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Paroles de mères

Ô mères… que de mesures on adopte au nom du bien-être de vos enfants!

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Ô mères… que de mesures on adopte au nom du bien-être de vos enfants! Mais vous, les coauteures de cette progéniture qui assurera la suite du monde, qu’en dites-vous?

On écoute peu les mères. De moins en moins, semble-t-il parfois. Au profit des innombrables spécialistes et leaders de groupes d’opinion qui ont tous de savantes thèses à défendre… au nom des enfants!

Bien modestement, nous l’avouons, l’espace d’une semaine, nous avons voulu renverser la vapeur. À cette fin, nous nous sommes trimballées dans quelques villes du Québec (voir l’encadré) avec des spécialistes de SOM, une entreprise de recherches et de sondages, pour entendre une quarantaine de mères, âgées de 20 à 35 ans, qui ont des enfants du berceau à 16 ans.

Les enfants qu’on a ou les enfants qu’on veut?

À chaque rencontre, un souffle de nostalgie traverse la salle. En effet, les participantes qui auraient souhaité avoir un ou deux enfants de plus sont aussi nombreuses que celles qui ont eu autant d’enfants qu’elles le désiraient. Quelques mères, parce qu’elles n’ont actuellement pas de conjoint, se déclarent « hors course ».

Plus fréquemment, les femmes de Montréal ont déclaré qu’elles auraient aimé avoir plus d’enfants, alors que celles de Portneuf ont le plus réalisé leurs désirs sur ce plan.

Assurément, le manque d’argent constitue le principal frein à la réalisation du projet d’enfant. Suivent les réserves du conjoint, les concessions à faire lorsque les deux partenaires veulent poursuivre leur carrière et, pour quelques-unes, la fatigue et le manque de patience.

C’est presque avec un cri du cœur que les mères nous ont indiqué que les mesures d’aide gouvernementale n’ont d’aucune manière influé sur leur décision d’avoir un enfant. Au contraire, résume l’une d’elles : « Les mesures “facilitantes” sont tellement restreintes que, si on s’y était fiées… on n’aurait jamais eu d’enfants! » D’ailleurs, déplorent celles qui font partie de la classe moyenne, très peu de mesures leur sont accessibles.

Au fait, toutes s’estiment insuffisamment informées, surtout au moment d’une première maternité, des services ou des programmes destinés aux familles. Bien sûr, les femmes sont inondées de dépliants quand elles accouchent à l’hôpital, mais ayant alors en tête bien d’autres choses, le moment leur semble inapproprié. Le bouche à oreille demeure donc leur principal mode d’information.

Après réflexion, les seules mesures auxquelles de rares femmes attribuent une influence sur leur décision sont les congés de maternité et les congés parentaux.

Si les femmes désignent difficilement des mesures qui les ont incitées à la maternité, les réponses fusent et se bousculent lorsqu’il est question des contraintes au projet d’enfant.

Une première série de doléances tourne autour des congés de maternité ou parentaux. D’abord, plusieurs jugent inacceptable la perte de revenus qui en résulte. Le manque à gagner a d’ailleurs hâté le retour au travail de quelques-unes. C’est tout de même mieux que les travailleuses à temps partiel ou à statut précaire qui, bien souvent, n’ont eu droit à aucun congé… quand elles n’ont pas été carrément congédiées. Et que dire des travailleuses autonomes! Enfin, d’autres ont raconté leurs démêlés avec leur employeur à propos du retrait préventif que leur fonction justifiait pourtant.

Les services de garde soulèvent également plusieurs irritants : particulièrement leur coût, mais aussi l’absence de souplesse quant aux heures d’ouverture ou à une fréquentation irrégulière.

La dureté du climat économique actuel et ses répercussions sur les conditions de travail apparaissent aussi comme un frein à l’expansion des familles. On se plaint, entre autres, de la précarité de l’emploi combinée avec l’augmentation des dépenses qu’entraînent la naissance et l’éducation des enfants. Sans oublier les relations difficiles vécues avec l’employeur au moment de retourner au travail ou l’expérience d’un congédiement qui forcent les femmes à y penser à deux fois avant de revivre une grossesse.

Enfin, certaines déplorent l’insuffisance du soutien financier des gouvernements, et notamment la diminution de l’aide quand les enfants atteignent 6 ans. Pourtant, soulignent des femmes, les besoins des enfants ne cessent de croître après cet âge. Les exigences de l’école, fut-elle publique, avec sa flopée de fournitures et d’activités, pèsent particulièrement lourd, remarquent-elles vertement.

« On met un enfant au monde… et on nous récompense en coupant 40 % de notre salaire. »

Et si on imaginait une société adaptée aux mères…

… on aurait un marché du travail accueillant pour les familles.

Mais encore? Les mères et les pères auraient accès à des horaires de travail flexibles. Mieux, les horaires de travail s’accorderaient avec ceux de l’école : les congés pédagogiques, les semaines de relâche et les vacances scolaires causent bien des casse-tête pour la garde des enfants.

Les parents disposeraient aussi d’une banque de congés payés pour responsabilité parentale dont ils n’auraient pas à justifier l’utilisation. Dans une perspective d’équité, les travailleuses autonomes-une espèce en voie d’expansion-, auraient droit à des crédits d’impôt pour compenser les pertes attribuables aux congés exigés par les soins aux enfants.

Dorénavant, les travailleuses en congé de maternité ne subiraient plus de diminution de revenus. La différence entre leur salaire habituel et les prestations de l’assurance-emploi serait comblée par l’employeur ou, option privilégiée par un plus grand nombre, par une assurance à laquelle contribueraient les employeurs, l’État et les parents.

… les services d’aide aux familles seraient universels et vraiment efficaces.

À quoi cela ressemblerait-il? D’abord, finis les cauchemars autour de la garde des enfants. En premier lieu, les garderies seraient accessibles à un coût abordable : voilà une position unanime. « Actuellement, je travaille pour payer les frais de garde », a déploré plus d’une. Pire, ont ajouté d’autres : « Si tu es au salaire minimum et que tu as un deuxième enfant, il est hors de question que tu retournes travailler, parce que ta paie ira à la garderie. » Pour faciliter le retour au travail des mères assistées sociales, on devrait même, dans leur cas, instaurer la gratuité de ces services. Pour leur part, les très nombreuses travailleuses de soir, de nuit, sur des quarts variables, sur appel, à temps partiel, alouette… trouveraient leur compte si des garderies étaient ouvertes 24 heures sur 24 et si les modalités d’accueil s’assouplissaient. « Comme je travaille le soir, je n’ai accès ni aux garderies ni aux subventions. Je suis obligée d’encourager le travail au noir », a relevé quelqu’une. Pour faciliter le lien mère travailleuse-enfant, il y aurait des garderies en milieu de travail, ce qui pourrait notamment permettre aux mères d’allaiter plus longtemps.

« Les mères ne sont pas toutes sur le marché du travail », se sont empressées de nous rappeler des femmes. Ce n’est toutefois pas une raison pour les priver de toute ressource de répit, ce qui est souvent le cas lorsque leurs enfants ne se font pas garder sur une base régulière et qu’elles ne peuvent compter sur leur entourage. Pour elles, il s’agirait, avec l’assistance d’un organisme public, de mettre sur pied un réseau d’échange de services entre mères à la maison. Ou encore les municipalités pourraient offrir, à prix modique, des activités de loisir, séparées mais simultanées, aux mères et à leurs enfants. L’une ou l’autre de ces formules contribuerait de plus à rompre l’isolement de ces femmes et à favoriser l’échange d’information. Enfin, appréciant les initiatives des quelques commerces qui ont des halte-garderies gratuites sur place, les participantes en ont souhaité la généralisation. « Pour les magasins, plaident-elles, il s’agit d’un moyen en or de fidéliser la clientèle. »

Mais les enfants, ce ne sont pas que les bambins des garderies; un jour, ils prennent le chemin de l’école… pour en revenir avec une tonne de devoirs! Pour soulager les mères, surtout celles qui travaillent à temps plein, toutes les participantes se sont montrées favorables à l’instauration d’un service d’aide aux devoirs. Certaines préféreraient d’ailleurs payer pour un tel service plutôt que pour une garderie ou une gardienne après l’école. Quant aux ados, il serait peut-être intéressant de leur proposer de se regrouper dans une maison de jeunes où ils et elles bénéficieraient tout de même du soutien de membres de la communauté pour étudier.

Par ailleurs, parce que, de nos jours, l’éducation passe aussi par la participation à des activités culturelles, les femmes ont demandé que celles-ci soient gratuites pour les enfants de familles modestes ou, du moins, déductibles d’impôt.

« J’ai perdu mon emploi lorsque je suis tombée enceinte pour la deuxième fois. Mon patron m’a dit que j’étais sûrement une excellente mère et que je serais bien mieux à la maison. »

Enfin, nous l’avons dit plus haut, les mères se sentent mal informées des ressources à leur disposition. Pour pallier cette lacune, quelques-unes ont suggéré de réunir toute l’information, y compris sur les groupes communautaires, dans un guide distribué par les CLSC. Elles n’ont pas manqué, au passage, de déplorer la sélectivité croissante des services que dispensent ces derniers et ont réclamé une accessibilité plus large.

… l’État reconnaîtrait les dépenses qu’occasionne la présence d’enfants et contribuerait à les amoindrir.

Outre la nécessité d’augmenter les allocations familiales pour les enfants de plus de 6 ans et d’améliorer la compensation financière pendant les congés de maternité ou parentaux déjà mentionnée, les participantes considèrent que le gouvernement devrait veiller à réduire le coût de certains services ou biens essentiels. Il pourrait intervenir directement, notamment en « plafonnant » les frais de garde, ou par l’entremise d’exemptions de taxes sur des produits essentiels, tels le lait ou les couches.

Côté fiscalité, l’État devrait aussi accorder des crédits d’impôt plus substantiels pour les enfants à charge et mieux prendre en considération la situation des mères qui étudient et des chefs de famille monoparentale.

Enfin, des Trifluviennes excédées par les difficultés qu’elles éprouvent à concilier travail et famille dans un marché du travail de plus en plus dur, ont réclamé, à l’unanimité, l’attribution d’un salaire aux mères-aux parents, ont-elles corrigé par la suite-, à la maison. Pour elles, ce serait une autre façon de reconnaître l’importance que la société accorde à l’éducation des enfants.

C’est beau les enfants, mais qui en est responsable?

Pour les unes, sans aucune hésitation : « C’est un choix personnel d’avoir des enfants. On n’a donc rien à exiger des autres. » En conséquence, elles privilégient des solutions qui relèvent de la débrouillardise individuelle, largement tributaires de l’aide de la famille, des voisins, des amis, etc. Bref, « un retour aux anciennes valeurs où l’entraide prenait davantage d’importance. » Quelques-unes parmi elles sont tellement imprégnées du caractère individuel de la responsabilité parentale qu’elles déclarent ne compter que sur leurs propres moyens.

Pour d’autres, tout aussi nombreuses et convaincues, le soutien aux parents est d’abord une affaire de société, puisque « les enfants contribueront plus tard à l’économie, ce qui profitera à tous les adultes d’aujourd’hui. » Au fait, c’est qui « la société »? Les réponses qui viennent spontanément sont les gouvernements, les entreprises, les municipalités, les CLSC, les écoles. Au sujet des entreprises cependant, des discussions s’engagent. Des femmes exigent plus d’ouverture et de souplesse à l’égard des parents — père comme mère, insistent certaines, — quitte à ce que le gouvernement les y contraigne par une loi. D’autres craignent que, dans le contexte actuel, les revendications parentales jouent au détriment de l’embauche déjà « frileuse » des femmes. « Et les syndicats? », relance l’animateur. Pour toute réponse, un long silence embarrassé, puis : « Les énergies des syndicats sont totalement consacrées à garder nos postes qui sont sans cesse coupés. » Quant aux groupes communautaires, qui doivent aussi être suggérés par l’animateur, « ils font déjà beaucoup pour les parents. Mais, étant donné leur situation précaire, ce sont des ressources fragiles. »

« Lorsque le gars annonce au travail qu’il va être père, il n’a que des félicitations. Lorsque c’est nous, on reçoit un accueil très… tempéré! »

Les enfants, on les fait à deux; mais après?

Une grosse (et bonne) surprise : la majorité des participantes estiment que les pères en font suffisamment. Attention cependant! Il faut écouter la réponse jusqu’au bout : « Suffisamment, compte tenu du temps que leur laissent leurs obligations professionnelles. » Toute une nuance!

Les discussions suivant leur cours, un autre bémol s’impose : si les pères sont de plus en plus présents à l’heure des jeux et même des soins, s’ils participent plus activement, quoique dans une moindre mesure que les mères, aux tâches domestiques, la responsabilité, l’organisation globale reposent toujours sur ces dernières. Et elles en ont assez. Alors que faire?

D’abord — et c’est une position majoritaire —, les mères (encore elles!) doivent « sensibiliser les pères à leur rôle et leur laisser prendre davantage d’initiatives en leur faisant confiance. » D’après quelques-unes, une « thérapie de choc » s’impose : à l’occasion, elles obligeraient les pères à passer plusieurs journées avec leurs enfants pour leur faire comprendre les exigences de la tâche. D’autres verraient d’un bon œil la mise sur pied de « cours de préparation à la paternité »; les pères y trouveraient une occasion de parler d’eux, entre eux, ce qui leur manque actuellement, selon les partisanes de cette proposition. Enfin, des mères seules, dont les conjoints n’apportent, au mieux, qu’une contribution financière, s’inquiètent de l’absence de présence paternelle. Elles souhaitent donc des mesures qui « forceraient » les contacts réguliers avec les enfants.

Il faut aussi travailler en fonction de l’avenir en transmettant aux enfants des modèles exempts de stéréotypes sexistes. D’ailleurs, certaines reconnaissent qu’elles s’y efforcent déjà. Si cette responsabilité revient de prime abord aux parents (toujours aux mères?!), elles n’en réclament pas moins la collaboration des médias et de l’école.

Finalement, quelques-unes prennent à partie les entreprises qui, par leurs exigences, bloquent la participation des pères à la vie de famille. « S’il demeure difficile pour les femmes de se prévaloir des congés de maternité ou parentaux, pour les pères, c’est pratiquement impossible dans certains milieux. La performance au travail est le seul critère qui compte. C’est pourquoi ça va prendre des lois pour que les employeurs permettent aux pères de s’engager plus. »

Les dessous de l’enquête

De toutes conditions, environ la moitié des 41 participantes occupaient un emploi à temps plein ou à temps partiel, la plupart vivaient avec un conjoint, mais pas nécessairement le père biologique de leurs enfants, et la grande majorité avaient un ou deux enfants.

Nous avons réuni des femmes du centre-ville de Montréal, de la banlieue de la métropole, de Trois-Rivières, de la région de Portneuf, ainsi que de Québec et sa banlieue pour des groupes de discussion d’environ deux heures. Bien que cette technique ne permette pas de joindre un grand nombre de personnes, elle présente l’avantage de favoriser l’expression et l’approfondissement de certaines questions, ce qu’un sondage n’aurait pas pu faire.

Précisons finalement que les rencontres ont eu lieu pendant la semaine où le document gouvernemental sur les nouvelles dispositions de la politique familiale a été rendu public, ce qui a pu exercer une influence sur certaines participantes.

  • En 1995, on dénombrait au Québec 960 000 familles. Quatre-vingt-cinq pour cent d’entre elles comptent un ou deux enfants. Les familles monoparentales représentent 20 % de l’ensemble et les familles recomposées, 10 %.
  • Près des deux tiers des mères d’enfants de moins de 3 ans travaillent. Dans 70 % des familles biparentales, les deux conjoints occupent un emploi.
  • En 1994, le revenu moyen des familles québécoises se situait à 50 000 $ par année. Cependant, 57 % des familles gagnaient moins que ce revenu, dont 23 % touchaient un revenu inférieur à 25 000 $.
  • Plus de 100 000 familles monoparentales vivent de l’aide sociale. C’est le cas des trois quarts des familles monoparentales ayant des enfants d’âge préscolaire.
  • Entre 1976 et 1995, le nombre de travailleuses et travailleurs autonomes est passé de 229 000 à 460 000 et celui des employées et employés à temps partiel, de 230 000 à 584 000. Or, le premier groupe ne bénéficie pas des congés de maternité ou des congés parentaux, tandis que le second n’y a qu’un accès limité en raison des normes restrictives du programme d’assurance-emploi qui viennent encore d’être resserrées. Depuis janvier 1997, le nombre minimal d’heures de travail pour être admissible au congé de maternité a augmenté de 300 à 700 par année.
Source : Gouvernement du Québec, Secrétariat à la famille. Nouvelles dispositions de la politique familiale. Les enfants au cœur de nos choix. Québec, 1997.