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Trou de mémoire

On se gardera bien de parler de complot. Mais on se demande pourquoi, lorsqu’il s’agit de faire le point …

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On se gardera bien de parler de complot. Mais on se demande pourquoi, lorsqu’il s’agit de faire le point sur la participation des femmes dans l’histoire, on doit toujours se lancer dans des recherches interminables. Prenez, par exemple, le rôle des femmes dans la naissance de la télévision au Québec. Rien que pour démontrer qu’elles en ont tenu un, Estelle Lebel, professeure de communication à l’Université Laval, a dû effectuer — pardonnez l’expression — un travail de moine. Grâce à sa recherche portant sur les réalisatrices de la télévision francophone québécoise, on dispose aujourd’hui de cet ouvrage très précieux qu’est le Répertoire des émissions réalisées par des femmes de 1952 à 1992, publié en coédition avec l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (1998). Dans la première partie de son étude, « Le Temps des pionnières (1952-1967) », Lebel met au jour le nom des femmes de tête qui ont réussi à s’imposer dans un milieu d’hommes. On y découvre qu’une dame répondant au nom d’Andrée Audet a fait partie de la première équipe de douze réalisateurs à CBFT, réseau de télévision encore tout neuf en 1952. Première femme à travailler à la réalisation, elle a dû toutefois céder sa place à Yvette Pard, en 1953, puisqu’elle allait se marier. Parce qu’évidemment, à l’époque, seules les célibataires avaient le droit de travailler… Mme Pard sera donc la première femme à réellement faire carrière comme réalisatrice télé, une carrière qui se poursuivra jusqu’en 1985, au moment de sa retraite.

Dans la seconde partie de son étude, « Femmes d’aujourd’hui (1968-1979) », Lebel trace le portrait de celles qui auront marqué les années chaudes du féminisme. Elle y fait mention notamment du travail de Michelle Lasnier qui, de 1968 à 1982, réalisa Femmes d’aujourd’hui, à une période où la télévision fait une place aux femmes et au mouvement féministe. Époque fructueuse que les années 70, qui verront Radio-Canada mettre sur pied un Bureau de l’égalité des chances, ancêtre des programmes d’équité en emploi qui ont permis à tant de femmes de prendre leur place. Aujourd’hui, les choses ont changé. Le métier n’est plus le même, puisque la fermeture des stations régionales, les suppressions de postes, bref, les restrictions budgétaires ont passablement modifié la façon d’exercer la profession. Dans une étude effectuée avec Marguerite Lavallée, Lebel souligne que 91 % des femmes réalisatrices travaillent dans le réseau public. Elle soulève des questions fort pertinentes : dans le contexte de rationalisation qui frappe la télévision publique ces temps-ci, qu’adviendra-t-il de ces réalisatrices? Les programmes d’équité en emploi vont-ils disparaître? La production privée sera-t-elle plus réticente à engager des femmes à la réalisation? Contrairement aux hommes qui sont plus souvent réalisateurs (56 %) qu’elles dès le début de leur carrière, les femmes ont commencé à exercer leur métier comme assistantes dans une proportion de 70 %. Côté salaire — qui s’en étonnera? — les jeunes réalisatrices gagnent moins que leurs confrères et, pour espérer gagner au-delà de 80 000 $, il faut porter la barbe ou, du moins, la raser tous les matins. Grâce à des travaux de ce genre, il est désormais impensable que l’on nie l’importance des femmes dans l’avènement de la télévision au Québec. Mais le passé n’est pas garant de l’avenir : l’éclatement de la profession, soit l’arrivée de nouvelles technologies et les changements dans le monde de la production et du financement, risque de mettre en péril les acquis des femmes.

Ça nous rappelle toutes ces tavernes qui, maintenant qu’elles sont frappées de désuétude, affichent fièrement : bienvenue aux dames…