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Médiation familiale : pour mieux tourner la page

Le divorce à l’amiable, la séparation sans la ruine financière, des arrangements dans l’intérêt des enfants: la médiation familiale remplit-elle ses promesses? Au Québec, depuis près de deux ans, cette façon de régler les conflits s’inscrit dans une loi et fait l’objet de services gratuits.

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Le divorce à l’amiable, la séparation sans la ruine financière, des arrangements dans l’intérêt des enfants : la médiation familiale remplit-elle ses promesses? Au Québec, depuis près de deux ans, cette façon de régler les conflits s’inscrit dans une loi et fait l’objet de services gratuits. Largement dispensés, mais pas assez connus…

À l’aube d’une séparation, si tout contact est rompu, que seuls les avocats se donnent la réplique et que des délais enveniment la situation, les lendemains de la rupture risquent fortement d’être empreints de conflits qui perdurent. De plus, la facture à payer de part et d’autre pour livrer la bataille, honoraires et frais de procédure, représente autant d’argent perdu pour la famille au moment même où, généralement, elle s’appauvrit en raison de la séparation.

À l’opposé, une rupture qui permet d’établir ensemble les règles d’un nouveau scénario familial peut aboutir assez rapidement à des ententes équitables et à une facture allégée. Des ententes auxquelles il sera difficile de déroger à la moindre anicroche pour avoir le dessus sur l’autre.

La collaboration plutôt que le combat. C’est selon cette logique que le gouvernement québécois a voulu inciter les couples en rupture à recourir autant que possible à la médiation. Depuis septembre 1997, la loi impose une séance d’information sur la médiation familiale à tous les couples avec enfants qui veulent mettre fin à leur union et qui ne s’entendent pas sur un ou des éléments de leur réorganisation familiale. Dès l’instant où surgit un désaccord, les couples doivent satisfaire à cette obligation s’ils veulent que le tribunal les entende.

La mesure s’adresse tant aux personnes mariées qu’aux conjoints de fait et elle s’applique également s’il y a révision d’un jugement. Par la suite, les couples intéressés à poursuivre la démarche peuvent participer à des séances de médiation gratuites au cours desquelles un spécialiste du milieu juridique ou psychosocial intervient auprès d’eux d’une manière neutre en vue de définir des besoins, des moyens et des solutions. Le médiateur s’assure prioritairement que chacun des conjoints exprime ses attentes à l’autre en toute liberté. Le service est offert dans toutes les régions du Québec. « De plus en plus de gens peuvent ainsi vivre leur séparation ou leur divorce en misant sur l’organisation de l’avenir plutôt que sur la critique du passé. » Pour Pierrette Brisson, travailleuse sociale et pionnière de la médiation familiale au Québec, l’initiative gouvernementale marque un très net progrès.

Une constante : l’intérêt des enfants

Au début des années 80, Pierrette Brisson a fondé les services de médiation familiale rattachés aux centres de services sociaux de Montréal et de Québec, maintenant dénommés Centres jeunesse. Quinze ans plus tard, elle travaille toujours comme médiatrice et demeure convaincue des bienfaits de ce type d’approche pour régler les conflits. Selon elle, la loi fait le juste équilibre entre, d’une part, la nécessité pour les couples qui se séparent de se familiariser avec les fondements de la médiation et les services offerts et, d’autre part, la liberté des gens de tenter l’expérience ou non. Par la suite, ceux qui ont opté pour la médiation ont habituellement la satisfaisante impression d’avoir pris une part active dans la planification de la nouvelle dynamique familiale. Autre chose que de subir le cours des événements!

Pierrette Brisson estime à environ 80 % la proportion des couples qui parviennent à la signature d’une entente sur tous les points en litige au terme de la médiation. Qui échoue? « Lors d’une séparation, les émotions, la dépression et la colère peuvent brouiller les cartes. Des personnes viennent me consulter bien qu’elles ne soient pas prêtes à entreprendre une véritable médiation. Il y a aussi les situations de violence conjugale. D’une façon plus générale, si l’un des participants a en tête de bloquer le processus et de ne pas assouplir ses positions, il fait obstacle à toute médiation. Or, c’est par définition un acte volontaire. Si les efforts sont vains parce qu’une personne est de mauvaise foi, je mets fin à la médiation. » Par contre, l’intervenante voit aussi des cas où l’on règle une série de problèmes grâce à la médiation tout en prévoyant d’autres points à débattre par l’intermédiaire d’avocats. Cela signifie que, pour des questions précises, madame ou monsieur, ou les deux, préfèrent que quelqu’un parle à leur place avec une habileté particulière et des compétences d’expert. « Ce n’est pas un échec pour autant. Le processus de médiation a eu lieu, les participants en sont venus à certaines ententes et ils ont su se parler. »

De son côté, l’avocate et médiatrice Louise Dassylva-Lafleur estime qu’une des réussites de la médiation est d’amener les clients à comprendre que, même s’ils ne sont plus des conjoints, ils demeureront des parents qui devront partager d’importantes responsabilités. L’évidence? Pas toujours, surtout quand la séparation est toute récente ou que les tensions sont particulièrement vives. Lorsque les discussions, loin d’avoir pour objet de désigner un gagnant et un perdant, mettent résolument l’accent sur les besoins de la famille, la médiation atteint ses fins, et la femme et l’homme ont appris à négocier à l’amiable. Même en période difficile. Une formule qui pourra leur être précieuse au cours des années à venir.

Un point faible : l’information

Deux ans après la mise en place du système gouvernemental de médiation familiale, et de l’avis de nombreuses praticiennes, il semble bien que le bilan soit globalement positif : accessibilité réelle des services, efficacité de la médiation dans la plupart des cas, nul engorgement d’ordre administratif auquel certaines réformes gouvernementales nous ont fait « goûter » au cours des dernières années — pensons, entre autres choses, à la saga de la perception des pensions alimentaires. Et, surtout, la médiation représente un moyen concret de prêter main forte aux familles dans un contexte où il est question plus que jamais de pauvreté des enfants.

Pierrette Brisson considère toutefois que la loi et les services sont méconnus de la population. Bien sûr, la promotion en a été faite en 1997 au moment de la réforme, et les gens qui avaient besoin d’y recourir ont retenu le message. Mais, comme toute autre ressource utile en temps de crise, l’information a moins d’effet quand tout est au beau fixe. Aujourd’hui, lorsque la séparation survient et que bien des ex-partenaires sont démunis, on constate que les renseignements concernant la médiation familiale ne circulent pas suffisamment. Pour Pierrette Brisson, il importe d’atteindre notamment les conjoints non mariés qui se quittent souvent en l’absence de contrat et qui ne bénéficient pas du partage du patrimoine. « À tort, les conjoints de fait croient parfois qu’ils n’ont pas droit aux services de médiation parce que ces derniers sont réservés aux couples mariés. » Par ailleurs, côté modalités, Mme Brisson reproche au système d’avoir prévu un plus grand nombre de séances gratuites de médiation pour les premiers jugements que pour ceux à réviser. « Mais ce sont invariablement les révisions qui donnent le plus de fil à retordre : les problèmes sont plus ancrés, les solutions sont plus lentes à poindre. Il arrive que les trois séances prévues ne suffisent pas pour résoudre des inégalités transformées en vieilles rancunes. »

Pour Louise Dassylva-Lafleur, même si la gratuité place la médiation à la portée de tous, elle a aussi pour conséquence qu’une part de la clientèle ne met pas la même énergie à l’entreprendre que si elle devait en supporter une part des coûts. Ainsi, des gens se présentent, peu convaincus, espérant que quelques rencontres leur permettront au moins de réduire les dépenses. La question se pose donc ici comme ailleurs : pour ou contre le ticket… motivateur? L’avocate soulève elle aussi le manque d’information. « À notre grand étonnement, les statistiques démontrent que plus de la moitié des gens qui complètent une médiation ne « judiciarisent » pas leur entente au terme de la démarche et ne jugent pas important de le faire ». En d’autres mots, ces personnes, confiantes en l’avenir et dans les résultats obtenus, négligent de faire entériner leur accord par le tribunal, ce qui lui enlève toute force exécutoire. Si la mésentente s’installe, aucun jugement ne dicte les règles; c’est dans un climat moins propice que les arrangements doivent alors être revus.

Autre avis : celui de clientes qui, tout en reconnaissant les bénéfices tirés de la médiation, sont loin d’avoir trouvé l’exercice de tout repos. L’une, par exemple, a peu apprécié la sacro-sainte neutralité dont doit faire preuve le médiateur, car elle aurait aimer parfois avoir un avis moins impartial, plus complice. Mais ce serait aller à l’encontre de la règle qui exige que ce dernier demeure au-dessus de toute connivence. Il peut donc être indiqué, en cas de besoin, de consulter un avocat en même temps que se déroule la médiation. Une autre a eu recours à la médiation avec le désir inavoué que la démarche puisse peut-être favoriser la réconciliation du couple. Une erreur assez répandue et tout à fait compréhensible dans le désarroi qu’entraîne une séparation. C’est cependant un rôle que la médiation ne remplit pas. Comment s’y retrouverait-on si, dans un effort pour rendre la rupture la plus vivable possible, le conseiller impartial proposait au couple, entre autres solutions, de rentrer à la maison.

L’abc

Dans son numéro de juillet-août 1996, La Gazette des femmes s’est intéressée à la médiation familiale pour en expliquer les objectifs et le déroulement, séance après séance. Il peut donc être utile de s’y référer pour en savoir davantage à ce sujet (« La médiation familiale : pour décider ensemble de l’avenir de la famille après la rupture »). Les sites Internet du ministère de la Justice du Québec et du barreau du Québec donnent également des réponses aux principales questions d’ordre pratique concernant le système gouvernemental de médiation familiale. En voici quelques éléments.

La séance d’information obligatoire sur la médiation familiale peut donner lieu à une séance privée au cours de laquelle les deux ex-conjoints rencontrent le médiateur de leur choix ou encore à une séance de groupe à laquelle les participants s’inscrivent au Service de médiation familiale du palais de justice de leur district judiciaire.

La loi prévoit qu’une personne ayant une raison majeure peut être dispensée d’assister à la séance d’information.

Si un seul des conjoints s’acquitte de cette obligation tandis que l’autre refuse d’y faire face, celui qui participe à la séance est autorisé à introduire les procédures sans plus attendre pour ne pas avoir à subir les possibles retombées de délais dont il n’est pas responsable.

Au terme de la séance d’information, les couples qui désirent entreprendre une médiation ont droit à cinq séances gratuites pour un premier jugement, et à deux séances s’il s’agit de la révision d’un jugement déjà rendu.

Le médiateur appelé à intervenir en matière familiale — il s’agit ici d’un médiateur agréé — doit nécessairement exercer l’une des professions suivantes et être membre de son ordre professionnel : avocat, notaire, psychologue, travailleur social ou conseiller en orientation. Cette personne doit exercer sa profession depuis au moins deux ans et avoir suivi une formation en médiation familiale (40 heures) doublée d’un volet qui vient compléter sa propre discipline (45 heures de formation sociopsychologique pour les juristes et l’équivalent dans les matières juridiques pour les autres professionnels). À ses débuts, le médiateur est supervisé par un collègue agréé.

Les honoraires du médiateur sont payés par le Service de médiation familiale de la Cour supérieure du palais de justice du district judiciaire pour le nombre de séances prévu par la loi. Ils ne doivent toutefois pas excéder 95 $ par séance, sinon la totalité des frais est à la charge des clients.

Il est possible de recourir à la comédiation, c’est-à-dire à une formule faisant intervenir deux médiateurs, un avocat et un travailleur social par exemple, mais l’État paie les honoraires d’un seul.

Tout au long du processus de médiation, chaque séance a pour objet d’apporter un éclairage sur des points précis : contexte de la rupture, priorités des ex-partenaires, garde des enfants, revenus et besoins de la famille, pension alimentaire, partage des biens.

Lorsque les conjoints parviennent à un accord, le médiateur rédige un projet d’entente officiel. Par la suite, le document est soumis à un juge qui en vérifie la validité et lui confère une valeur légale.