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L’orientation sexuelle inc.

Au cours de leur salon commercial annuel, des femmes d’affaires mettent en évidence leurs produits… et leur choix de vie.

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Au cours de leur salon commercial annuel, des femmes d’affaires mettent en évidence leurs produits… et leur choix de vie. « Merci de ne pas nous avoir amenées dans une salle d’école ou dans un sous-sol », disent des visiteuses en quittant l’hôtel montréalais où se tient le Salon des femmes d’affaires et professionnelles gaies.

Lorsqu’elle reçoit ce genre de commentaires, Louise Bellegarde sait qu’elle a misé juste. Membre de l’Association des femmes d’affaires et professionnelles gaies (AFAPG), elle a voulu « créer un lieu de prestige pour les lesbiennes et éviter qu’elles soient cantonnées dans des espaces sombres et restreints ». Quand on a une bonne idée dans une jeune association où tout est à faire, on se retrouve généralement avec la responsabilité de la réaliser!

C’est ainsi qu’est né le Salon à l’automne 1994. Avec sur les épaules une obligation d’autofinancement, Louise Bellegarde et son équipe se sont juré que l’événement aurait du panache et de la visibilité à tous points de vue. Dans une activité comme celle-là, les exposantes affichent des produits et des services, bien sûr, mais aussi une orientation sexuelle dont elles souhaitent redorer le blason. « Il faut projeter l’image des lesbiennes qui réussissent, même dans notre propre milieu », soutient Louise Bellegarde. Intérêts commerciaux et besoin d’affirmation se donnent donc un coup de pouce mutuel.

Pour l’instant, le Salon ne réunit que des femmes d’affaires et des professionnelles gaies et attire une clientèle majoritairement féminine et homosexuelle. La première année, 300 visiteuses, la seconde 500, un bassin potentiel en or pour l’homéopathe, l’ébéniste, la déménageuse, qui tiennent kiosque ou qui prononcent une conférence. « Il ne faut pas espérer des retombées immédiates», reconnaît Louise Bellegarde, elle-même courtière en immobilier. Qui sait quand les premiers contacts, les cartes d’affaires ou les conseils distribués en abondance vont porter fruit? « A ma première participation, je n’ai vu aucun effet sur les ventes, déclare Suzanne Pelletier, copropriétaire d’une pâtisserie à Montréal. Mais cette année, une visiteuse, insatisfaite du traiteur avec lequel sa compagnie faisait affaire, m’a confié sa commande hebdomadaire». Suzanne Pelletier a rapidement récupéré ses frais de participation au Salon et peut compter sur une entrée de fonds régulière.

Tout comme l’effet commercial, l’effet sur les mentalités se fait sentir graduellement. « La première année, j’ai dû garantir aux exposantes que la publicité du salon se ferait exclusivement en milieu gai », se rappelle Louise Bellegarde. Pour la deuxième édition, elle a obtenu d’annoncer ailleurs. « Les femmes doivent se montrer moins discrètes», ajoute l’organisatrice qui se dit ouverte à des collaborations avec d’autres milieux si le Salon y gagne en notoriété.

Manon Guastaferri, courtière en assurances de personnes, a découvert l’existence de l’AFAPG en fréquentant le Salon. « J’ai vite constaté que c’était sérieux. Je suis devenue membre car le groupe est appelé à se développer et moi, j’aime bâtir des choses ». Elle s’y est fait des amies et des clientes et y a trouvé plusieurs occasions de mettre à profit ses talents de bâtisseuse.

L’AFAPG compte 110 membres et représente toute la gamme des métiers et des professions. Telle membre est-elle restauratrice? On organisera une activité chez elle. Telle autre est-elle notaire? La courtière la conseillera spontanément à ses clients. « Dans le choix de mes fournisseurs, la priorité va aux membres de l’AFAPG », assure Suzanne Pelletier.

A part la « solidarité d’affaires » qu’elle veut susciter, l’AFAPG sait aussi se divertir (danses, brunchs, casino) et se perfectionner (conférences, bulletin de liaison). N’y a-t-il pas risque d’en faire un ghetto? Manon Guastaferri croit que non. « C’est vrai qu’il y a une complicité entre nous, on échange plus facilement, les contacts sont plus chaleureux. Le ghetto, à mon avis, existe davantage dans l’esprit des gens que dans la réalité. D’ailleurs, s’inquiète-t-on ainsi des associations exclusivement masculines? »