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Vénus

Les parents le savent : quand il est question de moi, le terme “maternelle” se transforme en “paternelle”.

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Le gars de la « paternelle » Michel Lapointe, 45 ans, enseignant au préscolaire

Les parents le savent : quand il est question de moi, le terme “maternelle” se transforme en “paternelle”. J’ai décrété cela parce que ça me semble aller de soi ! D’autant que le maternage, ce n’est pas mon fort. Pour panser un p’tit bobo ou se faire chouchouter, les enfants iront spontanément voir mes collègues féminines. Mais s’ils ont besoin du fusil à colle chaude, c’est à moi qu’ils font appel ! Cette année, nous étions trois sur douze enseignants, mais habituellement je suis le seul homme de l’école avec le concierge. Ça prend une “grande gueule” (comme la mienne…) pour faire le poids devant toutes ces femmes ! En revanche, comme je suis seul de ma gang, on ne me compare à personne. On n’aura pas, non plus, les mêmes attentes envers moi : si ma classe est en désordre, mes consœurs seront indulgentes. Après tout, je ne suis qu’un homme, n’est-ce pas ? Une femme dans un milieu masculin a plus de fil à retordre que l’inverse. Pour se faire respecter professionnellement, elle devra mettre en veilleuse sa “féminité” et faire valoir ses qualités dites “masculines”. Au contraire, des femmes accepteront et apprécieront qu’un homme agisse en homme. Quand j’arrive avec mon coffre à outils, personne ne rechigne. J’adore mon travail. Et je suis en demande. L’école est située dans un quartier où vivent beaucoup de mères de famille monoparentale, qui souhaitent que leur enfant bénéficie d’un encadrement masculin. Elles seraient déçues : j’en laisse beaucoup plus passer côté discipline que mes collègues ! Tout ne va pas toujours de soi, cependant. Vos lectrices vont hurler, mais j’ai un peu de difficulté avec la susceptibilité des femmes. Il faut toujours y mettre les formes quand on leur parle pour éviter de les froisser. Ça m’exaspère ! Il m’arrive d’exploser : “Vous voulez l’équité salariale?? Alors montrez que vous savez vous battre et encaisser comme des gars”. Je suis parfois contesté dans mon approche pédagogique. Ma propension à improviser des activités non prévues au programme, si je juge que c’est pour le bien de l’enfant, n’est pas nécessairement au goût de tout le monde ! Mais est-ce que je fais les choses différemment parce que je suis un homme ou parce que je suis moi, Michel Lapointe ? Mystère… Les clichés sont tenaces. Quand j’arrive quelque part avec un groupe, c’est immanquable : on pense que je suis un parent accompagnateur. Si une mère est avec moi, c’est elle qu’on identifie comme l’éducatrice. Ça vaut dans le milieu. Je suis récemment allé donner un atelier à des étudiants en service de garde. À mon arrivée, l’animatrice m’a dit : “Bonjour, vous êtes le directeur de l’école ?” S’ils ont le choix, très peu d’hommes enseignants opteront spontanément pour un travail auprès de jeunes enfants. Ils préféreront de beaucoup être professeurs au cégep ou à l’université. Pour le standing. Par peur aussi qu’on juge leur travail insuffisamment sérieux. Pour ma part, dès mon tout premier stage avec des petits, j’ai su que ma place était auprès d’eux. Je ne considère pas faire un métier de femme. J’exerce mon métier d’enseignant dans un milieu de travail où il y a davantage de femmes que d’hommes. C’est tout.

Monsieur la garde-malade Normand Dufour, 35 ans, infirmier

“Je suis la garde-malade, Monsieur. Ne vous inquiétez pas, j’ai le droit de vous faire une piqûre”. Il m’arrive d’avoir à fournir ce genre de précision aux patients, surtout les plus âgés, qui confondent facilement “préposé aux bénéficiaires” et “infirmier”. Il faut dire que, des infirmiers, il n’y en a pas encore des millions ! J’ai toujours été une “minorité visible”. Quand j’étudiais, la règle était claire : le féminin l’emportait sur le masculin. Les professeurs s’adressaient à la classe en disant “Mesdemoiselles”, et les exemples étaient toujours adaptés en fonction des filles. Les gens catégorisent vite?: tout le monde a tendance à penser que les infirmiers sont des homosexuels ! Moi, je suis marié et j’ai une petite fille. Mais une chose est sûre : le travail n’est pas fait pour les durs de durs, les rough and tough. Il faut accepter de montrer sa sensibilité, sa tendresse même. Tous les hommes ne sont pas prêts à cela. J’ai été le bienvenu dans toutes les équipes où j’ai travaillé. Les infirmières sont ravies d’avoir un homme à leurs côtés, c’est officiel. Ce serait bien qu’il y en ait davantage. Nous apportons nos couleurs à la profession. Les femmes ont tendance à prendre les choses trop à cœur. Un homme peut parfois aider à dédramatiser les situations, à alléger certaines tensions. Sans compter que nous donnons le meilleur de nous-mêmes dans des départements différents. On retrouve la majorité des infirmiers aux soins intensifs ou à l’urgence. Cela n’a rien de surprenant. Être sur l’adrénaline, avoir à prendre des décisions dans la seconde, éteindre des feux, ça plaît plus aux hommes. J’ose le dire : on est souvent plus performants là que les femmes. Mais pour le “soin”, les filles sont imbattables. Les gars trouveraient parfaitement leur compte dans la profession. C’est passionnant ! Et si diversifié d’un département à l’autre que ça équivaut à faire plusieurs carrières en une ! J’ai personnellement adoré mon passage en oncologie, auprès de femmes aux prises avec un cancer du sein. Je leur faisais du bien non seulement comme infirmier, mais comme homme. Je leur disais?: “Ne vous inquiétez pas, vous êtes très belle”. Mon regard masculin les rassurait. C’était émouvant et gratifiant. On peut parfois faire une différence, du simple fait d’être un homme. J’ai par ailleurs souvent constaté que le rapport des infirmiers aux médecins n’était pas le même que celui des infirmières. Nous avons tendance à moins nous en laisser imposer par des docteurs imbus de leur savoir. Je fais surtout référence à des médecins de la vieille garde. Les nouveaux arrivants, femmes et hommes, sont nettement plus amicaux et plus respectueux de notre apport. On se sent très appréciés. Notre travail infirmier est valorisé. Ça pourrait contribuer à attirer davantage d’hommes dans nos rangs.