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Des bancs d’école au marché du travail

Qu’ont en commun les Québécoises avec les Norvégiennes, les Espagnoles et les Néo-Zélandaises ? Elles sont les femmes les plus scolarisées au monde.

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Qu’ont en commun les Québécoises avec les Norvégiennes, les Espagnoles et les Néo-Zélandaises ? Elles sont les femmes les plus scolarisées au monde. Chez nous, les filles sont majoritaires dans presque tous les secteurs d’études supérieures, y compris la gestion et les sciences pures, où elles formaient en 2001-2002 environ la moitié du contingent d’étudiants. Cela, on le sait. Mais il y a plus, constate Rabah Arrache, économiste au Centre d’étude sur l’emploi et la technologie et auteur d’une recherche — « Les femmes universitaires de plus en plus nombreuses à tous les niveaux » — parue ce printemps dans le Bulletin du FMRQ. « Depuis longtemps, les femmes étaient majoritaires dans certains domaines, comme la santé et l’éducation. Ce qui est nouveau, c’est qu’on les voit arriver en grand nombre dans des territoires traditionnellement masculins, comme les sciences appliquées. » En termes relatifs, ce domaine est celui dont la cohorte d’étudiantes a connu le meilleur taux de croissance entre 1986 et 2002. Le nombre d’inscriptions féminines a presque doublé durant cette période, indique le ministère de l’Éducation du Québec. Voici des années que les féministes se désâment à pousser les étudiantes vers les professions lucratives, comme le génie. Leurs désirs seraient-ils en voie d’être exaucés ? Pas si vite. À l’intérieur des domaines d’études non traditionnels, les femmes choisissent certaines professions et boudent les autres. « Prenons l’exemple des sciences appliquées : les étudiantes sont assez nombreuses en agronomie [60 % en 1996] mais encore rares en génie électrique [12 %]. » Une différence qui se calcule en beaux dollars, les professionnels — hommes et femmes — de ces deux catégories gagnant un salaire moyen bien différent (39 300 $ contre 52 800 $, selon les chiffres de 1995). Embrassent-elles les « bonnes carrières » ? « A priori, elles font des choix rationnels », répond Rabah Arrache, précautionneux comme un chat sur un toit mouillé. « Elles tendent à choisir des emplois moins payés, mais plus sûrs. Par exemple, lorsque la bulle des TIC (technologies de l’information et des communications) a éclaté, à l’été de l’an 2000, beaucoup plus d’hommes sont tombés en chômage. Ils s’étaient enrichis, mais ils ont fini par payer. » Environ 4 % des professionnelles étaient alors sans emploi, confirme Statistique Canada, contre plus de 4,5 % de leurs confrères. D’ici 10 à 15 ans, juge l’économiste, il devrait y avoir plus de femmes que d’hommes dans les emplois hautement qualifiés. Déjà, chez les 15 à 44 ans, les femmes sont majoritaires dans la population active de niveau universitaire. Certes, les femmes se sont taillé une place de choix dans plusieurs professions prestigieuses, telles la médecine et le droit. Reste que les secteurs qui ont connu la plus forte augmentation du nombre de leurs étudiantes entre 1986 et 2002 appartiennent davantage au cursus traditionnel des femmes. En première place trônent les sciences sociales (qui ont gagné dans cette période 8 800 étudiantes), puis les sciences de l’éducation (6 000) et l’administration (4 300). Quel métier Rabah Arrache conseillera-t-il à sa fillette de 3 ans quand elle sera en âge de choisir ? Je lui dirai que le marché est une conséquence de nos choix, mais qu’il ne devrait pas les dicter, répond-il avec sagesse. Il faut choisir en fonction de ce qu’on aime et de ce qu’on est capable de faire.

L’avenir en rose ?

Si d’aucuns s’inquiètent de la féminisation des professions, Léa Cousineau, elle, s’en réjouit. « La seule chose qui me dérange, c’est que les métiers choisis par un grand nombre de femmes subissent souvent une dévalorisation. Mais au rythme où elles les occupent actuellement, ils ne pourront pas tous se dévaloriser ! » Son rire fuse comme un geyser. Pour la présidente de la Commission des partenaires du marché du travail, organisme-conseil qui surveille l’évolution de la main-d’œuvre au Québec, le rattrapage accéléré qu’effectuent les femmes en emploi est un vrai cadeau. « Il y a quelque temps, la sociologue Céline Saint-Pierre, de l’INRS, disait craindre le “décrochage des jeunes professionnelles”, à cause des difficultés qu’elles éprouvaient à s’insérer dans le marché. Les féministes disaient : les filles dans les technologies, c’est loin d’être fait… C’est vrai, mais ça change. Dans tous les grands domaines d’emploi, on approche de l’irréversible. » Sur le plan de la formation, les filles sont bien pourvues. « Sur le plan de la rémunération, c’est autre chose. » Le travail à temps partiel, qui touche un travailleur sur dix, constitue le lot du quart des travailleuses. Et souvent, il ne s’agit pas d’un choix. En un sens, c’est une bonne nouvelle, lance la présidente de la Commission. « Nous faisons face à une pénurie anticipée de main-d’œuvre. Hausser le taux d’activité des femmes sous-employées pourrait nous aider à résoudre ce problème dans les années à venir. » Il faudrait toutefois instaurer des mesures concrètes pour inciter les femmes à se diriger vers les secteurs en émergence (comme les technologies) et les aider à concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales (surtout pour celles qui élèvent seules leurs enfants). « Les femmes sous-employées — un phénomène dont on connaît mal l’ampleur — vont bientôt trouver des emplois à la mesure de leurs compétences. » Où ça ? Eh bien, un peu partout. Les Québécoises investissent tous les milieux… mais sont encore trop peu nombreuses dans les sciences naturelles et appliquées, le domaine d’emploi qui a crû le plus depuis 1987, et qui semble vouloir continuer sur sa lancée. Elles accusent aussi un net déficit en gestion (bien qu’elles représentent 50 % des cadres en santé, enseignement, services sociaux et fonction publique, elles sont nettement minoritaires partout ailleurs). Leur entrée récente dans ce champ d’activité les dessert, explique Léa Cousineau. « La gestion n’interpelle que les gens qui ont une grande expérience du travail. Puis certains hommes tiennent à préserver leurs acquis? » Selon elle, dans les milieux traditionnellement masculins, les femmes se butent encore aux préjugés, voire à l’hostilité. « On occulte cela par des images de réussite extraordinaire. Julie Payette fait du beau boulot, mais il n’y a pas que les vedettes qui travaillent. Il faut une action concertée des employeurs pour enrayer cette résistance. » La parité parfaite, dans tous les métiers, ne surviendra sans doute jamais. Et ce n’est peut-être pas si grave, dit la présidente de la Commission, pour autant que les femmes se sentent libres d’exercer la profession de leurs rêves. « Le changement démographique crée des perspectives intéressantes. Puisque la conjoncture économique est favorable, les femmes auront bientôt des possibilités comme elles n’en ont jamais eues. » Elle qui a commencé à travailler en 1961, à une époque où le Québec manquait de main-d’œuvre, se réjouit pour les jeunes, femmes et hommes, qui connaîtront une situation semblable. « Ils vivront un rapport plus sûr au marché du travail que leurs aînés », dit Léa Cousineau. Une chose fait particulièrement plaisir à cette ex-enseignante de français au secondaire, devenue syndicaliste : l’enseignement est en passe de redevenir un emploi prometteur. Celles qui exercent l’une des cinq professions les plus populaires — les enseignantes, les infirmières, les comptables et vérificatrices — représentent encore la moitié de la main-d’œuvre féminine. Bonne nouvelle pour elles, d’après Emploi-Québec, ces domaines offrent tous des perspectives d’emploi « favorables ou très favorables ». Est-ce à dire que les carrières traditionnellement féminines vont prendre du galon ?