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Les délinquantes de Chantal Théry

Des religieuses au caractère bien trempé ont laissé des écrits qui nous révèlent des aspects inédits de la vie en Nouvelle-France …

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Des religieuses au caractère bien trempé ont laissé des écrits qui nous révèlent des aspects inédits de la vie en Nouvelle-France.

Décidément, rien n’est trop rébarbatif pour la professeure de littérature à l’Université Laval Chantal Théry. Non seulement a-t-elle quitté sa douce Provence pour s’installer au Québec il y a 30 ans, mais elle a troqué, comme objet d’étude, les sulfureux romans de Marguerite Duras contre les écrits poussiéreux de religieuses de la Nouvelle-France.

Entre ces religieuses et la professeure bohème aux longs cheveux argentés, tout a commencé dans un théâtre du Vieux-Québec en 1981. Ce soir-là, le comédien français Marcel Bozonnet se glissait dans la peau de Marie de l’Incarnation, une missionnaire du 17e siècle. Assise dans la salle, Chantal Théry a reçu un électrochoc. « Je ne la connaissais pas du tout. Je l’ai trouvée géniale ! » lance-t-elle.

L’intellectuelle athée et féministe ne s’était jusqu’alors jamais intéressée aux religieuses, qu’elle imaginait doublement soumises — à Dieu et aux hommes. Mais en plongeant dans la correspondance de Marie de l’Incarnation, elle a découvert une femme au front de bœuf, aventureuse et contestataire. « Et d’une telle qualité intellectuelle ! Que j’ai eu honte de mon ignorance et de mes préjugés ! »

L’ursuline Marie Guyart (de l’Incarnation) est une des sept femmes — six religieuses et une laïque — dont les écrits sont analysés dans l’essai de Chantal Théry, De plume et d’audace. En 14 chapitres indépendants les uns des autres, l’auteure fait un survol commenté de leurs écrits personnels ou officiels. « Comme femmes, elles voyaient des détails auxquels les chroniqueurs masculins ne s’intéressaient pas », dit-elle.

Et comment ! Dans ses écrits, Marie de l’Incarnation aborde la question du viol. Sur ce point, elle compare les soldats français aux Iroquois. Théry la cite : « Les Iroquois sont bien barbares, mais assurément, ils ne font pas aux personnes de notre sexe les ignominies qu’on me mande que les Français ont faites. Ceux qui ont habité parmi eux m’ont assurée qu’ils n’usent point de violence, et qu’ils laissent libres celles qui ne leur veulent pas acquiescer. » « On n’avait jamais lu ça ailleurs ! » s’exclame l’essayiste.

Dans ses lettres à son père, la jeune ursuline Marie-Madeleine Hachard livre un compte rendu vivant et rempli d’humour de sa traversée de l’Atlantique vers La Nouvelle-Orléans. Les récits de voyage au féminin étant une rareté, celui-ci est précieux, dit Chantal Théry. « Franche et naïve, Marie-Madeleine Hachard raconte tout ! Sa peur que le bateau soit pris par des corsaires, le fait que les Jésuites dorment sur le pont avec des paniers à lessive sur la tête », dit-elle.

En plus de nous présenter la Nouvelle-France sous un éclairage inédit, ces écrits commentés nous révèlent des voyageuses fascinantes, des battantes qui savent arriver à leurs fins par l’argumentation. « De belles délinquantes ! résume l’auteure. Marie de l’Incarnation a fait un battage publicitaire incroyable pour que les religieuses la soutiennent dans son projet de mission au Canada. Elle a mis tout le monde de son côté ! C’était une Ségolène ! »

Chantal Théry a effectué un travail de débroussaillage important avec De plume et d’audace. Mais il reste beaucoup à faire pour redonner à l’Histoire ces textes de femmes longtemps boudés. À commencer par les publier dans leur intégralité ou, dans certains cas, les rééditer. C’est la tâche à laquelle elle s’attelle pour les prochaines années, tout en continuant d’enseigner la littérature dans une perspective féministe.