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L’estime de soi pour se protéger du sida

Sournoisement, le VIH s’infiltre chez les femmes de tous les milieux, de toutes les conditions: celles des quartiers défavorisés ou du milieu carcéral

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Sournoisement, le VIH s’infiltre chez les femmes de tous les milieux, de toutes les conditions : celles des quartiers défavorisés ou du milieu carcéral, les utilisatrices de drogues injectables… même les femmes mariées ou les lesbiennes ne sont pas épargnées.

Sur les 3335 cas recensés au Québec en mars 1995, 324 étaient des femmes, 60 de plus que l’année précédente, et on s’attend à ce que l’augmentation se poursuive au même rythme au cours des prochaines années. Pire, pour connaître le nombre de femmes séropositives, il faudrait multiplier par cinq, voire par dix, selon les chercheurs. Et derrière les chiffres, il y a la réalité, toujours cruelle. Ainsi, on voit de plus en plus de jeunes mères recevoir la terrible nouvelle avec les résultats de leur test de grossesse.

« Or, qu’est-ce qu’on a fait en matière de prévention pour les femmes au cours des cinq dernières années? Presque rien! » , s’indigne Josée Lafond, professeure de sexologie à l’UQAM. Dans la jeune trentaine, passionnée par le travail de recherche, elle n’est pas pour autant insensible au fait de rejoindre les gens là où ils se trouvent, « sur le terrain». Au contraire, c’est après avoir fait le tour des groupes communautaires-sida qu’elle s’est rendue à l’évidence : l’absence navrante de services adaptés aux besoins des femmes.

De là, elle fondait, en novembre 1994, le Centre de ressources et d’interventions en santé et sexualité pour promouvoir la santé globale et sexuelle auprès des femmes à risque.

Pour l’amour de la vie

« Les campagnes de prévention, qui misent sur la fidélité ou le port du condom, n’ont pas été assez efficaces ». Parce que, en visant le plus grand dénominateur commun, elles échappaient une dimension fondamentale, selon Josée Lafond : « Au fond, tout se résume à une question d’estime de soi, précise-t-elle. Il faut que les femmes considèrent leur vie assez importante pour avoir envie de la protéger ».

Mais ce n’est pas facile de s’imposer, surtout si on a un gros « trou » émotif. Celles qui ont connu l’abus sexuel, l’inceste, la violence et qui sont restées meurtries, peuvent être avides d’être aimées. « Trop souvent, on rencontre des femmes prêtes à faire n’importe quoi

pour avoir ce que la société prescrit, un conjoint, par exemple». Chez les jeunes, c’est presque la catastrophe. Les adolescentes, qui découvrent à peine leur sexualité, abordent rarement la question, de peur de déplaire à leur nouvel ami.

Sans compter les « oublis » occasionnels. « Une femme peut utiliser le condom durant 10 ans et se retrouver ne serait-ce qu’une ou deux fois, dans une situation à risque, explique Mme Lafond. Pour réduire ces cas, il faut en comprendre l’origine. Or, on remarque que la possibilité d’agir impulsivement est plus grande en période de manque affectif, lorsqu’on a été plusieurs années sans relations sexuelles, par exemple. Et ça peut arriver à tous, même aux plus « sensibilisées »d’entre nous».

Les intervenantes du CRISS ont donc élaboré une approche nouvelle pour aider les femmes à être plus à l’aise avec leur sexualité et être ainsi mieux en mesure de négocier certains comportements sécuritaires, comme le port du condom. Elles offrent leurs services un peu partout au Québec, dans les écoles secondaires, les cégeps, les centres de femmes, etc. Également, sous le titre de « Impacts », elles proposent des ateliers de formation à des « multiplicateurs » : éducateurs scolaires, travailleurs sociaux, infirmières, tous doivent être sensibilisés.

Quand le virus est là

La prévention n’est hélas pas une panacée. Aussi, tombe parfois l’horrible verdict. Il y a alors des femmes angoissées, malades, réduites à un grand dénuement matériel, faute de pouvoir poursuivre le travail. Et il y a aussi, et peut-être surtout, des femmes terriblement seules…

Malgré les acquis du féminisme et de la révolution sexuelle, et en dépit de leur condition éprouvante, les femmes séropositives n’échappent pas plus que toutes les autres au double standard moral. Rapidement, elles sont étiquetées « maman ou putain», selon qu’elle sont atteintes d’un « bon » ou d’un « mauvais » sida. Elles peuvent compter sur de l’aide, matérielle ou morale, si elles ont été contaminées à leur insu, notamment lors d’une transfusion. Mais si elles ont contracté le virus en raison de pratiques à risque… Pas étonnant que plusieurs d’entre elles hésitent longtemps avant de confier leur état à leur entourage.

En outre, les services existants ayant principalement été conçus pour les hommes, puisque, de fait, ils constituent toujours la grande majorité des personnes séropositives et sidéennes, l’isolement des femmes est encore plus insupportable, surtout si elles ont des enfants. Et puis comment aborder le désir d’enfants qui, chez de nombreuses femmes séropositives, ne s’évanouit pas, bien au contraire, s’affirmant comme un sursaut d’espoir, un défi à la mort… Bien qu’on puisse vivre plus de dix ans avant de développer la maladie, les risques de transmettre le virus au nouveau-né sont évalués à 25 % …

Aussi, en plus du travail de prévention, le CRISS a mis sur pied le service Sida femmes pour permettre à celles qui se savent atteintes de se procurer certaines ressources matérielles nécessaires au maintien de la meilleure qualité de vie possible, mais surtout, de se rencontrer et de se sentir utiles en appuyant les femmes qui viennent de recevoir leur diagnostic.

Un salutaire accompagnement

Une autre ressource, le Centre d’action sida Montréal pour les femmes assure, depuis juillet 1995, un service d’écoute téléphonique 24 heures sur 24. Grâce au travail de ses bénévoles, le Centre offre aussi un service d’accompagnement pour les visites à l’hôpital ou chez le médecin, ainsi que des visites à domicile. On compte enfin mettre sur pied un service de garde.