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Spécial 25 ans — Le Parminou : l’enfant terrible du théâtre

Qu’un théâtre populaire de tournée subsiste un quart de siècle est déjà un exploit en soi.

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Qu’un théâtre populaire de tournée subsiste un quart de siècle est déjà un exploit en soi. Alors si, en plus, les créations de la troupe sont résolument marquées par les enjeux de la condition féminine, on est proche d’un miracle de longévité. Coup de chapeau pour une compagnie théâtrale aux antipodes d’un certain théâtre élitiste et esthétique qui relègue les émotions et les problèmes sociaux au troisième sous-sol. Le sablier a laissé filer 25 années depuis les premiers spectacles du Théâtre populaire Parminou; depuis les condamnations sans appel des travers de « la société bourgeoise » que constituaient des spectacles comme Le monde, c’t’un cirque ou L’argent, ça fait-y vot’ bonheur. « Bouboule », l’autobus-loge-transport-de-matériel-cuisine-dortoir, a cédé la place à des camions plus modernes, frappés du sceau de ce théâtre itinérant, un chat noir qui fait le gros dos. Contrairement à de nombreuses compagnies issues des effervescentes , Parminou ne revient pas sur ses engagements passés. Ses membres n’ont rien perdu de leur fougue pour s’élever contre la pauvreté des femmes, le harcèlement sexuel ou la dépendance au tabac. Tout au plus, ce théâtre d’intervention, qui diffuse ses productions surtout dans les réseaux scolaire et communautaire, a affiné son message pour demeurer à l’écoute de la société. S’il arrive que, au détour d’une pièce, vous croisiez Éva Guetté, Florida ou Trash, quelques-uns des personnages créés au gré des productions, vous ne vous douterez pas que certains accompagnent le Parminou depuis plus d’une décennie. Tout simplement parce que leurs préoccupations, leurs désirs, leurs colères s’inscrivent de plein pied dans la situation ou l’époque dans laquelle les concepteurs et les conceptrices les plongent. C’est d’ailleurs sans contredit cette facilité à voler dans l’air du temps, à comprendre en un clin d’œil les multiples changements vécus par la société québécoise qui a sauvé la compagnie de la fossilisation, voire de la disparition pure et simple. Quand tant de théâtres cédaient à la tentation de défendre bec et ongles une cause unique, au risque de sombrer avec elle, Parminou se gardait bien de s’identifier à un parti politique ou à un courant de pensée précis. Cette prudence ou cette prémonition n’a pas empêché ce théâtre très attaché à sa mission sociale de traiter des grandes interrogations de l’heure. À tel point qu’en parcourant la liste de ses créations on a parfois l’impression de voir défiler à grande vitesse le Québec des trois dernières décennies. Crise économique, droit au travail, congés parentaux, effets de la pornographie, mondialisation des marchés : les textes du Parminou devancent parfois même la prise de conscience des phénomènes. « Je me souviens qu’en , lorsque nous avons monté Ben voyons bébé… y’a rien là, le harcèlement sexuel était à peine mentionné dans les conventions collectives », remarque Maureen Campeau, codirectrice artistique.

Agir avec le public

Parminou se définit avant tout comme une troupe d’intervention, aux antipodes d’un certain théâtre esthétique qui relègue les émotions et les problèmes sociaux au troisième sous-sol. Les personnages n’hésitent pas à parler gras quand l’action le commande, à pleurer à chaudes larmes ou à rire à gorge déployée. « Notre école, c’est celle des improvisations, des créations collectives, indique Hélène Desperrier, une des fondatrices du théâtre. Cela produit une écriture sensible, très proche des émotions. » Bien décidée à s’attaquer aux sujets habituellement balayés sous le tapis, la compagnie présente des pièces qui constituent autant de manifestes en faveur de l’équité salariale ou contre la violence conjugale… et dûment documentés, s’il vous plaît. Fréquemment, les créatrices et les créateurs font appel à des organismes ou à des institutions pour mieux saisir la réalité des problèmes qu’ils soulignent. C’est ainsi que des victimes d’agression sexuelle, des personnes-ressources auprès des agresseurs et même ces derniers ont activement collaboré à la plus récente création, Sur le dos de l’amour. Leurs expériences, leurs réflexions, leur douleur ont aidé à tracer le portrait le plus juste possible de cette réalité arrache-cour, en vue de fournir au public de solides pistes de discussion. Car l’essentiel du travail commence surtout lorsque les lumières se rallument et que les animateurs et les animatrices sollicitent les réactions du public quant aux questions soulevées par l’intervention théâtrale.

Le virage vers le particulier

Résolument engagée dans le dossier de la condition féminine dès sa création en , la compagnie a subi de plein fouet l’essoufflement des différents mouvements féministes et la baisse du syndicalisme. Il faut dire qu’une bonne partie de son financement dépendait des réseaux communautaire et syndical. Très rapidement, le Parminou a négocié le virage financier en ciblant des sujets mieux définis, capables d’intéresser un auditoire précis. Une nouvelle clientèle a fait son apparition : des ministères, des banques, des entreprises à la recherche d’un moyen original pour faire passer leur message. Au passage, le Parminou a-t-il vendu son âme au diable pour survivre? « Non, réplique fermement Hélène Desperrier. Nous refusons encore de jouer dans certains festivals, commandités par des fabricants de cigarettes ou de bière. Nous avons annulé également un contrat avec Coca-Cola qui voulait financer une pièce sur l’alimentation à l’école. Nous estimions que ce bailleur de fonds prenait trop de place. » Par contre, la compagnie a assoupli ses règles envers certaines institutions autrefois considérées comme des ennemies irréductibles. Grâce au spectacle Le moral des troupes, les militaires de la base des Forces armées canadiennes de Saint-Jean d’Iberville ont ainsi pu en apprendre un peu plus sur les abus de pouvoir. Après tout, précisent les dirigeantes du Parminou, il s’agit essentiellement de permettre au public de parler de ses problèmes, et non de se lancer dans une opération de propagande pro-armée. Si les sujets abordés témoignent bien de l’évolution d’une troupe ancrée dans la réalité québécoise, les bouleversements de son mode de fonctionnement n’en sont pas moins éloquents. Fondé par de jeunes comédiennes et comédiens fraîchement sortis des conservatoires et de l’École nationale de théâtre, le Parminou choisit délibérément de s’installer en région en , afin de participer au mouvement général de décentralisation de la culture. Pour propager la bonne parole théâtrale par monts et par vaux, la troupe retient Victoriaville, d’abord et avant tout pour sa situation géographique exceptionnelle au cour du Québec et de ses axes routiers. « C’était une période de contestation intense, se souvient Hélène Desperrier. Nous voulions prendre la parole, créer collectivement nos pièces, sans désigner personne à la mise en scène et comme auteur ou auteure. Tout au plus, nous acceptions de temps en temps que quelqu’un joue le rôle de l’œil extérieur, glisse quelques remarques. » Comme dans bon nombre de théâtres, les acteurs et les actrices du Parminou construisaient les décors, confectionnaient les costumes, réparaient les projecteurs en panne… et menaient la vie dure aux stéréotypes. Les filles insistaient pour conduire l’autobus bringuebalant de tournée, quitte à glisser des cales sous les pédales si leur petite taille les handicapait. Pas question non plus d’accepter un coup de main masculin pour transporter les lourds coffres renfermant le matériel de scène. Il fallait gagner son égalité à la sueur de ses muscles.

Commune non, coop oui!

Toutefois, à la différence de bien d’autres, le Parminou n’a jamais cédé à la tentation de la commune. Dès le début, les fondatrices et les fondateurs ont convenu de séparer clairement vie professionnelle et vie personnelle, par crainte d’un enfermement sclérosant. Par contre, ils ont opté pour la formule coopérative et se sont efforcés de respecter une certaine équité des sexes à l’embauche du nouveau personnel. Aujourd’hui, l’entêtement des membres de la première heure à exiger que les comédiens et les comédiennes participent encore au montage des décors ébouriffe les plus jeunes qui jugent cette attitude dépassée. Comme dans le reste de la société, la période garagiste-les-deux-mains-dans-le-cambouis semble bel et bien révolue, pour ne pas dire un peu surannée. « Nous savons que nous sommes à contre-courant et que, bientôt, nous devrons céder, précise Hélène Desperrier. Or, selon nous, cela permet de décloisonner le travail et favorise beaucoup les échanges de groupe. Au Parminou, nous avons toujours cru au mélange du travail émotif, manuel et intellectuel. »

De l’organisation avant tout

Alors même que des théâtres établis depuis belle lurette disparaissent parfois du jour au lendemain, la féroce ténacité du Parminou à maintenir le cap sur les objectifs sociaux d’origine explique en grande partie son exceptionnelle longévité. « Dès le début, la troupe s’est dotée de solides bases de travail, car les gens voulaient vivre de leur métier, remarque la metteure en scène Marie Beaulne, qui a participé à sa fondation. À tel point que le temps consacré au renforcement de l’organisation de la compagnie dépassait parfois celui qui était investi dans la création. » Il est vrai que ce théâtre d’intervention ne « niaise pas avec la puck » lorsqu’il s’agit de monter une production. Pendant que d’autres troupes établies mettent six mois ou même un an à produire une pièce, l’équipe du Parminou trouve l’idée, écrit les textes, fabrique les décors et les costumes, puis répète le spectacle dans un délai qui excède rarement huit semaines. C’est à ce prix que la compagnie parvient à proposer des pièces au message éducatif percutant à un prix raisonnable. Le fait que la conception de tous les accessoires s’effectue sur place, au centre de création du Parminou, réduit également les dépenses. « Nous voulons permettre au plus grand nombre possible de personnes d’avoir accès au théâtre, car cette forme d’art est redevenue élitiste et ne reflète plus la réalité, observe Maureen Campeau. Bien sûr, certains textes ne passeront pas à la postérité, mais la force de multiples interventions est qu’elles collent parfaitement aux questions du moment. » Enfin, c’est peut-être sa capacité à susciter des réactions, à poursuivre les spectateurs et les spectatrices bien au-delà de la simple contemplation de la prestation qui a permis au Parminou de survivre à l’ébullition des années 70. Ce passage délibéré de l’autre côté du miroir, au moment où tant de théâtres se drapent dans leur objectivité artistique, fera probablement en sorte que la compagnie ajoutera 25 nouvelles bougies sur le gâteau d’anniversaire une fois franchi le cap de l’an .