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Les femmes et les médias en Asie: le machisme à l’orientale

Quelle place les médias asiatiques donnent-ils aux femmes, tant dans les salles de rédaction que dans le contenu de l’information? Et comment la représentation médiatique influe-t-elle sur la perception que les femmes ont d’elles-mêmes?

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Quelle place les médias asiatiques donnent-ils aux femmes, tant dans les salles de rédaction que dans le contenu de l’information? Et comment la représentation médiatique influe-t-elle sur la perception que les femmes ont d’elles-mêmes? L’automne dernier, le Centre japonais de la presse étrangère réunissait, pour son second colloque annuel sur l’Asie-Pacifique, une dizaine de journalistes de cette région du globe pour débattre ces questions.

Où sont les femmes?

« S’il y avait plus de femmes à la barre des organes de presse et si on cessait de les confiner dans les sections « culture » ou « art de vivre », les débats de société s’en trouveraient bouleversés », lance d’entrée de jeu Jin Sook Lee, journaliste au réseau sud-coréen MBC (Munhwa Broadcasting).

Ainsi rapporte-t-elle : « Quand le gouvernement sud-coréen a décidé d’imposer une amende aux jeunes femmes qui se découvraient trop l’été en portant un T-shirt au nombril, les rédactions mâles ont encensé la proposition. On prétendait qu’il s’agissait d’une façon de contrer les viols attribuables à la « provocation » féminine. Pour moi, c’est l’expression d’une dictature masculine qui porte atteinte à la liberté des femmes de se vêtir comme elles le veulent. »

À la chaîne de télévision où travaille Mme Lee, on ne compte encore que 13 femmes sur 200 journalistes, même si on y embauche une dizaine de reporters chaque année. « Parmi eux, on trouve, dans les meilleures années, deux femmes, même si elles réussissent mieux les examens d’entrée », dénonce-t-elle.

Les Japonaises, dont la société partage largement une vision traditionnelle de la femme, subissent aussi, dans les médias nationaux, des jugements empreints de paternalisme ou d’étroitesse de vue.

Par exemple, la presse nipponne a soulevé le problème du enjo kosai, la prostitution massive d’adolescentes dans le but de se procurer des tailleurs Chanel et des sacs griffés ou encore un téléphone cellulaire dont elles sont friandes. « Mais les éditorialistes ont tout de suite attribué ce phénomène à la trop grande liberté d’esprit que la société a inculquée aux jeunes femmes, témoigne Mieko Takenobu, journaliste au prestigieux quotidien Asahi Shinbun. Des femmes auraient plutôt fait le lien avec le contexte économique sans issue pour les travailleuses, ce qui peut porter les plus jeunes à se rabattre sur la prostitution, croit-elle. Il est encore difficile pour les Japonaises d’accéder à l’indépendance financière; leurs salaires sont si bas qu’il ne leur reste comme porte de sortie qu’à trouver un mari ou… un souteneur. Mais évidemment, comme il y a peu de femmes journalistes dans la presse à grande diffusion, c’est dur de faire ressortir cette vérité. »

Au Japon, dans les milieux politiques et journalistiques, les femmes ne détiennent que 7 % des postes, une augmentation d’à peine 1 % au cours de la dernière décennie.

Jullie Yap Daza du Manila Standard maintient pour sa part que, même si les journalistes masculins étaient remplacés par des femmes, les règles du jeu demeureraient les mêmes : « Les potins se vendent mieux, et une belle fille qui porte du rouge à lèvres et des bijoux reste bien attirante à la télé. » Pour démontrer les limites du quatrième pouvoir au féminin, Mme Daza cite l’exemple d’une de ses collègues qui détenait la cinquième place au « palmarès de popularité » des chroniqueurs philippins. « Voulant profiter de son succès pour mousser désormais la cause des femmes, elle a écrit des articles sur les problèmes auxquels elles font face. Une initiative qui lui a valu de chuter très rapidement en douzième position! » Aux Philippines, doit-on signaler, 90 % des salles de rédaction sont encore dominées par des hommes.

À Hong-Kong par contre, la situation des femmes journalistes a évolué beaucoup plus rapidement. « Quand j’ai été embauchée il y a 12 ans, j’étais la seule femme, se souvient Daisy Yuet-Wah Li, maintenant affectateure au quotidien Ming Pao. Et encore, le patron a retenu ma candidature parce que je ressemblais à un homme avec ma grande taille, mes cheveux courts, mon jeans et mon fort caractère. »

Maintenant, l’équipe de journalistes du Ming Pao est composée en majorité de femmes, que ce soit aux nouvelles, aux faits divers, aux pupitres politiques ou culturels. « C’est le cas pour tous les médias à Hong-Kong, ajoute Mme Li. Là où il y a encore du travail à faire, c’est dans les postes de direction où l’on compte six hommes pour une femme. »

Une analyse des médias publiée en dans cette ville confirme qu’il n’y aurait pas de discrimination quant aux sujets confiés aux journalistes, hommes ou femmes. En revanche, lorsqu’il s’agit des sources d’information, les femmes sont quatre fois moins citées que les hommes. « C’est la preuve que le pouvoir décisionnel est toujours masculin dans la plupart des secteurs d’activité. Les femmes peuvent bien avoir le stylo en main, si leurs interlocuteurs ne sont que des hommes, la distorsion de la réalité persistera », déplore Daisy Yuet-Wat Li.

Quel reflet de la société?

Les participantes au colloque ont également discuté de l’influence du traitement des femmes dans les médias sur leur perception d’elles-mêmes et, ultimement, sur leur place dans la société.

Dans les médias philippins, signale Jullie Yap Daza, on parle beaucoup des femmes, « … mais en faisant preuve d’un total voyeurisme. Les images et les propos qu’on y véhicule se rapportent surtout à des cas d’exploitation à connotation sexuelle, comme si c’étaient les seuls problèmes sociaux que subissent les femmes. » Et puis s’interroge-t-elle : « Est-ce suffisant de rapporter huit viols par jour si, en réalité, le nombre d’agressions est beaucoup plus élevé et que cette violence se poursuit sans qu’on s’y attaque? »

« Même problème en Thaïlande, renchérit Suwanna Asavaroengchai, du Bangkok Post. Quand on traite des femmes dans les médias, c’est soit pour en faire des objets sexuels avec photos dégradantes à l’appui, soit pour raconter en détail des agressions sexuelles. »

C’est par une anecdote que la Sud-Coréenne Jin Sook Lee illustre à quel point la télévision de son pays se conforme au rôle traditionnel des femmes, toujours à la remorque des hommes, qu’il s’agisse de leur père, de leur patron, de leur mari ou même de leur fils.

Mme Lee raconte la commotion provoquée par l’arrivée au petit écran d’un feuilleton dans lequel, pour la première fois dans l’histoire télévisuelle, une femme avait une liaison extraconjugale avec un homme lui aussi marié. « L’émission a obtenu, dès le premier épisode, une audience très importante, incluant des hommes, relate Mme Lee. Mais, pour eux, le comportement de l’héroïne-et d’elle seule-était tellement révoltant qu’ils ont fait des pressions sur le producteur pour qu’au moins la série se « termine bien »… Si bien que l’auteur a promis que la femme finirait par revenir au foyer! Pour ma part, je souhaite que, peu importe l’issue du feuilleton, mes compatriotes aient enfin compris qu’elles détenaient une marge de manoeuvre dans leur vie », conclut Jin Sook Lee.

Et maintenant, la mondialisation…

Avec la pénétration des médias étrangers par satellites et à la suite de l’ouverture des barrières commerciales, s’ajoute maintenant le problème de l’incapacité de contrôler, par des mécanismes nationaux, le contenu diffusé.

Le matériel de nature pornographique qu’exportent les Japonais vers leurs voisins d’Asie n’est qu’un exemple. « Les manga, les bandes dessinées japonaises, représentent en grande partie des scènes sexuelles violentes, commente la Thaïlandaise Suwanna Asavaroengchai. Après y avoir pris goût, les lecteurs en veulent toujours plus. »

Jin Sook Lee observe le même phénomène en Corée du Sud : « Avec la réception de chaînes telles que la NHK japonaise et la TV Star de Hong-Kong, notre public dispose peut-être d’un bassin plus grand d’émissions éducatives, mais il accède aussi à des images provocatrices qui ont fait augmenter le taux de criminalité dans notre pays. »

Et que dire, souligne Sheryl Wudunn, correspondante du New York Times à Tokyo, des défis que posera aux femmes l’arrivée des nouvelles technologies de l’information. « Qui contrôle IBM et Microsoft, et qui utilise Internet?, demande-t-elle. Ce sont les hommes. Il y a un danger pour les femmes de perdre le contrôle fragile qu’elles avaient acquis-ou qu’elles acquièrent progressivement en Asie-sur la diffusion de l’information. »