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Les vigneronnes de Collioure

D’un vignoble familial exploité à la petite semaine, Maguy et Laetitia Piétri-Géraud ont créé une entreprise à faire rougir d’envie bien des viticulteurs.

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D’un vignoble familial exploité à la petite semaine, Maguy et Laetitia Piétri-Géraud ont créé une entreprise à faire rougir d’envie bien des viticulteurs. Les vigneronnes de Collioure produisent aujourd’hui une douzaine de vins qui raflent de prestigieux prix. Un duo mère-fille étonnant et rare dans le paysage traditionnel de la France viticole. Dans leur boutique du 22 rue Pasteur, à Collioure, une affichette trône sur une barrique de vin: « Au domaine Piétri-Géraud, la viticulture est une affaire de femmes. » Même en France, le fait est rare. Et inexistant au Québec, où le vin se fait généralement en couple. Le vignoble Piétri-Géraud est niché sur la grandiose Côte Vermeille. Dans ce dernier canton avant l’Espagne, les contreforts des Pyrénées se dressent en fond de scène face à la Méditerranée. Partout des paysages étagés où serpentent des routes de vignes et des kilomètres de murets en pierre sèche. Nous sommes dans un ancien port de pêche à l’anchois et terre de tradition viticole. C’est ici que Jacques Parizeau y a son petit vignoble. Au pays du banyuls, un vin doux naturel absolument délicieux, et du collioure, un vin sec très apprécié dans la région. Les propriétaires, Maguy et Laetitia Piétri-Géraud, la mère et la fille, font des merveilles sur ce petit domaine. « Ce qui est bien, c’est de tout faire, de suivre le processus de la terre au verre… On élève un vin comme un enfant, vous savez: ça prend du soin aux détails, comme en amour », raconte Maguy. Associées depuis cinq ans, elles bichonnent leurs 35 hectares de vignes, supervisent les caves d’élevage de crus d’appellations contrôlées et embauchent trois ou quatre employés selon la période. Leur production annuelle atteint 50 000 bouteilles. Mère et fille mettent sur le marché 12 vins qui raflent des prix. Une récompense pour leurs efforts de tous les instants, mais pas encore une assurance pour leurs vieux jours!

Le vin des femmes

On ne se racontera pas d’histoire, le vin demeure un monde d’hommes, mais les femmes y font tranquillement leur niche. Au Québec comme ailleurs dans le monde. Tendance confirmée: le premier Congrès mondial sur les femmes et le vin se tenait en Argentine, il y a cinq ans. Au Québec, elles font la moitié des achats de vin. Dans la même proportion, elles s’inscrivent aux cours de la Société des alcools du Québec pour apprendre à choisir et à déguster. Même si la consommation de vin par habitant est quatre fois plus élevée en France qu’au Québec (60 litres par année en France, contre 15 ici), elle continue d’augmenter de ce côté-ci de l’Atlantique. Nul doute que les femmes y sont pour quelque chose: aujourd’hui, 30 % d’entre elles en boivent chaque semaine, contre 13 % il y a dix ans. On compte maintenant une quarantaine de vignobles québécois de tailles et de qualités différentes. Dans la majorité des quelque 30 exploitations membres de l’Association des vignerons du Québec (au total, 100 hectares de vignes et plus de 300 000 bouteilles annuellement), le vin se fait en couple, un phénomène peu courant dans le monde. Les femmes y occupent différentes tâches liées à la production ou à la mise en marché. Les pures vigneronnes ne sont pas légion, mais certaines ont pris du galon et travaillent maintenant à toutes les étapes de la fabrication. La timidité des conjointes les rendrait moins visibles que leur moitié, c’est pourquoi on les connaît si peu. Trois exemples de codirection: Monique Morin et Étienne Héroux produisent le Morou à Napierville; Line Fortier et Jean Joly fabriquent le Marathonien (excellent vin de glace) à Havelock; quant à Christiane et Victor Dietrich-Jooss, ils exploitent à Iberville le vignoble le plus médaillé du Québec. Les femmes œnologues demeurent rarissimes chez nous. En France, 10 % des sommeliers sont… des sommelières. Ici le chiffre grimpe à 40 %. Il semble que le nez des Québécoises commence à faire mouche! « Je crois qu’il n’y a qu’en Suède où autant de femmes conseillent les clients au restaurant », précise Jacques Orhon, président de l’Association canadienne des sommeliers professionnels. Cette association affiche même 60 % de femmes membres, un fait unique au monde. Mais comme elle accepte aussi des restauratrices (et restaurateurs) non détentrices de diplômes de sommelières, un bémol s’impose. À noter qu’environ 75 sommeliers sortent chaque année des quatre écoles hôtelières (cours de 450 heures) des Laurentides, Laval, Sherbrooke et Québec, ainsi que de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec. La majorité des élèves sont des femmes.
« Les femmes dans ce métier parlent du vin de façon remarquable, poursuit M. Orhon. Elles ont moins d’a priori, parlent une langue concise, évocatrice, faisant appel aux sens. Elles savent susciter le rêve. L’art du vin repose sur la sensualité. Et les femmes en connaissent un bail en la matière… »
Des sommelières chevronnées exercent leur métier sur tout le territoire québécois, en Gaspésie comme au Saguenay, en Estrie ou dans les Laurentides. Elles ont plus ou moins 35 ans. Dans la garde montante, on cite Danielle Dupont, au Casino de Hull, et Véronique Rivest, aux Fougères, à Chelsea dans l’Outaouais. Cette dernière, mère de deux jeunes enfants, a remporté le bronze au Concours du meilleur sommelier du Québec (2001) et l’argent en 1999. Depuis quelques années, il y a toujours des femmes parmi les finalistes de ce prestigieux concours. Les horaires difficiles de la restauration et l’instabilité des revenus liés au pourboire facultatif — un système archaïque disparu partout ailleurs dans le monde — poussent les sommelières vers d’autres horizons. Plusieurs deviennent représentantes dans les agences d’importation qui font la promotion des vins et spiritueux. De la cinquantaine d’agences importantes du Québec, seulement neuf sont dirigées par des femmes. À Collioure, les vignes s’entretiennent à la main à cause de l’escarpement. Pas un tracteur à la ronde. Les cépages cultivés : grenache noir, gris, blanc, syrah, mourvèdre. Leur collioure rouge au nez épicé ou leur banyuls blanc aux arômes d’acacia et de miel demeurent malheureusement introuvables au Québec. Les petits vignobles comme le leur n’ont plus la cote à la Société des alcools du Québec, qui préfère les approvisionnements en gros volumes. « Quelle vie tranquille je menais auparavant! », s’exclame Maguy, la cinquantaine rieuse. À 45 ans, cette fille et femme de médecin avait élevé sa famille. Sa vie a basculé quand la santé de son papa octogénaire a commencé à décliner. Joseph Géraud avait hérité des vignes de son propre père, mais ils n’étaient pas vignerons dans la famille. Plutôt des médecins qui possédaient des vignes. Alors le père et le grand-père de Maguy ont supervisé leur vignoble comme ils le pouvaient. L’exploitation est vieillissante quand Maguy se décide, sans trop savoir quelle mouche la pique, à retourner sur les bancs d’école, le soir, pour se familiariser avec l’œnologie. Elle rencontre une jeune œnologue, Hélène Grau, devenue sa conseillère et mentor. Selon celle-ci, avec beaucoup de travail, il y a quelque chose de bien à faire sur les terres de son père. « Je savais que je ne savais rien, dit Maguy. Je n’avais aucune prétention. J’ai tout suivi à la lettre, « sur carnet », ce qu’elle me demandait de faire. Il fallait rajeunir les équipements, travailler les vignes autrement, convaincre le vieil ouvrier de mon père qu’une nana dans la cave, ça pouvait être sérieux! » Avant d’ajouter: « Et être très sévères avec nous-mêmes… Il le faut. » À sa deuxième vendange, en 1993, son banyuls blanc reçoit le Bacchus, un grand prix départemental décerné par un jury international. Une première pour un banyuls blanc. En 1997, elle reçoit le Bacchus pour son collioure rouge 1995, et depuis, ça n’arrête plus: Médaille d’or au Concours Général Agricole (Paris 2001) pour le collioure rouge 1999 et le collioure rosé 2000. Cette année, autre Médaille d’or au Concours Général Agricole, pour le collioure rouge 2000, et Bacchus pour le banyuls blanc 2000. Malgré elle, Maguy a entraîné sa fille dans l’aventure. Laetitia entre dans le jeu en 1997. Diplômée en communications, elle vivote alors d’un stage à l’autre à Paris, où elle a étudié. Un jour, elle propose à sa mère de travailler avec elle. Elle a 27 ans. Au début, la mère est catastrophée. « Tu sais bien que je n’en vis pas, comment feras-tu, toi? S’il n’y avait pas papa (Jean-Michel Piétri, médecin et mécène de l’entreprise), je ne tiendrais pas. » Laetitia a la tête dure comme la montagne au loin. Après une formation d’un an à l’École d’agriculture, le goût de l’aventure et d’une expérience à l’étranger la conduit en Australie pour un stage de six mois dans la vinification. « Faire la vinification, c’est composer le parfum du vin, dit-elle, c’est excitant. Ajoutez à cela la beauté du paysage de cette Côte Vermeille et vous comprendrez mon amour pour notre terroir qui est devenu ma passion, ma vocation même! » Depuis, mère et fille forment un tandem soudé, travaillent 60 heures par semaine et rayonnent devant leurs bouteilles, qui se vendent bien malgré les difficultés de commercialisation. Si vous passez par Collioure, cherchez ces funambules qui aiment tant faire danser les papilles.