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Des amours d’enfer

Dans la pomme du premier amour se cache parfois le ver de la violence. Comment le reconnaître ?

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Dans la pomme du premier amour se cache parfois le ver de la violence. Comment le reconnaître ?

« J’aurais dû voir que oups ! ce gars-là, il m’aime pas comme je suis. Il veut que je sois comme lui, comme il veut. Pis sa façon de me garder sans contact avec l’extérieur aussi, sa façon de m’isoler auraient dû me prévenir. »

Rose (nom fictif) avait 16 ans lorsqu’elle s’est engagée dans une relation qui a bien failli la démolir. Il était si beau le cueilleur de fruits rencontré dans l’Ouest canadien. Beau mais possessif. Colérique aussi. Quand il s’enrageait, il la « shakait », lui criait des noms : chienne, pétasse, putain. Mais Rose tenait à son amour, tellement qu’elle a tout fait — même un enfant — pour essayer de l’amadouer.

Des amours d’enfer, bien d’autres jeunes en vivent. Mylène Fernet, chercheuse de l’Université du Québec à Montréal, a recueilli les témoignages de Rose et de 18 autres filles âgées de 15 à 19 ans. Ça l’a frappée de voir à quel point les adolescentes peuvent endurer les insultes, les tricheries, les coups, voire les agressions sexuelles dans l’espoir de sauver le couple dont elles ont tant rêvé. Elles vont jusqu’à nier la réalité : elles banalisent les coups (« c’est pas si grave »), excusent l’agresseur, se blâment elles-mêmes.

La violence, ça n’existe pas que chez les couples plus vieux ! En , près de 2 500 élèves de 16 ans du Québec ont répondu aux questions de chercheuses de l’Université Laval. Parmi les 750 filles qui avaient eu un chum au cours des quatre derniers mois, un bon nombre avaient subi diverses formes d’agression : contrôle (18 %), dévalorisation (11 %), rudesse physique (17 %), relations sexuelles forcées (2 %).

Des gars malmenés par leur blonde, il s’en trouve aussi. Bien sûr. « Les filles ne sont pas des anges, admet Francine Lavoie, professeure à l’École de psychologie de l’Université Laval. Piquer des crises de jalousie, lancer des rumeurs dévastatrices pour se venger, harceler, gifler, agresser, elles le font trop souvent. » Mais les adolescentes demeurent les plus durement touchées (voir encadré).

À quels signes reconnaît-on une relation mal engagée ? « Quand l’autre ne te permet pas d’être ce que tu es, c’est très mal parti ! » prévient la psychologue, qui s’intéresse aux ados depuis 25 ans. Elle a créé les programmes VIRAJ et PASSAJ pour prévenir la violence amoureuse.

Premier signal d’alarme : on se met à trop changer pour plaire à l’autre. À s’habiller au goût de son chum ou de sa blonde, à abandonner ses amis, à mentir pour cacher des choses à son entourage… Les copains se désolent : « On ne te voit plus depuis que tu sors avec un tel (ou une telle) ! » Deuxième signal, plus sérieux : on a peur. Peur de ce que l’autre va penser, de ce qu’il va dire, de ce qu’il va faire. Là, il faut réagir.

« Malheureusement, les filles qui subissent de la violence ne s’ouvrent pas facilement, déplore Marie-Christine Marceau, directrice de Points Jeunesse du Granit, la maison des jeunes de Lac-Mégantic. Quand elles parlent, c’est souvent après. Sur le coup, elles ne se rendent pas toujours compte de ce qu’elles vivent. »

Linda Primeau, de Tel-jeunes, s’inquiète de la violence verbale et sexuelle dans certaines relations. « Des garçons vont parler de leur blonde en l’appelant “ma bitch” (“ma chienne”). Et les filles vont intégrer ça : “J’suis sa bitch”, qu’elles nous disent. Dans ce temps-là, on demande aux jeunes de réfléchir à ce qu’ils attendent d’une relation amoureuse ! Le pire, c’est que les garçons ne sont pas toujours conscients de la violence de leur langage; ils sont jetés à terre quand on leur dit ça. »

Sous le couvert de l’humour, les femmes se font souvent rabaisser. « La meilleure façon pour un gars d’atteindre sa blonde, c’est de s’en prendre à son image. Il va rire d’elle, la traiter de salope, lui dire qu’elle est une moins que rien. Même si ça fait mal, la fille va essayer de se convaincre que ce n’est pas grave », explique Diane Prud’homme, du Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale. « Comme beaucoup de filles ont l’impression qu’elles ne sont rien sans chum, cela donne du pouvoir aux gars. »

Ça peut mener loin : l’an dernier, les maisons du Regroupement ont accueilli une trentaine de mères violentées de moins de 18 ans.

Une chose est claire : toute violence doit être dénoncée. Si un ami maltraite sa blonde (ou qu’une amie rabaisse son chum), il faut protester. Et quand le discours antifemme devient cool, il faut ramener les délinquants à l’ordre. Ça prend du cran ! Heureusement, les ados en ont. « Les jeunes ont un extraordinaire pouvoir de pression et ils savent s’en servir », se réjouit Francine Lavoie, qui croit en leur capacité de changer les choses. Après tout, gars et filles ont tout à gagner d’une société qui encourage les relations égalitaires.

Ce qu’il est advenu de Rose ? Pour protéger son enfant, elle a fini par fuir. Ça n’a pas été facile : elle a eu besoin de l’aide d’une psychologue et de la police. Aux dernières nouvelles, elle travaillait à reconstruire sa vie.

Frappant!

En , les corps policiers du Québec ont rapporté 623 crimes commis chez les couples de 12 à 17 ans. Voies de fait (51 %), agression sexuelle (13,6 %), menaces (18,1 %), harcèlement (12,2 %), enlèvement et séquestration (4,7 %). Officiellement, 567 filles et 56 garçons ont encaissé des coups. On estime que 3 crimes sur 10 seulement sont rapportés.

Miser vrai!

Que faire si une personne proche subit de la violence ? Ou qu’elle en exerce ? Les auteures du programme PASSAJ proposent un protocole d’écoute : MISER vrai.

  • Aider la personne à mettre les vrais Mots sur la réalité vécue : s’agit-il d’un viol, d’une menace ou d’une insulte ?
  • Affirmer clairement (mais sans violence) que c’est Inacceptable.
  • Montrer qu’on se fait du Souci pour la victime.
  • Écouter sans juger. Rester disponible même si la personne qui se confie n’est pas prête à agir tout de suite pour s’en sortir. On peut aussi l’aider à consulter.

Besoin d’aide?

Tel-jeunes : 514 288-2266 ou 1 800 263-2266, jour et nuit