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Burkinaises en action

Plusieurs femmes travaillent pour le restaurant de l’Association Munyu, une source de financement importante pour l’organisme.

Date de publication :

Depuis près de 20 ans, l’Association Munyu des femmes de la Comoé permet à 12 000 Burkinaises de s’éduquer et de travailler dans leur communauté. Même si le féminisme n’existe pas officiellement au Burkina Faso, il laisse déjà des traces.
Photographie de Salimata.
©Léa Clermont-Dion
Salimata possède sa boutique de tissus batik, une technique artisanale de peinture sur toile de coton qui remonte à 2000 ans avant Jésus-Christ.
« Au Burkina Faso, les femmes ne veulent plus être au service des hommes, affirme la présidente de l’Association Munyu des femmes de la Comoé, Laurence Hema. Les défis sont nombreux pour nous toutes. » La mission de l’organisme est claire : améliorer le statut des femmes pour assurer le bien-être des mères et des enfants. Située à Banfora, une ville de 50 000 habitants, l’Association Munyu est active dans toute la région des Cascades, qui couvre les provinces de la Comoé, de la Léraba et une partie des provinces du Houet et du Kénédougou. Elle a été créée après la révolution politique menée au tournant des années 1990. « On a toujours voulu s’émanciper. Devenir l’égale de l’homme représentait et représente toujours un défi. » L’Association a succédé en 1992 à une organisation féministe, l’Union des femmes du Burkina. Elle a depuis mis sur pied 290 centres d’alphabétisation et 32 bibliothèques villageoises, construit 10 puits et un forage. Pour s’autofinancer, le regroupement gère un restaurant. En 1999, elle a aussi implanté la chaîne de radio La voix de la femme, dont le rayon de diffusion atteint 150 kilo mètres. « Notre radio informe nos membres, dit fièrement Laurence Hema. Les gens se divertissent en apprenant. » La chaîne de Munyu a mis en place un réseau de plus de 100 correspondants villageois qui font des reportages et présentent des émissions de sensibilisation sur différents thèmes dans les langues locales. À l’Association, 95 % des membres sont des femmes de milieux ruraux. Les plus riches sont les plus actives; beaucoup d’entre elles travaillent ou sont à la retraite.

L’éducation pour toutes

« L’Association est fière de ses centres d’alphabétisation qui enseignent aux jeunes femmes à lire et à écrire dans leur langue maternelle, le dioula. Nous les sensibilisons également sur des problèmes comme l’excision, explique Laurence Hema. Nos formations sont variées et gratuites. Ça fait notre force. Souvent, les jeunes filles n’ont pas accès à l’école, faute de moyens financiers. » Mme Hema sait de quoi elle parle : si elle n’avait pas eu accès à l’école à 8 ans, cette sexagénaire ne serait probablement pas impliquée comme elle l’est aujourd’hui. « C’est grâce au prêtre qui est venu me chercher dans mon village que je suis là. Étudier est un privilège ici. » À Munyu, les Banforalaises apprennent également différents métiers. La diversité des cours est frappante. Les formations sont souvent liées aux travaux domestiques comme le tricot, la couture ou la teinture. D’autres femmes sont engagées comme brigades vertes; elles sont payées pour nettoyer la ville, aux prises avec de graves problèmes d’insalubrité.
Au Burkina Faso, 38,2 % des filles fréquentent l’école primaire contre 49,6 % des garçons. Au secondaire, la proportion est de 13,8 % pour les filles et de 17,3 % pour les garçons.
Outre les formations, l’Association met en place des projets de fabrication de soumbala (une épice locale) et de beurre de karité, ainsi que de séchage de fruits et de légumes, qui deviennent des activités génératrices de revenus pour les femmes. Plus de 300 filles ont été formées à ces métiers. Au Burkina Faso, 38,2 % des filles fréquentent l’école primaire contre 49,6 % des garçons. Au secondaire, la proportion est de 13,8 % pour les filles et de 17,3 % pour les garçons. Le refus d’envoyer les filles à l’école, solidement ancré dans les traditions, explique ce débalancement, selon Monique Ilboudo, docteure en droit et ancienne professeure à l’Université de Ouagadougou. Le féminisme et l’égalité des sexes ne sont pas des concepts répandus au Burkina Faso. Il n’y a même pas de mots en dioula pour les nommer, explique-t-elle. Mais les Burkinaises s’investissent tout de même dans l’alphabétisation, l’habilitation juridique, l’apprentissage en tissage, en couture, en teinturerie, en fabrication de beurre de karité, etc. Cette prise en main leur permet de se créer des activités rémunératrices. Et à l’Association Munyu, on se déclare ouvertement féministes. « L’Association est dirigée par des femmes qui militent pour l’égalité des sexes, pour des femmes. Cela fait de nous des féministes », affirme Laurence Hema.

Des partenaires de partout

L’aide consentie par diverses ONG est déterminante pour la vitalité de l’Association. « Nous coopérons avec des organisations d’ailleurs, ce qui nous aide beaucoup », précise la présidente. Parmi elles, Oxfam-Québec et Aide à l’enfance Canada. En mai 2010, Oxfam-Québec a offert le soutien de sept stagiaires spécialisés en radiodiffusion afin que les animateurs de La voix de la femme comprennent mieux les outils technologiques. La superviseure du stage et accompagnatrice du groupe, Annie-Claude Simard, témoigne : « Peut-être est-ce cliché à dire, mais ces femmes m’ont fait prendre conscience de la chance que j’ai d’être née au Canada. Les rencontres que j’ai faites m’ont marquée et m’ont permis de constater que le fait d’être femme implique beaucoup de choses, que ce soit au Burkina Faso ou au Canada. »
« C’est grâce au prêtre qui est venu me chercher dans mon village que je suis là. Étudier est un privilège ici. »
— Laurence Hema
Ce troisième séjour au pays lui a permis d’acquérir une nouvelle compréhension de l’implication des Africaines. « Une femme leader de Munyu en impose et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Je constate une grosse différence avec la femme africaine typique, plus effacée et moins impliquée. » Tout comme son accompagnatrice, la stagiaire québécoise Maïka Sondarjée est revenue avec une vision différente du leadership au féminin. « Au fond, je crois que c’est partout pareil, dit-elle. Aux femmes de chaque pays, on demande de posséder des qualités habituellement attribuées aux hommes. » Tant que les femmes ne seront pas plus nombreuses à évoluer dans la sphère publique, il en sera sûrement ainsi. En attendant, les Burkinaises cheminent lentement mais sûrement sur la voie de leur autonomie.