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Le péril jeune

Dans la plus pure tradition hollywoodienne, les couples hommes mûrs-jeunes filles en fleur sont la norme du grand écran.

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Dans la plus pure tradition hollywoodienne, les couples hommes mûrs-jeunes filles en fleur sont la norme du grand écran. À 69 ans bien comptés, Sean Connery donne la réplique à la très jeune Catherine Zeta-Jones. ll a fait sa marque comme un des grands séducteurs de l’histoire du cinéma, lorsqu’il incarnait le célèbre James Bond. C’était il y a 30 ans. Aujourd’hui, Sean Connery a 69 ans bien comptés. Pourtant, ça ne l’a pas empêché de jouer l’an dernier dans un thriller sentimental et acrobatique, The Entrapment, où il forme un duo avec la pulpeuse et très jeune Catherine Zeta-Jones. Et, bien entendu, la candide apprentie tombe dans les bras du héros, paternel mais séducteur, de 40 ans son aîné. Faites un effort de mémoire : quand avez-vous vu la dernière fois une femme séduire un homme plus jeune qu’elle? Il faut remonter aux années 70, quand le féminisme battait son plein. Les amours de femmes mûres étaient au cœur des films The Graduate (1967), In Praise of Older Women (1979) et surtout, Mourir d’aimer (1972) qui faisait payer bien cher à la prof jouée par Annie Girardot son histoire d’amour avec un étudiant.

Autant en emporte la vamp

C’est devenu un cliché de dire que les femmes n’ont pas le droit de vieillir au grand écran. Mais certaines actrices en ont eu assez. Au cours des dernières années, Meryl Streep (Le choix de Sophie) a mené une campagne très médiatisée, relayée par l’association Women in Film, pour que cesse cet ostracisme misogyne; la grande comédienne, suivie par de nombreuses consœurs, en avait assez de servir de faire-valoir à de vieux messieurs ou à leurs jeunes conquêtes. En se faisant ainsi entendre, les actrices ont acquis une grande crédibilité auprès du public. À tel point que Susan Sarandon (Thelma et Louise), qui a passé le cap de la cinquantaine, faisait récemment la une du magazine Vogue. Au Québec, nous avons aussi nos battantes : parmi elles, Louise Portal mène sa carrière de femme « mûre ». « Il m’est arrivé récemment de confronter un réalisateur dans la cinquantaine dont j’aime beaucoup les films. Il m’a avoué qu’il écrivait effectivement peu de rôles pour les femmes de sa génération et que c’était une lacune dans son travail. Il va falloir que les cinéastes pensent à ça : s’ils n’écrivent pas de films pour nous, et pour une plus grande diversité de femmes, qui le fera? » Pourtant, Louise Portal est connue, et son nom figurera encore en l’an 2000 à plusieurs génériques. « Bien sûr, je joue dans trois films cette année, mais j’ai trois jours de tournage par film! On se sert beaucoup de ma notoriété parce que ça fait bien sur une affiche mais, on ne m’utilise pas assez comme actrice. Je fais partie d’une génération de femmes nées dans les années 50, et on est une majorité au Québec : où sommes-nous à la télé, et surtout, au cinéma? Est-ce qu’on parle de nos préoccupations, de nos questionnements, de nos rêves, de nos réflexions sur la cinquantaine? Je ne fais pas de statistiques, mais je vois que ces questions sont absentes des écrans de cinéma. »

Les hommes préfèrent les blondes

Aux États-Unis, Kathy Bates, la fameuse infirmière sadique du film Misery, est une vedette du théâtre. Les dramaturges lui écrivent même des pièces, dans lesquelles elle triomphe. Quand Frankie and Johnny in the Clair de Lune de Terence McNally a été reprise par Hollywood en 1991 pour l’adaptation cinématographique, devinez qui a joué le rôle de Bates aux côtés d’Al Pacino? Michelle Pfeiffer, qui a quelques kilos et une dizaine d’années en moins, mais le sex-appeal en plus. N’allez pas croire que le Québec échappe à cette pratique douteuse. Tyrannie de l’image ou androcentrisme des institutions? « J’ai parlé de ce phénomène à des productrices, confie Louise Portal. Elles me répondent souvent qu’il faut viser les 25-30 ans, car ce sont eux qui vont au cinéma. Mais c’est une fausse piste, à mon avis. » Manon Briand, une cinéaste de la relève, déplore également cette situation. Après avoir remporté, en 1998, le Grand prix des Amériques pour 2 secondes, long métrage mettant en vedette Charlotte Laurier dans le rôle d’une cycliste au fort caractère, la créatrice réalise un film sur Marylin Bell, la première femme à avoir traversé le lac Ontario à la nage, en 1954. Une héroïne forte, un modèle positif. « J’avoue que, lorsque je dois choisir mes projets, je tiens compte de la manière dont les personnages de femmes sont traités. Mais attention : ça ne prend pas non plus toute mon attention. Comme cinéaste, je me soucie aussi de la forme du film et de tous les aspects de la réalisation. » Reste que Briand aimerait bien qu’on voit les femmes « autrement » sur le grand écran. « On n’a pas tout montré sur les femmes, avance la jeune cinéaste. Je vous donne un exemple banal et un peu trivial : on ne voit jamais une femme se raser les jambes, mais des hommes devant leur miroir avec un rasoir, ça oui! En fait, on est toujours dans le mythe : la femme demeure un objet, un mystère. Et le cinéma, en général, perpétue ce mythe. »

Madame au foyer

La présence des femmes derrière la caméra a longtemps été marginale. Mais, depuis que les Micheline Lanctôt, Léa Pool et, aujourd’hui, des filles comme Manon Briand ont pris les rênes de la réalisation, les choses vont-elles changer? La féminité demeurera-t-elle un mythe indestructible? « Le fait que nous soyons derrière la caméra contribue sans doute à diversifier les points de vue sur les femmes, suggère Manon Briand. Mais il y a aussi de bons cinéastes, comme Bergman ou Woody Allen, qui écrivent de très beaux personnages de femmes. » Peut-être, mais avouons qu’au Québec ils sont assez rares. « Le cinéma québécois est un cinéma d’auteur, explique Manon Briand. Et je pense qu’il reflète les préoccupations des “auteurs”, de leur univers. Un film ressemble souvent à son réalisateur ou à sa réalisatrice. Si l’on avait plus de scénaristes, on ajouterait automatiquement un autre point de vue — non seulement celui des femmes, mais aussi des Néo-Québécois, etc. » Malheureusement, comme le constate Manon Briand, on ne fabrique qu’une poignée de films par année au Québec. Forcément, on ne voit que les films d’une poignée de réalisateurs. C’est plutôt cette situation de désert culturel qui serait à blâmer. « Je ne crois pas que le cinéma québécois fasse nécessairement une “mauvaise” place aux femmes. Au contraire, il y a eu de très beaux personnages féminins dans notre cinématographie, mais trop peu. » Tellement peu, d’ailleurs, qu’un grand nombre de nos meilleures comédiennes n’ont tout simplement pas de rôle à se mettre sous la dent. Et malheur à celles qui ont la mauvaise idée de vieillir. « Alors qu’un homme va faire une longue carrière d’amant romantique, observe Manon Briand, une femme verra la sienne finir assez rapidement. » Louise Portal garde précieusement en mémoire une conversation qu’elle avait eue avec Luce Guilbeault : « Elle m’avait dit, en parlant des grands réalisateurs d’aujourd’hui (Arcand, etc.) : “C’est ça! J’ai fait tous leurs premiers films. Et maintenant qu’ils sont connus, qu’ils ont de l’argent, ils ne m’engagent plus parce que je suis rendue trop vieille…” » Quand ça vient de la bouche d’une de nos plus grandes comédiennes, il y a de quoi se poser des questions, non?