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Sur la terre, pas au ciel

Plusieurs le clament haut et fort : la société québécoise doit tenir un débat sur la laïcité.

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Plusieurs le clament haut et fort : la société québécoise doit tenir un débat sur la laïcité. Mais de quoi discuterions-nous exactement? Entretien avec deux professeurs sur un concept à éclaircir.

Pas facile de déterminer les tenants et les aboutissants de la reconnaissance formelle du Québec comme État laïque. Et si on commençait par démêler les choses? « Les sociétés sont “multireligieuses” et incluent les agnostiques et les athées. Seuls l’État et ses institutions publiques peuvent être caractérisés comme laïques. » Voilà une première clarification que souhaite faire Sam Haroun, auteur d’un essai sur le sujet, L’État n’est pas soluble dans l’eau bénite (Septentrion). Ce professeur à la retraite tient à la précision, car religion et État appartiennent, rappelle-t-il, à deux registres distincts : d’un point de vue philosophique, la religion est du côté céleste, et l’État, du côté terrestre.

Au Québec, l’histoire de la laïcité a suivi un chemin particulier. « Si on examine le lexique de la laïcité, on réalise qu’au 19e siècle, et jusque dans les années 1930, le mot laïcité n’était pas fréquent; on parlait plutôt du couple cléricalisme/ anticléricalisme, analyse le professeur Yvan Lamonde, auteur de L’heure de vérité. La laïcité québécoise à l’épreuve de l’histoire (Del Busso éditeur). Ensuite a commencé le processus de déconfessionnalisation. Par exemple, celle du mouvement coopératif agricole, à propos duquel le père Lévesque disait qu’il n’y avait pas de raison que le mouvement soit catholique puisqu’on ne fabrique pas de beurre catholique! Selon ce clerc qui allait fonder l’École des sciences sociales de l’Université Laval, il fallait rendre les coopératives neutres, tout comme le syndicalisme, d’ailleurs. En 1960, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada deviendra la Confédération des syndicats nationaux (CSN). »

Ces exemples illustrent à quel point les racines de la société québécoise se sont ramifiées dans le terreau religieux. Fait étonnant, ce sont les croyants eux-mêmes qui ont voulu freiner l’influence des clercs. « Le “laïcat” désigne d’ailleurs les laïcs croyants qui, dans les années 1930, se sont battus pour obtenir une plus grande place dans l’Église catholique. » Selon le professeur Lamonde, ces croyants voulaient limiter le contrôle des clercs parce qu’ils les considéraient inaptes à indiquer comment conjuguer le christianisme à la vie concrète du travail ou du monde étudiant. Parmi ces nouveaux venus, non-clercs et croyants : Simonne Monet-Chartrand, Pierre Juneau, Gérard Pelletier.

Et au 21e siècle, l’histoire se poursuit… Comme dans le Québec des années 1930, on veut combattre ceux qui dictent aux citoyennes et aux citoyens la conduite à adopter. Mais ce ne sont plus les clercs. « Ce sont les intégrismes, soit “l’hypertrophie” de la religion, portée en idéologie, qui nous compliquent la vie. Le dogme, aussi.Quand on vous dit que vous devez croire à l’Immaculée Conception et qu’on ne vous demande pas votre avis, quelque chose ne tourne pas rond. La laïcité, elle, n’a de sens que dans la liberté », affirme Sam Haroun, qui insiste sur l’importance d’assurer l’étanchéité du mur entre religion et État. « Car la religion a une finalité surnaturelle immatérielle, alors que la politique est l’organisation de la cité, ici-bas; elle est « raisonnable”. Les méthodes divergent. Celles de la religion vont “de haut en bas” : on vous prescrit un dogme, et vous devez y croire. En politique, on change de registre : on est dans les débats, les controverses, les élections; la réalité est différente. »

Pas contre la religion

Il faut aussi dissiper toute confusion. « La laïcité n’est pas un conflit de libertés, mais une “intelligence” des libertés, un désir de les allier, précise Sam Haroun. Des intégristes disent : “Nous sommes libres de porter le niqab parce que c’est notre religion.” Vrai. Dans votre foyer, dans votre église, pas de problème.Mais dans l’espace public d’ici, votre liberté n’est pas absolue, elle est relative, car il y a d’autres libertés en face de la vôtre.C’est le rôle de la laïcité de concilier liberté de conscience individuelle et responsabilité civique par rapport à la société. »

Selon Yvan Lamonde, c’est précisément cette responsabilité qu’a prise le Québec lorsqu’il a déconfessionnalisé le fait d’être Québécois en dissociant les institutions de l’Église. Mais il reste une étape à franchir. « La laïcité révèle que si l’on exclut la religion en tant que valeur qui définit le Canada français et qu’il ne reste que la langue [NDLR : ainsi que l’égalité des sexes], à un moment où l’immigration devient importante, on doit trouver quelles sont les valeurs communes — au-delà de la langue — qui sont partagées par les habitants du Québec. » La souveraineté fut (et est encore) la proposition d’une partie des Québécois pour répondre à cette question.

Quoi qu’il en soit, c’est l’émergence d’un État capable de réguler les valeurs et d’affirmer sa neutralité qui est attendue. Comme l’écrit Yvan Lamonde dans son essai : « Il semble exister un blocage à l’émergence de cet État neutre, je dirais cet État véritable encore marqué par les Églises et qui n’est pas souverain d’abord à l’égard de lui-même. » Cela fait en sorte, explique t- il en entrevue, que nous fonctionnons dans une sorte d’absence de règles, notamment sur la laïcité.

Selon Sam Haroun, tout le monde y perd. Car déclarer formellement la laïcité de l’État « est nécessaire à la fois pour le bon fonctionnement de l’État et de la société, et pour la liberté de conscience ».