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Perception des pensions alimentaires : automatique, avez-vous dit ?

Les douze travaux d’Astérix, version québécoise, tournerait en dérision la congestion administrative du système de perception des pensions alimentaires plutôt que la bureaucratie égyptienne.

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Les douze travaux d’Astérix, version québécoise, tournerait en dérision la congestion administrative du système de perception des pensions alimentaires plutôt que la bureaucratie égyptienne. Un système dit automatique parce qu’il englobe tous les cas, les bons comme les mauvais payeurs. Voilà d’ailleurs la seule dimension automatique de la perception, car dans les faits, côté versement des pensions, c’est tout juste le contraire qui se produit. Au moment où l’État québécois entreprend de gérer la perception des pensions alimentaires en , une femme sur deux ne touche pas son dû. Une situation inacceptable que le gouvernement cherche à contrer en implantant un système pour forcer la régularité et la fiabilité pour ce qui est du versement des sommes dues. Sauf que la machine s’embourbe rapidement : le personnel affecté à la perception s’avère insuffisant, l’équipement technologique est désuet, le volume des dossiers a été sous-estimé, les délais de traitement s’allongent et les familles attendent que l’argent leur parvienne au terme d’un parcours administratif semé d’embûches. Six mois, une année, parfois davantage. Devant les plaintes qui affluent, les autorités responsables n’ont d’autres choix que de reconnaître les lacunes et de mettre en œuvre de nouveaux moyens, tout en modifiant certains modes de fonctionnement. Aujourd’hui, la perception gouvernementale souffre encore de congestion administrative, de lenteurs, et le sceau du secret complique toute quête de renseignements dès que l’on cherche à savoir où est rendu son propre dossier!

Épreuve de patience

« Les femmes qui font appel à nos services viennent toutes pour le même motif : elles n’arrivent pas à toucher leur pension alimentaire. » Marie-Josée Péloquin en voit de toutes les couleurs. C’est elle qui reçoit les plaintes concernant le système de perception au bureau du Protecteur du citoyen : près de mille par année. Un chiffre modeste si l’on considère le nombre de dossiers traités, mais alarmant si l’on songe que ce bureau demeure méconnu, notamment dans les milieux à faible revenu, et que l’on est donc loin d’y recueillir toutes les insatisfactions dans ce domaine. Invariablement, les périodes d’attente sont mises en cause : les délais moyens vont de trois à six mois… lorsque tout baigne dans l’huile! On parle ici d’un dossier confié à un fonctionnaire selon la procédure normale, c’est-à-dire quand le débiteur salarié s’acquitte de ses obligations et quand le système informatique ne déraille pas. À vrai dire, bien des documents stagnent sous une pile ou circulent sans trajectoire précise entre les services. Sans parler des cas où un des conjoints habite à l’extérieur du Québec, ce qui fait intervenir d’autres instances. Il y a en outre la question des arrérages, soit la dette qui s’accumule tout au long du non-versement de la pension et qui finit par constituer une somme importante que le père refuse de payer. Enfin, une part des dossiers relève aussi du ministère de l’Emploi et de la Solidarité qui remplace la prestataire dans son action en poursuite contre le mauvais payeur. Peu importe le scénario, la patience de la créancière est mise à rude épreuve. De nombreux litiges mettent en cause, bien sûr, des ex-conjoints récalcitrants, difficiles à retracer ou qui dissimulent leurs revenus. Autre facteur d’attentes interminables, la mauvaise foi de monsieur qui devrait, de l’avis du Protecteur du citoyen, être soumis à la vigilance d’une équipe d’enquête mieux instrumentée. Marie-Josée Péloquin voit les choses de l’intérieur car elle entre fréquemment en contact avec les responsables de la perception. Elle associe un contexte précis aux ratés du système. À Montréal notamment, le roulement de personnel est effarant et la formation à dispenser est constamment à recommencer. Pourquoi tout ce mouvement? « Les agents doivent en réalité cumuler les aptitudes du travailleur social, du juriste et du comptable. Ils sont souvent peu appuyés par leurs supérieurs qui ne sont guère plus stables. » Quant au bureau de Québec, il vient « d’hériter » des causes où un des conjoints vit à l’étranger. Il s’agit de milliers de dossiers que l’on ajoute au flot courant et pour lesquels on doit former rapidement du personnel. « Tout cela associé à du matériel informatique inapproprié et à une approche de gestion à court terme. » En , le Vérificateur général du Québec et le Protecteur du citoyen déposaient leurs rapports respectifs portant sur les trop nombreuses failles du système de perception de l’État. Ils ont pointé du doigt les coûts exorbitants, les improvisations, les lourdeurs administratives et l’injustice à l’égard des femmes. Depuis lors, un plan de redressement a été proposé. Prometteur? « Les femmes continuent d’être aux prises avec d’intolérables délais, mais le loyer, la nourriture et tous les autres frais ne tardent pas à les rattraper, ce qui peut les plonger dans la pauvreté et dans le cycle de la dépendance envers l’aide sociale. » Tout de même, la déléguée du Protecteur du citoyen conclut que le cafouillage s’est quelque peu résorbé. De récents ajouts de personnel et l’élaboration d’un plan interne de redressement laissent entrevoir des améliorations.

Vices cachés

Autre vice caché du système : la sacro-sainte confidentialité. Certes, les questions de rupture d’union et de pension alimentaire relèvent de la vie privée et il faut comprendre que le service de la perception se donne des normes strictes en matière de divulgation de renseignements. Mais, là aussi, le Protecteur du citoyen est intervenu, en faisant valoir que le secret était par trop étanche s’il devenait, en pratique, impossible d’être mis au courant de la progression de son dossier. Lise Malouin, avocate à l’Aide juridique, explique également que le bureau de la perception de Québec s’est doté d’équipes de jour et de soir. Or, selon qu’un cas est soumis à l’une ou l’autre partie de l’effectif, on doit s’adresser aux services compétents au bon moment de la journée : aucun décloisonnement possible. De plus, chaque dossier est scindé entre deux fonctionnaires, l’un agissant du côté de la créancière, et l’autre, du débiteur. Et les deux ne connaissent pas l’état de compte de la partie adverse. Bref, un portrait compartimenté et des employés qui ont peine à répondre clairement à la simple interrogation qui vient tout naturellement à l’esprit lorsque l’issue est sans cesse reportée : où donc en est l’affaire? Par ailleurs, il faut savoir qu’à l’origine la perception gouvernementale prend sous son aile tous les versements de pension alimentaire, quelle que soit l’attitude du payeur. L’État voulait ainsi éviter à des femmes qui vivent des situations critiques d’avoir à porter plainte et de subir des représailles de la part de leur ex-conjoint. Or, comme un dossier sur deux ne cause aucun problème et que l’engorgement du service a mené aux délais que l’on connaît, la question de l’universalité du régime a surgi. La structure étant manifestement débordée, l’État avait-il raison de continuer à englober aussi les bons payeurs dans la perception automatique? À ce sujet, les positions demeurent tranchées. Le Protecteur du citoyen et différents groupes de femmes militent pour que la mère soit effectivement protégée par le mécanisme. À l’opposé, le Barreau fait valoir que, pour favoriser un groupe de femmes, on pénalise l’ensemble de la clientèle, faute de ressources suffisantes. Pour ce qui est des personnes à faible revenu, Lise Malouin estime qu’un régime qui se limiterait aux mauvais payeurs pourrait réduire au minimum les démarches à entreprendre auprès du Percepteur. Une formule de ce genre pourrait tenir compte de la vulnérabilité des clientes, tout en reconnaissant les limites du service public. Et que penser de certaines sanctions que d’autres provinces canadiennes et certains états américains ont adoptées pour serrer la vis en matière de pension alimentaire? Au Manitoba, par exemple, ceux qui refusent de payer la pension ordonnée par jugement sont passibles d’une suspension de permis de conduire. Ailleurs, on fait planer la menace d’un retrait du permis d’exercer pour des travailleurs assujettis à un ordre professionnel, ou encore de la perte du passeport tant que l’obligation alimentaire n’est pas respectée. Le gagnant d’un prix de 1000 $ et plus à la loterie nationale peut se voir refuser la cagnotte si son nom figure sur la liste gouvernementale des mauvais payeurs. Des voix se sont élevées, protestant qu’en s’inspirant de ces modèles on risque de donner le coup d’envoi à une justice punitive qui pourrait dangereusement s’étendre au moindre écart de conduite. Et puis peut-on penser apaiser les tensions entre deux ex-conjoints en privant le fautif de sa voiture et peut-être de son outil de travail? Enfin, le lien entre l’automobile et la pension alimentaire paraît difficile à établir. C’est vrai. Mais, en même temps, des chiffres démontrent que l’expérience manitobaine a ramené à l’ordre une majorité de conducteurs soucieux de conserver leur mobilité. C’est donc dire que certaines sanctions se révéleraient plus persuasives que d’autres pour rappeler que la pension alimentaire n’est ni un don généreux, ni l’objet d’un rapport de force, ni un détail que l’on oublie. Pour une femme et ses enfants, c’est le droit de disposer, sans inquiétude et sans retard, de leur juste part.