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Réussite scolaire: Aurait-on forcé la note?

Il faut s’inquiéter du déséquilibre qui s’accentue entre filles et garçons dans leurs résultats scolaires.

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Il faut s’inquiéter du déséquilibre qui s’accentue entre filles et garçons dans leurs résultats scolaires. Ce qui était hier inacceptable pour les filles l’est tout autant lorsque les exclus sont les garçons. Soutenues par leurs mères et la vague féministe, les filles ont le vent dans les voiles et se dégagent peu à peu des stéréotypes sexuels. Elles réussissent mieux à l’école, décrochent moins, poursuivent de plus en plus loin leurs études et envahissent les fiefs autrefois réservés. Remis en question par cette même vague, les garçons vivent une crise d’identité sans précédent. Embourbés dans les stéréotypes traditionnels de la masculinité, ils ont de la difficulté à naviguer dans un monde qui ne leur assure plus automatiquement et ouvertement les premières loges. Bien qu’il y ait beaucoup de vrai dans ce parallèle, la réalité est loin d’être aussi simple. L’analyse que l’on fait de la réussite scolaire des filles et de l’écart qui se creuse entre filles et garçons est souvent superficielle et débouche sur des conclusions douteuses. La réussite scolaire des filles est montée en épingle, mais avec beaucoup d’ambiguïté, comme si on leur en voulait d’avoir pris leurs affaires en main et que cela avait pour conséquence de traumatiser complètement les garçons.

Un pavé dans la mare

Le 16 février dernier, dans la Presse et le 2 mars, dans le journal de l’Université Laval, la vice-doyenne de la faculté des Lettres jetait un nouveau pavé dans la mare. Annette Paquot invoque « l’infériorisation des garçons dans le système scolaire » et accuse l’université de laxisme. « Y entrer n’est plus une conquête et sa rhétorique est usée. Les filles sont plus raisonnables que les garçons et s’accommodent de tout cela, mais à vingt ans, les garçons rêvent encore! » Elle dénonce le féminisme « triomphant » et « oppressif » et craint de voir apparaître « une société menée par des dames de fer dominatrices, en tailleur « BCBG », escortées de princes consorts plus rustres ». Le texte d’Annette Paquot fait écho à plusieurs autres de la même venue qui ont émaillé les médias depuis deux ou trois ans et qui, chaque fois, ont suscité de vives réactions. On reproche à leurs auteurs de suggérer, à tort, que l’échec scolaire des garçons augmente en proportion du succès des filles comme s’il s’agissait de vases communicants. On déplore leur vision tronquée de la réalité des femmes, vision qui cache l’histoire et les inégalités persistantes et qui ne tient pas compte de la fragilité de leurs acquis. Enfin, on craint que la victimisation des garçons ne provoque un ressac, d’autant plus fort que le marché du travail est en pleine mutation. Par-delà les débats, il y a les faits et il faut s’inquiéter du déséquilibre qui s’accentue entre filles et garçons. Ce qui était hier inacceptable pour les filles l’est autant lorsque les exclus sont les garçons.

Davantage d’efforts

Pour expliquer la plus grande réussite des filles, il semble qu’il faille s’en remettre d’abord et avant tout au gros bon sens : les filles travaillent tout simplement plus fort. En 1991, le Conseil supérieur de l’éducation a demandé à des étudiants et étudiantes de corroborer ou non l’affirmation suivante : « Je cherche à obtenir mon diplôme en ne fournissant que le minimum d’efforts ». Au collège comme à l’université, les filles ont répondu oui dans une proportion de 16, 5% . Deux fois plus de garçons du niveau collégial, soit 32, 5% l’ont fait. A l’université, les garçons ont répondu par l’affirmative une fois sur quatre. Ce qui fait dire à Robert Bisaillon, alors président du CSÉ et aujourd’hui coprésident des États généraux sur l’éducation, que « les garçons sont marginalisés en grande partie par leur propre faute ». Manon Théorêt, professeure en psychopédagogie à l’Université de Montréal, est également d’avis « qu’ils récoltent ce qu’ils ont semé ». Les filles réussissent donc parce qu’elles fournissent davantage d’efforts : elles consacrent plus de temps au travail scolaire et à la lecture personnelle, écoutent moins la télévision, font moins de sport et d’activités parascolaires, travaillent moins à l’extérieur. Leur participation en classe est plus soutenue et plus active, elles posent des questions et consultent davantage leurs professeurs. Pourquoi les filles sont-elles moins réfractaires à l’effort? Différents sondages montrent qu’elles nourrissent des aspirations élevées, se montrent exigeantes envers elles-mêmes et sont affectées par les mauvaises notes. Elles se disent d’ailleurs plus stressées que les garçons, même si leurs relations avec leurs professeurs sont positives et qu’elles se sentent à l’aise à l’école. Pour certains, voilà qui prouve bien que l’école est un milieu plus favorable aux filles, étant un lieu d’apprentissage de la conformité et de la docilité, deux attitudes associées à l’univers féminin.

Stéréotypes à l’œuvre

La socialisation des filles les prépare mieux au métier d’élève, reconnaît Pierrette Bouchard, professeure en sciences de l’éducation à l’Université Laval. Mais il ne faut pas, selon elle, réduire leur réussite à l’intériorisation de ces stéréotypes. « Je pense au contraire que les filles qui réussissent ont intégré les principes du féminisme. Elles ont acquis des comportements, des attitudes, des compétences qui soutiennent leur volonté de s’en sortir et de dépasser leur mère ». Madeleine Gauthier, chercheuse à l’lNRS-Culture et Société et auteure de Une société sans les jeunes, nuance également la place de la socialisation. « Lui accorder une importance indue, c’est souscrire au déterminisme. Or, l’individu a une part de liberté, réagit au contexte dans lequel il évolue. Présentement, les filles savent qu’elles peuvent faire mieux que leur mère. Les garçons, eux, pensent que leur situation sera pire que celle de leur père et ils ont une représentation négative de l’avenir ». Pour voir vraiment à l’œuvre les stéréotypes sexuels, c’est du côté de la non-réussite scolaire et du décrochage qu’il faut regarder. Une vaste enquête réalisée auprès de 2200 jeunes de 3e secondaire par le Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire, auquel appartient Pierrette Bouchard, montre que le degré d’adhésion aux stéréotypes sexuels est plus élevé chez les garçons que chez les filles. Il est aussi plus élevé chez les jeunes en difficulté, garçons ou filles, des milieux défavorisés. « Les jeunes de milieux favorisés ne sont pas à l’abri des stéréotypes, mais les leurs viennent moins en contradiction avec la réussite », précise la professeure. Et quels sont ces stéréotypes derrière les faibles résultats et l’abandon scolaire? Les filles en difficulté ou les décrocheuses rêvent de romance et d’accomplissement par la maternité (entre 10 et 20% abandonnent parce qu’elles deviennent enceintes); elles utilisent leur pouvoir de séduction pour se donner un statut auprès de leurs pairs, garçons ou filles. Les garçons ont une confiance exagérée en eux et en leur débrouillardise, ils se font provocateurs et défient l’autorité pour avoir un statut au sein du groupe, ils rejettent les attitudes « féminines » d’assiduité, d’application, de maîtrise de soi pour développer des attributs plus « masculins » tels la compétition, l’agressivité, les exploits physiques et le sport. Garçons et filles sont en quelque sorte piégés par les stéréotypes traditionnels qui diminuent leur intérêt pour l’école et limitent leur acceptation de ses normes et valeurs. C’est particulièrement vrai des garçons. « Plus que la façon dont le système scolaire traite les garçons, conclut Pierrette Bouchard, c’est la façon dont les traite le système extra-scolaire (la famille, le milieu social, les médias, etc. ) qui inquiète ».

De l’école à l’emploi

Qu’on ne s’y méprenne pas, réussite scolaire ne signifie pas nécessairement accès plus facile au marché du travail. Les jeunes le sentent très bien. Cet échange entre une étudiante et un étudiant en droit, entendu à l’émission Le Choc du présent à Radio-Québec, est révélateur : « Nous, les filles, sommes plus angoissées par rapport à notre avenir professionnel. Les gars peuvent plus facilement se débrouiller dans la vie. C’est sans doute pour cela que nous travaillons tant ». « C’est vrai que les filles doivent être plus performantes, constate l’étudiant. Nous, on sait que la discrimination existe et qu’elle ne joue pas contre nous ». Ces futurs avocats ont raison. Il continue d’être plus facile pour les garçons que pour les filles (à parité de diplôme) de s’intégrer au marché de l’emploi. « Deux ans après l’obtention de leur baccalauréat, les hommes ont plus de chance d’être « insérés », c’est-à-dire d’occuper un emploi permanent, à plein temps dans un domaine où ils envisagent de faire carrière, illustre Madeleine Gauthier. Les femmes sont plus susceptibles d’être encore en voie d’insertion professionnelle parce que l’une ou l’autre de ces trois conditions n’est pas remplie ». « Est-ce l’entreprise qui discrimine ou les femmes qui postulent moins?, demande Renée Cloutier, professeure en Sciences de l’éducation à Laval. Il est difficile de mettre le doigt sur les causes exactes de cette situation ». « Il faut sûrement, soutient pour sa part Madeleine Gauthier, tenir compte des choix que font les femmes elles-mêmes. Une étude que nous avons déjà menée a fait ressortir que les jeunes femmes se tournent plus souvent que les jeunes hommes vers des projets de vie autres que la carrière ». Du côté des travailleurs sans diplôme, le marché est également plus favorable aux garçons. Cinquante pour cent des hommes ayant de 0 à 8 années de scolarité sont actifs sur le marché du travail alors que seulement 20% des femmes du même niveau le sont. Les décrocheuses sont donc davantage exposées à la pauvreté et lorsqu’elles deviennent mères, souvent seules, les conséquences sociales sont désastreuses.

Par-delà les débats, les faits

  • La scolarisation, et particulièrement celle des femmes, est en nette progression au Canada. En 1993, 40% des hommes et 32% des femmes de 45 ans ont complété des études postsecondaires ou universitaires alors que dans le groupe des 25-44 ans, la proportion atteint 55% pour les hommes et 57% pour les femmes. Chez les 15-24 ans, 21, 3% des filles contre 16, 5% des garçons ont déjà entrepris ou complété des études plus avancées ou l’acquisition d’habiletés particulières.
  • Il y a aujourd’hui à l’université, tous cycles confondus, 57 étudiantes pour 43 étudiants. Par cycles, la distribution des femmes était la suivante à la rentrée de septembre 1994 : 58, 8% au premier cycle, 50, 5% à la maîtrise et 39, 6% au doctorat. La répartition des hommes et des femmes par champ d’études montre que le rattrapage n’est pas terminé en sciences pures et en sciences appliquées.
  • Les filles sont également majoritaires au cégep à 56% contre 44% dans tous les programmes à l’exception des sciences et des techniques physiques.
  • Les filles complètent leur cégep en plus grand nombre et plus rapidement au préuniversitaire comme au technique. Leurs résultats sont meilleurs, de sorte qu’elles sont avantagées pour l’admission à l’université, particulièrement dans les programmes contingentés.
  • La supériorité des filles en écriture et en lecture est manifeste dès le secondaire. Un test pancanadien administré en avril 1994 aux élèves de 13 ans indique que deux filles sur trois atteignent ou dépassent le niveau moyen. Un garçon sur trois fait de même.
  • Aux examens du 5e secondaire du ministère de l’Éducation en 1992, les garçons ont obtenu des résultats globaux légèrement supérieurs à ceux des filles.
  • L’abandon des études avant la fin du secondaire atteignait, en 1991-1992, 38, 2% chez les garçons et 25, 9% chez les filles.
  • Les filles disent abandonner l’école d’abord parce qu’elles s’ennuient, puis parce qu’elles trouvent les cours trop difficiles. Les garçons donnent comme première raison qu’ils préfèrent le travail aux études et comme deuxième, l’ennui.
  • L’écart entre la réussite des filles et celle des garçons commence à se creuser dès le primaire puisque déjà à ce niveau les garçons ont plus de difficultés d’apprentissage et de retard scolaire.

Rééquilibrer

Le discours qui blâme l’école pour les insuccès des garçons et voit une menace dans les succès des filles invite à la vigilance. « Il est urgent de remettre le débat sur les bons rails, insiste Pierrette Bouchard, sinon ce seront les acquis des femmes qui seront en danger ». « Évitons de ralentir les femmes, affirme Robert Bisaillon. Elles n’ont pas réussi à modeler le monde du travail et se heurtent aux stéréotypes masculins encore dominants ». Pas question donc de renoncer aux mesures qui leur permettent de surmonter plus facilement certains obstacles. Louise Latortune, professeure de mathématiques au cégep André-Laurendeau, a mis au point une stratégie qui agit sur les modèles, les mythes et l’affectivité dans le but de faire tomber les barrières entre les filles et les maths. Manon Théorêt croit toujours que Les scientifiques, un groupe qu’elle a fondé à Saint-Henri, a encore sa place pour aider les filles à apprivoiser les sciences. Faut-il songer à des mesures particulières à l’intention des garçons? Pourquoi pas, si cela devait leur redonner le goût de l’école et de la réussite? « Il m’apparaît important, dit Robert Bisaillon, que l’école diversifie les approches pédagogiques, intègre des apprentissages pratiques, éduque à la responsabilité. Ainsi, pourra-t-elle mieux s’adapter au rythme de maturation différent des garçons et des filles. Sur un plan plus large, je dirais qu’il y a urgence de donner des pères à nos enfants, notamment aux garçons, afin qu’ils aient très tôt des modèles masculins ». Pierrette Bouchard croit qu’il faut intensifier la lutte aux stéréotypes machos et aux stéréotypes féminins traditionnels auprès des garçons et des filles des milieux défavorisés. Mais attention, prévient Renée Cloutier, de ne pas revenir à des formules d’arrière-garde comme les écoles non mixtes ou des processus de sélection plus subjectifs pour l’admission aux facultés universitaires. « Le droit des femmes à l’éducation supérieure n’est pas encore pleinement reconnu », estime-t-elle. Enfin, Madeleine Gauthier est convaincue que la résolution de la crise passe par la naissance d’un nouveau dialogue entre les hommes et les femmes qui permettra « aux garçons d’intégrer à leur tour les acquis du féminisme et ainsi de compléter le processus de transformation dans lequel la société est engagée ».