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Magistrature : cherchez la femme

Dans moins d’une décennie, les femmes seront majoritaires au barreau. Mais les hommes feront encore et toujours la loi.

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Dans moins d’une décennie, les femmes seront majoritaires au barreau. Mais les hommes feront encore et toujours la loi. Enquête dans les coulisses de la magistrature. Au Québec, les femmes ne représentent guère plus de 15 % des juges. Pourtant, elles frôlent les 40 % des membres du barreau et elles comptent pour plus de 65 % des personnes inscrites dans les facultés de droit. Selon toute apparence, elles seront en majorité au tribunal. Mais pas avec un maillet à la main. La magistrature a du mal à refléter l’avancée en accéléré des femmes au sein des professions juridiques. « Les nominations féminines vont bon train. Mais je sais aussi qu’il faudrait accélérer le processus pour s’approcher au plus vite d’une représentativité un tant soit peu équitable. » Selon Claire L’Heureux-Dubé, juge à la Cour suprême du Canada, on a d’autant plus de raisons de le faire que les femmes magistrats ont, au Québec, une excellente réputation. Qualité des décisions, tenue des dossiers, souci du décorum : elles affichent les meilleurs états de service de la profession. « Normal, au fond; elles ont dû tellement ramer pour arriver où elles sont, être toujours plus parfaites que leurs collègues masculins. » Claire L’Heureux-Dubé parle d’expérience. Au moment de l’entrevue, elle fêtait ses 25 ans de magistrature. Un quart de siècle à enfoncer des portes pour celles qui la suivraient. Car, en pionnière qu’elle était, cette dame à la personnalité d’acier trempé — seconde femme à avoir jamais siégé à la plus haute instance du pays — a dû travailler d’arrache-pied pour faire sa place. Lorsqu’elle a commencé ses études supérieures, en 1948, il n’y avait que deux étudiantes pour 40 étudiants à la Faculté de droit de l’Université Laval. La présence de filles dans ce cénacle universitaire mâle n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde. Monseigneur Parent, le secrétaire aux admissions de l’époque, a tout fait pour orienter la jeune femme vers un autre choix. « Il me prévenait qu’occuper un emploi d’avocate tenait de l’utopie et que les études seraient ardues. Et il n’avait pas complè tement tort. Je savais que le chemin ne serait pas pavé de roses, mais plus il s’acharnait à me convaincre, plus ma décision de rester se raffermissait. » Ce n’était pas tant la matière qui rendait difficile le parcours scolaire d’une étudiante en droit du temps que l’attitude de certains condisciples. « On nous traitait un peu comme des idiotes. Des opi nions ridicules couraient encore sur les femmes, comme quoi, par exemple, nous avions beaucoup de mémoire et peu d’intelligence. On leur a montré, ma consœur Judith Gamache-Côté et moi, qu’on pouvait faire autre chose qu’ânonner du par cœur. Entre autres aptitudes, j’ai dû apprendre l’art de rembarrer les garçons avec vigueur pour faire ma place. » C’est grâce à sa personnalité combative que Claire L’Heureux-Dubé a pu survivre dans un milieu fort intimidant pour une jeune femme des années 50. « Je me disais : “Y’a pas un juge, pas un procureur qui va me faire pleurer.” » Le monde juridique n’était pourtant pas plus féroce qu’un autre. Mais, dans un Québec qui ne laissait les femmes entrer en droit que depuis 7 ans (la loi fut amendée en 1941, soit 40 ans après l’Ontario et 10 ans après Terre-Neuve), Claire L’Heureux-Dubé était considérée par nombre de bien-pensants comme une trouble-fête qui menaçait l’ordre établi. « On nous faisait constamment sentir que notre place était à la maison en train d’élever des enfants, dit la colorée juge. Personne ne m’a encouragée, sauf mes parents — surtout ma mère qui trouvait absurdes les conceptions sexistes de l’époque. »

Mères et boys

Derrière les femmes ayant défié les diktats sociaux de l’époque, il y a bien souvent une mère qui s’est battue pour ses filles. « Mon père participait de la mentalité de cette époque, dit Jeanne Warren, juge retraitée de la Cour supérieure. Il aurait plutôt aimé que je sois secrétaire. Mais ma mère approuvait mes démarches. Féministe avant la lettre, elle avait résolu que ses filles auraient autant d’horizon professionnel que ses garçons. Sans cette femme de tête qui nous a inculqué, à mes sœurs et à moi, discipline et sérieux dans les études, nous aurions sans doute cédé au découragement. » Ses débuts professionnels ont été d’autant plus ardus que Jeanne Warren a précédé de quelques années Claire L’Heureux-Dubé. « Dans les bureaux d’avocats où je me présentais, personne ne me prenait au sérieux. Au lieu de me demander quel droit j’aimerais pratiquer, on s’enquérait de la date de mon mariage et du nombre d’enfants que j’aurais. » Tout cela en la conduisant doucement vers la porte. « C’est comme ça qu’on faisait. On évacuait les femmes, mais avec classe et courtoisie. » Une classe et une courtoisie parfois impitoyables. « L’un des souvenirs les plus amers de ma carrière, dit Jeanne Warren avec un relent d’indignation dans la voix, fut quand on m’a “démissionnée” de la fonction publique parce que je venais de me marier. » C’est dans cet univers courtois où on pousse gentiment les femmes de côté que la juge Claire L’Heureux-Dubé a dû, envers et contre bien des collègues, faire avancer sa carrière d’avocate, puis de juge. « Chaque fois que j’accédais à un nouveau poste de juge, il se trouvait des magistrats qui n’étaient pas du tout enchantés de voir une femme débarquer dans “leur” cour. » Quand elle a été nommée à la Cour suprême, la juge Bertha Wilson l’a accueillie en disant : « Tu sais, ici aussi il nous faut prouver que nous valons bien un homme. » Même si, à son avis, les préjugés sexistes battent en retraite d’année en année, il subsiste dans le monde juridique de vieux relents de domination masculine. « Le phénomène du Old boy’s club, du réseautage officieux entre hommes dans la profession existe bel et bien. Et, que voulez-vous, on ne peut pas en faire partie! Les sorties entre vieux chums et les matches de boxe avec les copains du bureau, ça nous intéresse pas mal moins. » Si la « filière des vieux copains » n’équivalait qu’à une innocente collégialité masculine, il n’y aurait pas là de quoi fouetter un chat. Louise Langevin, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et membre du Groupe de recherche multidiciplinaire féministe, a suivi de près l’évolution des professions juridiques. Et son analyse prend la magistrature en flagrant délit de microségrégation. « D’accord, le processus de nomination des juges tend vers l’objectivité. Sauf qu’il n’y arrive pas nécessairement si on prend en considération les préalables qui, pour être non écrits, n’en sont pas moins quasi systématiques. » Certains critères non avoués posent en effet problème. « Une carrière bien remplie est généralement une fort bonne carte de visite pour qui soumet sa candidature, explique Louise Langevin. Rien là que de très normal, si certaines pratiques n’étaient à peine considérées comme du “vrai” droit. » Ainsi, avoir fait du droit corporatif dans un grand bureau, c’est du noble, du solide. Beaucoup moins prestigieux s’avèrent le droit de la famille et celui des enfants qui, comme par hasard, sont à forte concentration féminine. « Ils sont moins bien vus tout simplement parce que l’argent et le pouvoir s’y révèlent moins présents. » Et là où l’argent et le pouvoir se font rares, les nominations faite par le politique — comme celles des magistrats — le sont également. « Ajoutez à cela le fait qu’avoir fait de la politique active constitue généralement un bon coup de pouce et vous obtenez une description de membership à un réseau influent, officieux, tissé serré… et excluant les femmes. » Ces observations ont d’ailleurs été confirmées à la suite d’une étude menée par le Comité du barreau sur les femmes. Interrogées sur la nature des problèmes dans la profession, les avocates ont pointé du doigt la difficulté de percer les cercles sociaux masculins. Soit qu’elles ne s’y sentent pas les bienvenues, soit qu’elles manquent tout simplement de temps et d’intérêt pour le « paraprofessionnel ».

Comme un homme

Louise Otis, qui a accédé aux postes de juge à la Cour supérieure, puis à la Cour d’appel, est-elle une exception à la règle ou illustre-t-elle les profonds changements tant souhaités par les avocates dans la magistrature? Cette fougueuse jeune juge dans la quarantaine, issue d’une famille de travailleurs forestiers, a fait sa marque dans le droit du travail, s’opposant précisément aux forces de l’argent et du pouvoir. « Fronts communs syndicaux (des travailleurs de la construction et des communications à l’époque de la Commission Cliche), négociations pour les travailleurs de la presse écrite, plaintes de discrimination salariale envers les femmes, tels étaient mes dossiers. À vrai dire, j’ai souvent côtoyé le pouvoir, ironise-t-elle, mais jamais du bon côté de la clôture. J’avais pour ainsi dire le profil d’une avocate de gauche. » À l’instar de Claire L’Heureux-Dubé, Louise Otis ne craint pas de s’afficher féministe, « parce qu’étant femme on ne peut pas faire autrement… même s’il s’agit d’une étiquette plutôt mal vue dans les professions juridiques. Dans ce milieu encore conservateur à bien des égards, on considère cela comme une espèce de radicalisme politique. » Elle est convaincue que l’évolution parfois lente des mentalités tient au fait que, en raison de l’éducation reçue des parents et grands-parents, nous portons tous en nous 100 ans d’histoire. « Et il y a 100 ans, les femmes n’étaient pas des personnes selon notre loi constituante. » Louise Otis se souvient elle-même très bien qu’en 1975 un avocat respecté lui avait dit : « Tu plaides comme un homme. » « Et, loin de trouver la remarque sexiste, je l’ai prise pour un ultime hommage, sans voir à quel point y figuraient, bien inconsciemment, des siècles de déconsidération… » Louise Otis a gardé de sa carrière d’avocate un goût de faire bouger les choses en faveur des justiciables. Elle a fait de la médiation sa marotte — « une idée de femme », dira Claire L’Heureux-Dubé. Au moment de l’entrevue, elle sortait justement d’une conciliation réussie, fatiguée mais enchantée. « Quelle énergie ça vous pompe, disait-elle dans un souffle. Le plus dur, c’est quand il n’y a que moi qui croit à un arrangement. Mais quelle victoire quand on y arrive! » En 1991, du temps où elle siégeait à la Cour supérieure, Louise Otis a prononcé une allocution très remarquée dans laquelle elle faisait le point sur les préjugés sexistes dans le monde juridique. Son laïus posait une question cruciale : « Est-ce que les hommes ont eu le temps de changer pour accueillir les femmes au sein de l’appareil judiciaire? » Poser la question, c’était y répondre. « Les préjugés envers les femmes, lançait-elle, apparaissent encore dans toutes les activités humaines fondées sur un rapport de pouvoir. Or, voilà que des femmes envahissent une sphère qui était jusqu’à récemment l’apanage des hommes. » D’après la juge, le temps n’est pas très loin où l’on voyait des clients perdre confiance en l’avocate lorsqu’ils constataient qu’elle ne jouissait pas, auprès de la Cour, de la même considération que son collègue. La juge Otis estime toutefois que la situation évolue à une rapidité qui n’est pas sans lien avec l’arrivée graduelle des femmes « sur le banc ». « Elles sont en train de faire évoluer le droit, de l’intérieur, par leur seule présence. J’ai constaté, par exemple, qu’elles sont moins enclines à accepter sans discuter l’autorité hiérarchique. À cause de ça, certaines passent pour dérangeantes. Pourtant, elles ont le mérite d’apporter une vision différente. »

L’hypothèse historique

Représentant 25 % des postulants, on ne peut pas dire que les femmes se bousculent au portillon pour les emplois de magistrats, pourtant convoités. Une hypothèse fréquemment évoquée suppose qu’elles estiment leurs chances trop minces pour oser ajouter leur nom sur les listes de candidats. Faudrait-il alors avoir recours à des mesures de discrimination positive? « C’est un principe qui a fait ses preuves, dit Louise Otis, mais qui a aussi son lot de convaincants détracteurs. » Pour Serge Ménard, recourir à des mesures qui établissent le sexe comme préalable est impraticable dans l’administration de la justice — la rencontre avec le ministre de la Justice du Québec a eu lieu peu avant les élections. « La profession juridique, explique-t-il, est un milieu qui fait grand cas de la compétence. Je vous assure que de nombreuses avocates répugneraient à occuper un poste qui leur serait adjugé expressément parce qu’elles sont des femmes. » Il reste que, à compétence égale, le ministre est tout à fait favorable à l’idée de préférer les candidatures féminines. « Nous avons, de toute évidence, un retard à rattraper chez les femmes juges », admet-il. C’est le moins que l’on puisse dire : à la Cour du Québec, la chambre criminelle et pénale de la Division de Québec ne compte pas une seule femme! « Mais il nous faudra tenter de corriger cela en privilégiant l’équilibre des sexes plutôt que la prédominance du sexe féminin. » Les mesures correctives ne représentent cependant pas une panacée, met en garde Serge Ménard qui insiste sur ce qu’il appelle « l’explication historique. » « Ne vous laissez pas abuser par le pourcentage d’étudiantes en faculté, prévient-il, car les avocates détenant le minimum d’années de pratique pour être admissibles à la magistrature sont, elles, beaucoup moins nombreuses. » L’expérience minimale nécessaire pour accéder à la magistrature est en effet de dix ans, mais il demeure très rare que l’on nomme des avocats ou des avocates ayant moins de quinze ans de pratique. De fait, la moyenne d’entre eux ont obtenu leur poste de juge après vingt ans de métier. Si l’on calcule que plus de 70 % des avocates n’en comptent pas plus de seize, l’hypothèse historique de Serge Ménard tient la route. Mais elle ne peut tout de même pas servir d’explication passe-partout, s’il faut en croire Jocelyne Olivier, ancienne bâtonnière et présidente du Comité du barreau sur les femmes. « À la Division d’appel de Québec de la Cour supérieure, il n’y a guère plus de quatre femmes de Trois-Rivières à Percé. » Et encore, la quatrième a été nommée tout récemment. Ce nombre n’avait jamais été atteint depuis 1978. « Certaines années, on n’en comptait pas une seule. Un bilan peu reluisant. » Dans un avis du Conseil du statut de la femme, dont Jocelyne Olivier a coordonné la rédaction, il est expressément recommandé que des mesures soient prises pour parvenir à l’équité au sein de la magistrature. « Nous avions précisé au ministre de la Justice de l’époque que s’il devait ne retenir qu’une recommandation, ce devait être celle-là. » Au moment de la rédaction de cet avis, en 1991, les femmes ne représentaient même pas 10 % des juges au Québec en comparaison de 15 % aujourd’hui. C’est beaucoup ou peu. « Il ne s’agit pas d’une révolution, mais certainement d’une évolution, dit Jocelyne Olivier. Par cet avis, nous cherchions à faire reconnaître le problème aux autorités. En ce sens, nous avons réussi. Des sessions de formation sur les réalités sociales sont systématiquement offertes aux membres des comités de sélection. Des mesures comme celles-là font beaucoup pour la conscientisation sur le sexisme et le racisme. »

Enfin chez elles

« S’il existe un message que la magistrature a le devoir de passer, c’est que le sexisme, sous quelque forme que ce soit, se révèle clairement inacceptable dans notre société. » Celle qui s’exprime ainsi est juge en chef de la Cour supérieure du Québec. Avant de faire carrière dans la magistrature, Lyse Lemieux a occupé le poste de directrice du contentieux dans plusieurs ministères, puis celui de sous-ministre adjointe aux Affaires civiles et pénales. Elle est l’une des rares juges issues de la haute fonction publique, un univers qu’elle décrit comme moins dur pour les femmes que la pratique privée. « Pour être tout à fait franche, cela s’est révélé parfois avantageux d’être une candidate sérieuse dans un milieu qui cherchait à augmenter la présence féminine. » Lyse Lemieux se définit comme « une féministe modérée, mais certainement féministe. » Elle se souvient avec un amusement étonné de son premier poste comme juge à la Cour supérieure en 1978. « J’étais ni plus ni moins qu’un objet de curiosité. Je crois qu’on n’était pas six dans tout le Québec à l’époque. D’une certaine façon, j’avais l’habitude, puisque nous étions le même nombre sur 1 200 étudiants en droit à la fin de mes études en 1958 à l’Université de Montréal. Ça vous donne une idée de l’évolution du monde juridique. » Évolution que Lyse Lemieux considère à la fois comme fulgurante et parfois étonnamment lente. Cette juge reconnue pour sa rigueur intellectuelle a entendu nombre de ces inévitables commentaires auxquels sont habituées les pionnières. Jamais rien de déplacé, précise-t-elle. Des blagues du genre : “Quoi? Encore une femme?” À cela, je répondais : “Avez-vous peur à ce point qu’on fasse mieux que vous?” Ces mots d’esprit témoignent bien, selon elle, de la persistance des vieilles mentalités dans un monde qui, par ailleurs, voit arriver les femmes par cohortes entières. « Car si on en croit les pronostics, les professions juridiques seront bientôt occupées majoritairement par les femmes. » L’embêtant avec les exercices de futurologie statistique, c’est qu’il faut parfois les réviser à la lumière des faits. Au Sommet de la justice de 1992, Lyse Lemieux avait fait cette prévision qu’elle estimait réaliste : « Si on applique le principe d’alternance dans le mode de nomination, on obtiendra, en l’an 2002, 46 % de femmes juges pour 54 % d’hommes à la Cour supérieure du Québec. » À trois ans de ladite date, elles sont à peine 20 % de femmes à la Division d’appel de Montréal et guère plus de 7,4 % dans celle de Québec. Lyse Lemieux reconnaît avoir été trop optimiste dans ses prévisions. « Le souci d’équilibre des sexes est arrivé un peu tard dans l’histoire. C’est le côté aléatoire des nominations. » Le scénario de la juge ne reposait que sur l’alternance, soit une rigide proportion d’un homme pour une femme. Or, les nominations relèvent de préoccupations multiples autrement plus complexes. Les amitiés politiques des candidats entrent en ligne de compte presque autant que leur curriculum vitæ et leur personnalité. « J’ai clairement perçu, dit Lyse Lemieux, que des femmes fort compétentes hésitent à se porter candidates. Certaines d’entre elles éprouvent peu d’attirance pour le milieu de la magistrature, et d’aucunes croient carrément que leur candidature ne sera pas retenue. À ces dernières, il faudrait dire : “N’hésitez pas à vous présenter; il y a une demande sans cesse croissante pour les femmes juges”. Et, aux premières, il conviendrait de rappeler que, par leur seule présence, les femmes transformeront le monde de la magistrature. Le jour n’est pas loin où elles s’y sentiront tout à fait à l’aise. »

Nominations — Les copains d’abord?

Les nominations à la Cour du Québec relèvent de l’État québécois, tandis que le choix des magistrats des cours supérieures et d’appel, tout comme ceux de la Cour suprême, appartient au gouvernement fédéral. D’où la question : « Être nommé juge, est-ce une affaire de couleur politique? » Oui et non. Il demeure impossible de garantir qu’être un ami du parti au pouvoir ne joue pas dans l’attribution d’un poste, puisque la décision quant aux nominations est prise par le gouvernement. Cela étant dit, les aspirants doivent passer par ces mesures de prévention de l’arbitraire que sont les comités de sélection. L’honneur de la création de semblables comités revient au tout premier gouvernement du Parti québécois par l’entremise de Marc-André Bédard, ministre de la Justice, qui les a mis en place en 1977. L’idée avait son mérite, puisque l’État fédéral eut bientôt les siens. Les comités de sélection comptent généralement trois membres : une personne représentant le public, un membre du barreau et un juge du tribunal en recrutement. Au ministère québécois de la Justice, on affirme s’assurer qu’une femme siège à chaque comité de sélection. Du côté du ministère fédéral de la Justice, on est plutôt avares de commentaires, mais on murmure dans les coulisses du Palais de justice de Québec que, si l’on a loupé l’occasion de nommer une femme à la Cour supérieure en mai dernier, c’est parce que la connaissance du monde juridique québécois de l’actuelle ministre Anne McLellan est limitée.

Avocates Dur métier pour la famille

« Ma cliente a vu sa carrière compromise pour avoir commis la faute de vouloir enfanter. » Denis Matte, avocat à la Commission des normes du travail, défend l’affaire Connie Byrne, une jeune stagiaire renvoyée en 1997 de l’étude Bernier et Beaudry de Québec. La jeune femme avait, semble-t-il, de belles perspectives d’emploi dans cet important bureau jusqu’à ce qu’elle avoue à son employeur qu’elle attendait un enfant. Dès lors, la situation se serait détériorée rapidement. Graduellement « tassée » jusqu’à l’ostracisme par certains associés de l’étude, la future avocate a été mise à la porte sous le prétexte de difficultés financières. L’argument tient presque du mépris, soutient Denis Matte, puisque le salaire versé à Connie Byrne ne dépassait pas un misérable 250 $ par semaine et que, dans les mois qui ont suivi, le bureau a engagé six avocats! Le tribunal tranchera la question puisqu’au moment de la rédaction de ce reportage, il se préparait à rendre une décision dans ce cas. Un milieu aussi compétitif que la pratique privée du droit est-il compatible avec le droit à la maternité? « Et ça va bien plus loin que les renvois illégaux, affirme Jocelyne Olivier, présidente du Comité pour les femmes du barreau. Est-ce qu’une jeune maman peut survivre longtemps dans une profession où il est “normal” de travailler 60 heures par semaine pour faire avancer sa carrière? Peut-elle espérer obtenir les “beaux dossiers” si elle doit concurrencer un collègue qui offre beaucoup plus de disponibilité? Et celle qui est à son compte, peut-elle se permettre de mettre sa clientèle en veilleuse le temps de sa grossesse? Ce n’est pas un hasard si un sondage maison démontre que 55 % des avocates n’ont pas d’enfants! » Ajoutons aux cornéliennes questions soulevées par Me Olivier que le statut d’associé auquel aspirent tous les membres d’un grand bureau est bien souvent conditionnel à un nombre conséquent d’heures facturables. Et qui dit grossesse en dit moins. Un mode de calcul simpliste, pas du tout garant de la compétence d’un avocat, puisqu’il ne tient pas compte de la maîtrise du métier, observe Ariane Charbonneau, présidente de l’Association du Jeune Barreau de Montréal. « Il faudra pourtant bien que la profession favorise un meilleur équilibre travail-famille, dit-elle. Sinon, on arrivera à cette situation absurde et injuste d’une profession majoritairement féminine, mais prévue pour des hommes ayant une femme à la maison. »