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Complainte de la femme qui voulait être aussi hédoniste que le phoque

Cré-moé, cré-moé pas, me réincarner, ce serait en phoque que je reviendrais. Pourquoi pas rêver ! Tant qu’à revenir sur Terre …

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Cré-moé, cré-moé pas, me réincarner, ce serait en phoque que je reviendrais. Pourquoi pas rêver! Tant qu’à revenir sur Terre autant s’y plaire… Hé! oui, celle qui a ce genre de réflexions ambitieuses et carriéristes est étudiante au doctorat, mère « monoparentale », n’a pas peur des défis, a consacré sa thèse et une partie de sa jeune vie aux luttes pour obtenir l’égalité entre les hommes et les femmes dans différents pays, et en a parfois marre d’être courageuse, intelligente, réaliste et pauvre.

Les phoques, ces beaux animaux hédonistes, se gavent de morues, batifolent dans la mer pour ensuite se prélasser au soleil et se faire griller la bedaine sur le bord de la grève. Comme si ce n’était pas assez, ils ont Brigitte Bardot pour ambassadrice et jouissent d’une chair bonne seulement pour le plaisir, peu ragoûtante pour qui veut se la mettre sous la dent. Mais, un coup mal pris, respirer un bon fumet de ragoût de loup-marin a peut-être des vertus thérapeutiques. Rien toutefois pour assouvir une faim boulimique ou apaiser une concupiscence gustative.

Imaginez-vous, sortir des enclaves du sexage! Les phoques, elles, conservent leur clitoris, ne se font pas battre, ne sont pas pauvres, n’ont pas eu à réclamer le droit de vote. Leurs compagnons, eux, ne sont pas des bourreaux potentiels; ils n’ont pas à se demander s’ils doivent « défroquer » ou devenir des phoques roses. La double tâche chez les phoques n’a pas encore fait l’objet d’une thèse doctorale, que je sache! Jamais je n’ai entendu parler du syndrome prémenstruel ou du besoin de Viagra chez les phoques, moi! Ni de leur excès de poids, de leur culotte de cheval, de leurs bourrelets, de leurs rides et du souper à préparer. Si j’étais un phoque, ça changerait ma vie! Je n’aurais pas besoin de préparer le lunch de ma petite ni son sac pour aller à la piscine, de me préoccuper de son hygiène corporelle, dentaire et vestimentaire, et de la reconduire à l’école. D’abord, elle irait se baigner tant qu’elle voudrait, pas de bobettes pas de lunettes; elle mangerait du poisson (il paraît que ça rend intelligent); elle se laverait dans l’eau, et je m’éviterais la passionnante réunion du conseil d’établissement scolaire le soir venu.

Phoque, je ne chercherais pas ma place en ce bas monde, je ne serais pas endettée jusqu’aux oreilles, je n’enverrais pas des C.V. Je n’aurais surtout pas envie de me proposer comme mascotte de la Marche des femmes pour illustrer mes besoins criants en matière de pain et de roses, ceux de ma fille, de ma mère, de mes sœurs, de mes amies et même des hommes qui nous fréquentent.

Comme nul n’est prophète dans sa famille, mon biologiste de frère me ramène durement à la réalité en m’expliquant que les phoques sont fortement affectés par les B.P.C., qu’il nous faudra bientôt les nourrir aux croquettes de poisson à cause de la baisse des stocks de morues. Des croquettes qui, tout le monde le sait, sont bourrées de cholestérol et donnent presque à coup sûr de la cellulite. Ça parle au diable! Si ça continue, les phoques vont rêver de se réincarner en humains. Seraient-ils, eux aussi, victimes de la mondialisation, des émanations toxiques de nos industries qui misent plus sur le profit que sur la qualité de vie de leurs employées et de l’environnement?

Pitié! Pitié! Fuck! je voulais juste rêver un peu moé!