour où j’ai été engagée comme recherchiste, certains m’ont regardée avec compassion, comme si j’étais descendue d’échelon!, se rappelle Sonia Perron, 32 ans, de Chicoutimi, recherchiste depuis cinq ans pour Radio-Canada, Radio-Québec ainsi que des producteurs privés. Au contraire, c’est un métier super « trippant»! Ce que j’adore dans la recherche… c’est de trouver! » « Avec l’explosion du secteur des télécommunications, ce métier-là est plein d’avenir, assure Jean-Marie Ladouceur, recherchiste et vice-président de la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs (SARDEC). La différence entre les émissions qui investissent dans la recherche et les autres saute aux yeux! »Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’émission Tous pour un à la plupart des autres quiz. La recherche est à la base de tout bon reportage, de toute émission de qualité. Les recherchistes sont bien souvent responsables d’établir le contenu d’une émission ou d’un quiz, de dénicher des personnes à interviewer dans un film documentaire et de déterminer l’angle de traitement d’un article, quand elles ne mettent pas tout bonnement les mots dans la bouche de l’animateur! Elles doivent tâter le pouls de la société, être à l’affût de l’inédit. Enfin, on fait aussi appel à elles pour leur réseau étoffé, qu’il soit féministe, politique ou culturel. Sonia Perron a rapidement eu la réputation de connaître tout le monde au Saguenay. « Lorsque je dis que je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un, on me lance à la blague : « Allons donc, ce n’est pas possible! »

Un côté détective

« Les premières qualités d’une recherchiste sont la curiosité et la rigueur », estime Nathalie Lemieux, recherchiste à l’émission Visa Santé. « J’ai un côté détective, dit Danielle Pigeon, de Verchères, la mi-quarantaine, recherchiste en histoire de l’art et de l’architecture dans le domaine du film documentaire. Pour moi, les informations sont des pièces d’un casse-tête; je possède la patience, la ténacité et la mémoire nécessaires à cette profession ». Mais trouver la « une » avant tout le monde, « la » personne à interviewer ou encore « le » décor rêvé pour un film ne constitue qu’une des facettes du métier de recherchiste. La seconde étape, tout aussi essentielle, est de transmettre l’information à l’équipe. « On doit être généreux, estime Sonia Perron. Jamais je ne fournis mon rapport de recherche sans en discuter avec l’animateur ou la réalisatrice. J’aime communiquer mon enthousiasme ». Ce métier qu’on imagine solitaire en est donc un de travail d’équipe, de relations humaines. Ce côté social plaît aussi beaucoup à Sonia Perron. « On entre dans la vie des gens; on appelle à la maison, parfois tard le soir, et le téléphone amène une intimité rapide, une connivence et bien souvent des confidences; ces contacts m’enrichissent ». « Etre recherchiste demande une certaine humilité », juge cependant Lucie Fiset, réalisatrice à l’émission Janette… tout court! , qui travaille en étroite collaboration avec quatre recherchistes. « Les animateurs ou journalistes ne lisent pas nécessairement tout le rapport de recherche, n’en tirent pas toujours le meilleur : c’est parfois frustrant! »

Tous les chemins mènent… à la recherche!

Adolescente, Annick Goulet avait rêvé de devenir diplomate, neurochirurgienne ou avocate, mais jamais recherchiste! Elle découvre le journalisme par le bulletin de l’université, y prend goût et s’y lance, comme reporter à Télé-Métropole, recherchiste au réseau TVA ou encore à l’émission Dimanche Magazine à Radio-Canada. En octobre dernier, à 23 ans, on lui demande de faire partie de l’équipe de trois recherchistes au Midi Quinze, une émission d’affaires publiques qu’anime Michel Lacombe à la radio. « Moi qui aime être dans le feu de l’action, je suis comblée! ». reconnaît-elle. On devient donc souvent recherchiste par le hasard des circonstances. Anne Mill, 28 ans, travaillait en publicité pour la radio CKOI FM Montréal lorsqu’une collègue qui quittait pour une station concurrente lui a proposé de prendre sa place comme recherchiste et réalisatrice de l’émission Yé trop d’bonne heure. Si de nombreux recherchistes ont fait des études en journalisme, en cinéma, ou en littérature, plusieurs sont autodidactes. Cependant, quelques cégeps comme celui de Jonquière et quelques universités, comme celles de Montréal et de l’UQAM, incluent des cours de recherche dans certains de leurs programmes. Enfin, des écoles privées comme Format inc. et Parlimage, à Montréal, organisent des sessions d’initiation à la recherche.

Une profession touche-à-tout

« Recherchiste, on ne fait pas ça toute sa vie, surtout pas à 4 h du matin », dit Anne Mill, qui accompagne, du lundi au vendredi, les animateurs en studio et qui, comme eux, se sent encore en robe de chambre et bâille durant les cinq premières minutes de l’émission! « Je resterai tant que l’émission et notre équipe dureront. Plus tard, je pense me tourner vers la télévision comme recherchiste ou régisseure. La recherche constitue une belle porte vers autre chose! » « C’est une excellente formation, un tremplin en journalisme! », considère pour sa part Annick Goulet. « La recherche, on a ça en soi; à un moment donné, on ne peut plus s’en passer, juge de son côté Danielle Pigeon. Je crois que je ferai de la recherche jusqu’à la retraite, même si j’aimerais aussi, un jour, réaliser mes propres films ». Il est donc rare qu’on entre sur le marché du travail comme recherchiste et qu’on le reste exclusivement jusqu’à la retraite. Nombreuses sont les pigistes polyvalentes qui cumulent ou font alterner des contrats comme recherchiste, coscénariste, assistante à la réalisation, journaliste, animatrice… C’est le cas notamment en région où les recherchistes à temps plein se comptent sur les doigts de la main. « Si je n’étais que recherchiste, je serais régulièrement sans travail, estime Sonia Perron. Également chroniqueuse et intervieweuse, je touche à tout et cela me plaît! »

Un métier de l’ombre

Indispensables, les recherchistes travaillent cependant en coulisses. Peu de gens savent que trois recherchistes alimentent Jean-Luc Mongrain, par exemple. Pour leur part, si Anne Mill et Danielle Pigeon souhaitent qu’on apprécie leur travail, cela ne les dérange pas de ne pas être sous les feux de la rampe! « Plus d’une fois, Normand Brathwaite et Chantal Beaupré font sentir ma présence en studio : « Anne a décidé ce matin qu’on ferait ci ou ça », raconte Anne Mill. Et lorsqu’ils en sont à court, je deviens souvent un bon sujet de farce! Mais officiellement, on ne cite mon nom comme recherchiste que le vendredi. Déjà que, dans le show-business, la radio est moins glamour que la télévision; donc nous, qui travaillons en coulisses, nous sommes vraiment d’illustres inconnues! » « Une certaine dose d’humilité ou de timidité nous retient peut-être, admet Nathalie Lemieux. Les gars, eux, foncent au micro ou devant la caméra ». Les femmes sont donc de loin plus nombreuses que les hommes dans cette profession. Outre le fait d’accepter de travailler dans l’ombre, les femmes se contenteraient plus facilement du statut de pigiste. « Certaines femmes sont prêtes à accepter l’autorité abusive d’un réalisateur ou d’un coordonnateur, constate Jean-Marie Ladouceur. Plus d’une fois, il m’est arrivé de dire à des collègues femmes : « Vous ne servez pas la cause, défendez-vous! » Christine Chabot, qui a exercé le métier de recherchiste pendant quatre ans au Saguenay-Lac Saint-Jean, propose une autre explication au fait que la profession soit un bastion féminin. « Sur le plan professionnel, je crois qu’il faut mettre ça sur le compte de la minutie. Sur le plan personnel, le temps que les périodes de chômage nous permettent de consacrer à la famille est un atout. Mais la précarité, évidemment joue à double sens ».

Des conditions précaires

Le salaire et les conditions de travail varient beaucoup d’une boîte de production à l’autre. « C’est du cas par cas; il faut donc que la recherchiste se montre alerte lors de la signature du contrat », avertit Nathalie Lemieux, responsable du dossier des recherchistes à l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ). Elle recommande notamment aux apprenties recherchistes de se méfier des maisons de production qui débutent et leur promettent de les payer advenant diffusion ou acceptation du projet. Quant à Jean-Marie Ladouceur, il a son lot d’histoires d’horreur à raconter : par exemple, celle d’un grand réseau privé qui, jusqu’à tout récemment, ne payait ses recherchistes qu’au moment de la diffusion de l’émission… et donc seulement si elle était diffusée! Ou encore des recherchistes qui acceptent de travailler au rabais pour des maisons de production privées avec la promesse de plus gros contrats par la suite. « Ce n’est pas parce qu’on est recherchiste qu’on se sent nécessairement bafouée, tient cependant à préciser Nathalie Lemieux. Il existe des équipes formidables, des boîtes qui respectent les gens qui y travaillent! » « Il est temps d’instaurer un minimum de civilité dans les conditions de travail de cette profession (tarif minimal, droit d’auteur, contrat type, etc. ) », soutient Jean-Marie Ladouceur. Travaillant à contrat, la plupart des recherchistes ne savent jamais ce qui va leur arriver d’une saison à l’autre. On peut, comme Danielle Pigeon, se retrouver six mois sans travail puis signer trois contrats d’affilée! « Pour avoir connu un « vrai » travail de 9 à 5, la sécurité et… l’ennui total, je préfère tout de même de loin la recherche! », assure-t-elle.