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Porno piège

Le débat sur la pornographie est un débat maudit. Je le détestais il y a quinze ans et je le déteste aujourd’hui. Parce que, forcément, j’aurai l’air de la vieille militante pas «cool», celle qui se venge sur ses consœurs plus jeunes après qu’elles, les plus jeunes, ont attaqué le féminisme pour son discours «simpliste» sur la porno.

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Le débat sur la pornographie est un débat maudit. Je le détestais il y a quinze ans et je le déteste aujourd’hui. Parce que, forcément, j’aurai l’air de la vieille militante pas « cool », celle qui se venge sur ses consœurs plus jeunes après qu’elles, les plus jeunes, ont attaqué le féminisme pour son discours « simpliste » sur la porno. Mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour sa vieille chum ? *

Première observation : le débat est passé d’un extrême à l’autre. Avant, les femmes étaient généralement contre la porno; aujourd’hui, elles sont généralement pour… la tolérer. Avant, on dénonçait l’« objectification sexuelle » des femmes; maintenant, on applaudit la « sexualité reconquise » par les femmes. Rien de plus laid que de s’adonner à la porno il y a quinze ans, rien de plus chic aujourd’hui. On va de simplisme en simplisme. Et ça s’appelle du progrès?

Je n’ai jamais beaucoup prisé le discours anti-porno d’antan, pas tant à cause de son prétendu puritanisme que pour son incompréhension du phénomène. La porno a pour but de montrer le sexe en pièces détachées, la mécanique du sexe plutôt qu’une véritable intimité sexuelle. Elle « objectifie » le corps, masculin ou féminin, par définition. Ce n’est pas nécessairement misogyne, bien que certaines productions hardcore, où l’on s’amuse à violenter des femmes, le soient très certainement.

Mon problème, c’est que j’avale tout aussi mal le discours pro-porno d’aujourd’hui, le « qu’est-ce-qu’on-est-cool-les-filles » qui transpire de films comme Baise-moi, Romance et Bad Girl.

Je n’ai vu que des extraits de Baise-moi, où deux femmes tirent à bout portant les mecs quelles ne veulent pas ou plus baiser, et je n’ai pas eu envie de poursuivre. Je soupçonne qu’il s’agit là de la même supercherie que dans Romance, un film creux qui n’a de fort que l’obsession de la cinéaste à faire de son héroïne une bête de sexe et une tête de Turc. On nous sert du machisme pur et dur, on nous traîne dans la bêtise humaine, mais parce qu’il s’agit cette fois d’un « regard de femme », on s’exclame!

Bad Girl est un cas plus complexe. D’abord, le film est un documentaire québécois et non une fiction française. La cinéaste semble également consciente du fait qu’il y a des excès tout simplement… excessifs. Le film veut prouver, en fait, qu’il existe une « bonne » porno, celle faite par les femmes. Moins violente, moins hard, plus orientée vers la trame narrative, moins centrée sur les organes génitaux. On entend une kyrielle de productrices nous le dire, en tout cas. Le problème, c’est que les images ne suivent pas. On nous sert les mêmes gros plans, les mêmes scènes trop crues et incroyablement cucul, bref, le même abêtissement. Ça, une victoire pour les femmes? Ça, une « sexualité reconquise »?

Le film de Marielle Nitoslawska montre cependant un apport original des femmes. Dans l’industrie pornographique d’aujourd’hui, elles jouent très souvent les maîtresses d’école. De Annie Sprinkle, dont les vidéos et spectacles sont essentiellement des séances hilarantes de démystification des organes génitaux, à cette sexologue américaine qui démontre, en se filmant elle-même avec son mari, que le « sexe anal peut ne pas faire mal », en passant par les vidéos How to Make Love to a Man et How to Make Love to a Woman, dans lesquels, par exemple, la pulpeuse Nina Hartley masturbe un homme plutôt objet tout en pérorant sur la puissance sexuelle de la femme, les femmes deviennent les institutrices du sexe. Comme si ces ex-stars de la porno prenaient très au sérieux l’aspect « éducation sexuelle » de tout temps vanté par les pornocrates.

Apport original ou pas, on est happé ici par le même malaise. Il y a quelque chose d’immensément triste à voir toutes ces actrices et productrices quêter l’attention, si ce n’est l’amour, en écartant les jambes. Elles sont tellement convaincues d’être des conquérantes, alors que le spectacle suinte les vieux stéréotypes et le malsain.

La naïveté bon enfant qui transpire de la porno, surtout féminine, est mise à nu dans un autre documentaire, Give Me Your Soul, de Paul Cowan. Produit par l’ONF, ce film pose les vraies questions : À quoi sert la porno? Et quel en est le prix? La porno, rappelle Cowan, et il fallait bien un homme pour cela, est l’expression du fantasme masculin par excellence : sauter le plus de femmes possible, le plus vite possible. Ce n’est pas tant la sexualité qui compte, mais l’exploit. « Why do I do it? » demande un acteur. « Parce que ça m’emballe de savoir que je peux tirer mon coup on cue, au signal. »

Et le prix? Le film de Cowan suit une jeune femme, Katie June Moon, qui veut devenir star porno. Tout à fait dans l’esprit des films précédents, Katie June, accompagnée de sa mère qui l’appuie, est convaincue de tenir le gros bout du bâton. Elle va faire un métier qu’elle adore, être adulée par des milliers d’hommes, tout en élevant éventuellement sa petite famille. À la fin du film, Katie June est arrêtée pour consommation de drogues, sa mère est rentrée au Tennesse faire des ménages et sa collègue star porno vient d’apprendre qu’elle a le sida.

Les femmes veulent faire de la porno? Soit. On a bien des femmes dans l’armée. Mais ne venez pas me dire qu’elles vont réussir à se libérer, à nous libérer, en se caressant la chatte. La porno est vide de sens, sauf celui que les hommes lui ont donné, et les femmes n’y changeront rien. Malheureusement.

  1. * Francine Pelletier est journaliste et réalisatrice. De 1980 à 1987, nous avons travaillé ensemble au magazine féministe La Vie en rose, qui a souvent traité de sexualité, entre autres avec « Le sourire trouble de la porno » (mai 1984) ou « Tenter l’érotique » (été 85). F.Guénette