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Les filles ont-elles peur du sport ?

C’est pourtant elle qui nous a fait la surprise de cette photographie sur laquelle elle court devant un train. Adepte des sports extrêmes, notre modèle de 39 ans ?

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Réponse : oui Facteur biologique? Non

La rage au corps

Notre page de couverture a poursuivi Danielle Hubbard jusque dans ses rêves. C’est pourtant elle qui nous a fait la surprise de cette photographie sur laquelle elle court devant un train. Adepte des sports extrêmes, notre modèle de 39 ans? Pas tout à fait. Mais elle aime innover, c’est le moins que l’on puisse dire. À preuve, les séances de « ragerobie » qu’elle anime au studio Tanisik sur le plateau Mont-Royal et à l’Université Concordia à Montréal. Un dérivé assez flyé de la danse aérobique qui se déroule sur fond de musique techno-industriel, gothique et rock heavy. « Je trouve que nous avons tous une certaine rage en dedans de nous, sans que cela soit négatif. C’est une sorte de pulsion. » Une énergie que Danielle explore avec des adeptes de tous les milieux : théâtre, danse, université, punk, cols blancs. Une dame de 76 ans suit même ses cours. « J’explore une forme d’entraînement plus théâtral. J’aime surprendre les gens. Ainsi, au lieu de compter les pas comme cela se fait en danse aérobique, je lance plutôt des cris. Les gens reconnaissent alors qu’il va y avoir un changement de mouvement. Mes séances ont un côté rituel, presque tribal. » Formée à la danse classique dès l’âge de 4 ans, la « ragerobienne » a aussi exploré les danses africaine et moderne, ainsi que le capœra, une forme de danse brésilienne basée sur les arts martiaux. Elle a fait partie de la compagnie Eddy Toussaint, de Twist’art et de Pointes et pieds nus. Véritable touche-à-tout, l’artiste peint et écrit à ses heures. La danseuse continue de se produire sur scène mais, avec la ragerobie, elle a découvert le plaisir d’enseigner, de faire bouger les gens et de les amener à se dépasser. Quitte à les provoquer un peu. « Il y a des jours où je vois chez certaines personnes le reflet de leur âme. » A.S.

Filles et garçons : match inégal

Les jeunes d’aujourd’hui sont 40 % moins actifs que ceux d’il y a 30 ans! En fait, les Québécois et les Québécoises sont les moins en forme de tous les pays du G7. Le bilan se révèle encore pire pour les filles que pour les garçons. Et le facteur biologique ne serait pas du tout en cause. Plutôt, le sport et l’exercice physique se pratiqueraient sous le sceau de l’inégalité. Les observateurs et les études sont unanimes. Les filles obtiennent de meilleurs scores à l’école, mais, côté sport, elles restent loin derrière les garçons. Seulement 27 % des Québécoises de 14 à 16 ans sont physiquement actives contre 46 % des gars du même âge. Lyse Ferland, coordonnatrice nationale de Kino-Québec, un organisme gouvernemental de promotion des sports, sonne l’alarme. « Dès le début de l’adolescence, les jeunes diminuent leurs activités physiques ou les abandonnent carrément. Et le phénomène demeure nettement plus important chez les filles. » Comment expliquer cette régression constante, alors que, plus jeunes, les filles bougent tout autant que les garçons? Au banc des accusés : un double langage social. D’une part, elles ont peu d’occasions de développer les habiletés physiques qui les rendraient performantes dans les sports d’équipe, typiquement masculins. D’autre part, il existe peu d’activités à caractère féminin, comme la danse aérobique ou la nage synchronisée. Les adolescentes placent l’activité physique au sixième rang des éléments essentiels à la bonne santé, loin derrière un sommeil suffisant, un poids idéal et l’absence de fumée de cigarette dans leur environnement. « C’est certain qu’à 15 ans une fille inactive se sent tout de même fonctionnelle : elle ne subit pas de lourdes conséquences à court terme. À peine sera-t-elle essoufflée en montant un escalier », explique Suzanne Laberge, sociologue des sports à l’Université de Montréal. Au contraire, à l’âge où elles construisent leur identité, les adolescentes sont promptes à abandonner toute occupation dans laquelle elles n’excellent pas. Ce qui s’avère trop souvent le cas des sports. C’est que la plupart des activités physiques que l’école et les municipalités offrent aux filles ne permettent qu’à un petit nombre d’entre elles de se démarquer des autres : celles qui ont acquis des habiletés… traditionnellement transmises aux garçons! Les éducateurs observent une conduite discriminatoire à l’endroit des fillettes dès l’école primaire. « Les enfants des deux sexes ont la même masse musculaire et le même potentiel physique, dit Lyse Ferland. Mais, on n’incite pas les petites filles à développer les habiletés de base comme la coordination bras-œil, l’équilibre ou une certaine agressivité. » Aujourd’hui comme hier, lancer, frapper et attraper la balle, compter un but ou plonger pour attraper le ballon ne font pas partie de ce que l’on exige des filles. « Et les recherches l’indiquent clairement, nuance Mme Ferland. Il s’agit d’une question d’apprentissage social et non de facteurs biologiques. » L’abandon des sports par les filles s’explique non seulement par le sous-développement de leurs habiletés de base, mais aussi par une sous-évaluation de leur potentiel. Au sortir de l’école primaire, conclut un groupe de travail canadien, elles « sous-estiment leur capacité et leur potentiel de compétence dans l’activité physique. Ce point de vue est partagé par les autres membres de la société. Dès lors, la fille choisit souvent des sports traditionnellement réservés aux femmes ou, pis encore, elle délaisse toute activité physique. » À partir de ce moment, la plupart d’entre elles ne souffrent plus la compétition et ne maintiendront leur activité physique que pour avoir du plaisir et l’occasion de faire des rencontres sociales. Un autre motif en fera décrocher plus d’une : la peur d’avoir de gros mollets ou des épaules trop musclées! Cette raison revenait sans cesse lors de l’étude exploratoire menée l’an dernier par Suzanne Laberge auprès de filles sportives et non sportives de 3e secondaire. « Ce qui m’a le plus surprise et déçue, c’est de voir la persistance du mythe des gros muscles. Pourtant, il faut pas mal plus que deux parties de volley-ball par semaine pour avoir la carrure d’une nageuse olympique… » Cette hantise des muscles repose sur l’importance maladive que les adolescentes accordent à l’image. À 13 ans, les deux tiers d’entre elles ont déjà suivi un régime amaigrissant! L’obsession de la minceur pourra en conduire quelques- unes à des excès de conditionnement physique, ce qui est toutefois rare parce que l’effort à fournir pour perdre du poids devient trop grand. Mais cette idée fixe de la minceur aura aussi l’effet inverse : les adolescentes pensent que, pour être actives, elles doivent d’abord être minces (ce qu’elles ne croient jamais être). « Mais plus que tout, c’est le jugement du cercle d’amies qui influe sur le décrochage ou non d’une adolescente », affime Suzanne Laberge. L’identification au style d’un sous-groupe, dûment baptisé par les adolescentes, joue un rôle fondamental. Les « sportives » se motiveront les unes les autres, mais pas question que les « mannequins » reconnaissent comme une des leurs une championne de hockey. Quant aux « granos », le plein air les sauvera peut-être de la sédentarité, mais les « preppies » refuseront toujours de se joindre à elles pour une excursion en nature! « Notre échantillon d’écoles était urbain, et une situation aussi tranchée s’avère probablement typique des grosses polyvalentes, souligne Mme Laberge. Mais cela indique que, dans les stratégies de promotion de l’activité physique, il ne faut pas confondre l’influence des filles et des garçons du même âge avec celle du groupe restreint des amies, la gang. » Quant aux parents, leur influence auprès des adolescents prend surtout une tournure pratique comme les permissions spéciales pour les rencontres sportives et pour les fêtes qui suivent parfois une joute. Or, ces permissions sont plus difficilement accordées aux filles… Les municipalités portent aussi une responsabilité à l’endroit du désengagement des adolescentes. « C’est un cercle vicieux, estime Lyse Ferland. La programmation sportive s’adresse surtout aux garçons, parce que ce sont eux qui répondent le mieux. » Entre 12 et 18 ans, les filles composent seulement le tiers des personnes inscrites à des programmes sportifs municipaux. Tout de même, certaines, comme celle d’Ottawa, dispense un enseignement complémentaire pour développer leurs habiletés de base, tandis que d’autres proposent des activités non compétitives de gymnastique ou de nage synchronisée. La désaffection des filles pour le sport inquiète parce qu’elle marque le début d’un déclin inexorable : les adolescentes qui perdent le goût de bouger ne le retrouveront sans doute jamais. Au détriment de leur santé. Parmi les avantages observés chez les plus sportives : une faible propension au stress, à l’insomnie et à la dépression, une bonne confiance en soi et une grande capacité à faire face aux situations difficiles. De quoi les encourager à chausser leurs espadrilles! Une mission qui n’est pas impossible (voir l’encadré « Les profs sur le front »). En 1971, les États-Unis ont promulgué une loi pour faire une place aux filles dans les sports à l’école, ce qui a multiplié par six leur participation en quinze ans!

Les profs sur le front

Comment convaincre les filles de rester actives? D’abord, viser le milieu scolaire. Kino-Québec a conçu le document Les jeunes et l’activité physique : situation préoccupante ou alarmante? et une série d’ateliers destinés aux 5 000 professeurs d’éducation physique du primaire, du secondaire et du collégial. L’organisme attire particulièrement l’attention sur la situation des filles. « Il fallait sonner l’alarme, car, souvent, les enseignants sous-estiment le problème », dit Lyse Ferland. Au menu des solutions, des programmes qui tendent vers l’amélioration des habiletés physiques de base et une meilleure confiance en soi. Aussi, la diversification des activités pour intéresser celles que la compétition décourage. À l’école secondaire Saint-François-Xavier, à La Prairie, la professeure Marie-Josée Charron emprunte déjà la seconde voie avec ses groupes de 4e secondaire. Son cours comporte du badminton et du basket-ball, mais aussi de l’autodéfense et de la danse aérobique. Ce dernier cours débouche sur l’organisation annuelle du Méga-Aérobie 100T + (santé plus). Tous les jeunes de la polyvalente sont alors invités à bouger au rythme d’exercices créés par les élèves. « Je vous jure qu’elles n’en font jamais un aussi intense que lorsqu’elles sont en avant! », remarque l’enseignante. Cette activité a été reprise dans le répertoire des 250 bonnes idées pour mieux impliquer les jeunes, particulièrement les filles, que Kino-Québec publiera cet automne. Des idées recueillies auprès d’enseignants imaginatifs comme Gérald Leblanc, de l’école Antoine-Bernard, à Carleton, qui a modifié les règlements du flag football pour attirer plus de joueuses. De telles stratégies offensives se révèlent d’autant plus pertinentes que… 80 % des professeurs d’éducation physique sont des hommes. Voilà qui explique qu’il semble parfois difficile d’intercaler aux sessions de sports traditionnels des activités expressives pour les élèves, telle la danse aérobique. Une réforme du programme d’éducation physique au secondaire, prévue pour 2003, pourrait être l’occasion de changer les façons de faire!