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Dopage et féminité Un cocktail explosif

Heidi Krieger n’existe plus. Aujourd’hui, la championne d’Europe au lancer du poids en 1986 s’appelle Andreas …

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Heidi Krieger n’existe plus. Aujourd’hui, la championne d’Europe au lancer du poids en 1986 s’appelle Andreas, et les compétitions féminines ne sont plus pour lui. Heidi-Andreas a subi deux opérations pour devenir transexuel, la seule façon, à ses yeux, de faire face aux traces que le dopage a laissées dans son corps. L’année dernière, cette athlète de l’ex-Allemagne de l’Est a avoué avoir consommé pendant longtemps des doses massives de testostérone pour améliorer ses performances. Cette hormone, produite normalement par les testicules, agit sur le développement des organes génitaux et des caractères sexuels secondaires. Les pilules de testostérone font augmenter le volume des muscles. Mais elles induisent aussi chez les femmes un processus de masculinisation qui n’est que partiellement réversible et plutôt traumatisant : avec les muscles d’Heidi sont apparus une pomme d’Adam, une barbe et une multitude de troubles psychologiques…

« Encore aujourd’hui, la plupart des athlètes qui se dopent consomment des hormones masculines connues sous le nom de stéroïdes anabolisants », explique Christiane Ayotte, professeure à l’INRS-Santé à Montréal et directrice d’un des 27 laboratoires de contrôle anti-dopage agréés par le Comité international olympique. Évidemment, le corps féminin est bien plus sensible à ces produits que celui des hommes. La pilosité augmente, la voix mue, même le faciès se déforme… souvent pour la vie. Une stérilité temporaire s’installe, jusqu’à ce que l’athlète cesse de se doper.

En dépit de ses effets dramatiques sur la santé des femmes, le dopage semble répandu chez les deux sexes. « Il s’avère toujours très difficile d’obtenir des chiffres, mais, toutes proportions gardées, je crois que le dopage est aussi courant chez les femmes que chez les hommes », précise Christiane Ayotte. Le sport féminin, moins populaire, génère moins d’argent que le sport masculin et, souvent, on y effectue moins de tests anti-dopage. Les athlètes peuvent donc passer à travers les mailles du filet avec facilité. L’année dernière, au cours d’un retentissant procès dans l’ex-RDA, des entraîneurs ont avoué avoir dopé dix-neuf nageuses mineures entre 1974 et 1989, dans le contexte d’un vaste programme de dopage étatisé qui a amené cette petite nation à remporter un nombre ahurissant de médailles durant cette période. Plus récemment, une étude menée aux États-Unis en 1998 a montré que le taux de jeunes sportives de haut niveau des écoles secondaires qui consomment des stéroïdes anabolisants est passé de 1,5 à 5 % en dix ans, et qu’il a maintenant rattrapé celui des garçons!

« Hommes et femmes tendent de plus en plus vers l’égalité dans le sport et donc… dans le dopage », résume Christiane Ayotte. La chercheuse dénonce toutefois des relents de paternalisme qui font en sorte que les autorités sont plutôt indulgentes quant au dopage au féminin. À la suite des procès, les athlètes féminines s’en sortent la plupart du temps avec une sanction moins sévère que les hommes. « On les croit assez facilement lorsqu’elles jouent aux imbéciles et disent avoir été dopées à leur insu! » Les préjugés ont la vie dure : pour ne pas se faire prendre, mieux vaut être une jolie petite gymnaste blonde qu’un gros noir haltérophile…