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Le deuxième sexe de la religion

Si plus de femmes jouaient un rôle clé au sein des religions, le monde serait-il autre ? Trois croyantes répondent.

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Si plus de femmes jouaient un rôle clé au sein des religions, le monde serait-il autre ? Trois croyantes répondent.

Elles nous montrent un autre visage du christianisme, du judaïsme et de l’islam. Leur credo : l’ouverture aux autres. Michele Birch-Conery a défié le Vatican en devenant la première femme prêtre au Canada, l’an dernier. Elina Bykova est actuellement la seule rabbin de sexe féminin au sein de l’Église juive du Québec. Raheel Raza, auteure du livre Their Jihad — Not My Jihad, se définit comme une avocate de l’interconfessionnalité. En 2005, elle devenait la première Canadienne à diriger, tel un imam, une prière islamique devant une assemblée constituée d’hommes et de femmes.

Considérez-vous accomplir votre travail spirituel différemment d’un homme ?

Michele Birch-Conery : Absolument. Mon rapport à la vie est différent de celui d’un homme. Forcément, cela teinte mon travail. L’Église catholique est menée par une caste masculine, un club fermé dont les membres estiment être les seuls à pouvoir représenter Dieu. Ce groupe n’a pas toujours fait bon usage du pouvoir. Des femmes ne feraient pas nécessairement mieux, mais d’avoir vu agir les hommes nous permettrait au moins de savoir quels travers éviter ! Cela dit, les temps changent et plusieurs d’entre eux sont prêts à travailler de manière plus collégiale, plus égalitaire. On verra où cela nous mènera. Nous sommes encore au début d’un long voyage.

Elina Bykova : Pas vraiment. Femme ou homme, peu importe : chaque personne travaille à sa façon. Il m’arrive à l’occasion d’interpréter certains passages des Écritures un peu différemment de mes collègues masculins, mais sans plus. Je ne suis pas très portée sur les analyses différenciées basées sur le sexe.

Raheel Raza : Je le pense. Par ailleurs, la légitimité de la femme à exercer un leadership dans notre religion est indéniable. J’en ai fait la découverte tard dans ma vie, en me familiarisant directement avec les textes sacrés du Coran, sans intermédiaire. Le patriarcat religieux préfère répandre le message que les femmes ne sont pas spirituellement les égales des hommes. Pourtant, dans le Coran, Dieu s’adresse aux deux sexes de la même façon. C’est peu de dire que la pratique s’est beaucoup éloignée de la théorie.

Si les femmes jouaient un plus grand rôle à l’intérieur des religions, cela pourrait-il servir de rempart contre le fondamentalisme ?

M.B.-C. : Je le souhaite. Nous sommes pour le moment moins fondamentalistes que les hommes. Il faudra cependant veiller à ne pas le devenir à mesure que nous acquerrons plus de pouvoir ! Cependant, de plus en plus d’hommes sont prêts à faire montre d’ouverture. Le plus tôt nous ferons bloc ensemble contre le fondamentalisme, le mieux ce sera. Nous n’y arriverons pas seules.

E.B. : Je l’espère, mais je suis pessimiste. Regardez les manifestations : on y voit souvent défiler des femmes aux côtés des hommes. On est en droit de supposer que les fondamentalistes ont des épouses qui partagent leur point de vue. Bien sûr, si des femmes non fondamentalistes accédaient à des échelons religieux supérieurs, cela aiderait. Mais je préfère penser que ce rempart s’érigera avec nos partenaires masculins.

R.R. : Je le crois. Il existe même un mouvement international de femmes contre le fondamentalisme [Women Against Fundamentalisms] qui réunit plusieurs confessionnalités. Le risque d’extrémisme menace toutes les religions. Si les leaders féminines étaient plus nombreuses, nous serions mieux à même de le combattre. Nous privilégions le dialogue et avons moins le réflexe de prendre une arme pour tuer. Nous sommes plus du genre « Bon, écoute, je fais la cuisine, tu t’assois à table, et on se parle franchement ! » Je caricature, bien sûr, mais il y a un fond de vérité là-dedans…

Un plus grand nombre de leaders féminines aiderait-il à réaliser enfin la paix entre les différentes religions ?

M.B.-C. : À l’heure actuelle, les dirigeants religieux ont plutôt une attitude de fermeture et de silence. Ils souhaitent que le pouvoir soit dans leur camp et pas ailleurs. Les femmes misent davantage sur le compromis.

E.B. : La nature humaine étant ce qu’elle est, avec sa part de mauvais et d’irrationnel, je doute que les femmes puissent contribuer davantage à la paix. Instaurer une paix interreligieuse est un long processus. Pour le moment, les messages religieux tendent plus à séparer qu’à unir. Cependant, si nous parlons de paix et de compréhension à nos enfants, de génération en génération, peut-être réussirons-nous à nous rejoindre. Les hommes doivent aussi y mettre du leur : s’ils sont chauvins et qu’ils restent braqués sur leurs positions, nous n’arriverons à rien.

R.R. : La bonne entente interconfessionnelle est mon cheval de bataille depuis toujours. Actuellement, beaucoup de personnes disent : « Mon Dieu est meilleur que le tien. » Les femmes peuvent contribuer à la paix. Nous sommes plus spontanément portées sur la communication. Or, en échangeant, même sur des choses anodines, on se connaît mieux, on a moins peur de l’autre.

Que pensez-vous du tollé soulevé l’an dernier par la publication, dans un journal danois, de caricatures représentant le prophète Mahomet comme un terroriste ?

M.B.-C. : Un horaire chargé m’a empêchée de suivre cette histoire de près. De ce que j’en sais, certains ont peut-être pris cela trop au premier degré. La caricature est une forme d’art. L’art sert souvent à faire réfléchir, quitte à bousculer nos valeurs et nos façons de penser. En ce sens, il peut aider à se prémunir contre le fondamentalisme. Il sert aussi à exprimer avec un clin d’œil des opinions qu’il serait difficile d’énoncer de manière directe. J’ai déjà été une religieuse. Il y a quelque temps, une comédie satirique sur l’univers des communautés de sœurs, Nunsense, m’a permis de porter un autre regard sur ce monde. Bien sûr, il y avait là beaucoup d’exagérations ! Mais, somme toute, j’ai trouvé l’exercice rafraîchissant et sain.

E.B. : Provoquer des gens à propos de leurs croyances religieuses n’est pas forcément une bonne idée. Oui, il faut défendre la liberté de presse et d’opinion, mais quand il existe un danger réel d’exacerber des haines latentes, jusqu’où peut-on aller ? Cela dit, certains décodent une provocation dans la moindre satire. Il y a dans toute cette histoire quelque chose d’inéquitable. Depuis des années, la presse islamique publie des caricatures visant les autres religions. Quelqu’un ose renvoyer l’ascenseur et voilà les musulmans outrés ! On peut discuter le bon goût de ces dessins, mais cela ne justifie aucunement une telle explosion de violence. Un musulman m’a d’ailleurs dit qu’en agissant ainsi, ces gens ne faisaient que confirmer le message véhiculé par les caricatures. Une démonstration pacifique aurait pu être justifiée. Pas cette montée aux barricades.

R.R. : Je suis aussi journaliste. Je respecte la liberté d’opinion. Mais cette liberté s’accompagne d’une responsabilité. Ces caricatures rappellent aux musulmans de mauvais souvenirs. Au moment de sa création, l’islam a été la cible de bien des railleries. De plus, les nouveaux croyants ont senti le besoin de protéger Allah et ses représentants de l’idôlatrie, en vogue à l’époque, en interdisant toute représentation visuelle. Cependant, je ne vois aucun problème, aujourd’hui, à représenter ces figures sacrées pour des fins louables, dans un livre religieux pour enfants, par exemple. Mais de là à publier un dessin insinuant que Mahomet prêchait la haine, il y a un pas. Par ailleurs, il y a quelques années, un caricaturiste avait déjà proposé au dirigeant du journal danois des caricatures sur Jésus. Ce patron avait refusé… craignant d’offenser des gens. Expliquez-moi : on peut rire aux dépens des musulmans, mais il faut respecter les croyants des autres religions ? Cela dit, rien ne justifie le recours à la violence. Il existe des façons pacifiques de défendre son point de vue. Si nous ne voulons pas être taxés de terrorisme, ne traitons pas les autres de terroristes.

Religion et droits des femmes sont-ils conciliables ?

M.B.-C. : Sans l’ombre d’un doute. La façon dont nous vivons hors la loi, nous, les femmes prêtres, est une honte. Les religions sont généralement en accord avec les droits humains, qui vont au-delà des sexes, des races, etc. Ce sont les porte-parole qui interprètent les écrits fondateurs de manière obtuse et rigide. Sans prendre en compte l’évolution du monde. Ceux qui ont instauré les religions étaient pour la plupart bien plus ouverts que ceux qui parlent aujourd’hui en leur nom ! Par ailleurs, les religions n’échappent pas à la règle : le changement insécurise. Regardez Marc Lépine, l’auteur du massacre de Polytechnique : devant des femmes qui voulaient devenir ingénieures, il a réagi de façon fondamentaliste. En fait, la fermeture des religions face aux femmes résulte avant tout d’un blocage.

E.B. : Oui. La réforme du judaïsme qui a eu lieu au 18e siècle a notamment porté sur cette quête d’égalité entre les deux sexes. Encore aujourd’hui, il existe au sein de notre religion des familles plus libérales et d’autres plus conservatrices. Les juifs orthodoxes, par exemple, sont plus discriminatoires envers les femmes. Au Québec, la mouvance est en général plus conservatrice. Mais en Ontario, il y a de plus en plus de femmes rabbins. Aux États-Unis, elles ont même franchi la barre des 50 %. Et maintenant, nos voisins du sud cherchent à recruter plus d’hommes comme rabbins !

R.R. : Grande question. Oui, les deux sont conciliables. Le problème vient des dirigeants religieux : ce sont eux qui sont irréconciliables avec les droits des femmes, et non les religions ! Pape, imams, rabbins, les hommes font tout pour conserver le pouvoir et les privilèges qui l’accompagnent. À la fois par égoïsme et par insécurité. Vous savez, la première femme de l’islam, Khadija, l’épouse du prophète, était une entrepreneure et une leader reconnue. Mais on se garde bien de l’ébruiter. À l’époque, les femmes étaient présentes dans toutes les sphères de la société. Ces acquis se sont perdus au cours des siècles avec la montée du patriarcat. En réclamant nos droits et en tablant sur l’éducation, on remontera la pente. Je ne prêche pas ici le féminisme radical : sans mon mari et mes fils, qui m’épaulent dans tous mes projets, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. L’idée n’est pas de tasser les hommes, mais de travailler avec eux.

En quoi le fait d’avoir des femmes prêtres, imams ou rabbins peut-il être bon pour les femmes des communautés religieuses ?

M.B.-C. : Cela les aidera à se sentir soutenues dans toutes les questions que les hommes religieux semblent avoir de la difficulté à aborder : la reproduction, l’homosexualité, la violence sous toutes ses formes… Des femmes leaders apporteront un éclairage autre. Et même une nouvelle façon de percevoir notre propre spiritualité. Je l’ai personnellement expérimenté en entendant une prêtre d’une religion chrétienne parler de sa perception de Dieu. Du seul fait qu’elle était non seulement une femme, mais une femme ordonnée, sa parole a pris un tout nouveau sens pour moi. Avoir des leaders féminines à des postes clés serait indiscutablement un avantage. À condition bien sûr de ne pas reproduire bêtement les façons de faire masculines !

E.B. : Parfois, il est plus facile de parler de certaines choses avec une autre femme. L’exemple est boiteux, mais beaucoup d’entre nous préfèrent aller voir une femme gynécologue plutôt qu’un homme. Nous nous sentons mieux comprises, et c’est normal.

R.R. : Les imams sont des leaders dans la communauté. Si des femmes occupaient cette fonction, elles pourraient certainement aider les jeunes filles à accéder davantage à l’éducation, clé de la liberté. Ce serait un apport majeur. Les hommes imams interprètent les textes sacrés… comme des hommes. Une interprétation féminine serait la bienvenue. Nous pourrons en juger sous peu : il y a déjà une imam à Washington et d’autres sont en formation. C’est une lourde responsabilité. Il faut maîtriser des notions de foi, de jurisprudence, etc. Actuellement, les imams ne sont pas toujours très éduqués et certains n’ont qu’une connaissance minimale des Écritures sacrées.

Si vous étiez une figure d’autorité dans votre religion, que changeriez-vous en premier ?

M.B.-C. : J’abolirais le concept d’autorité suprême ! Je créerais un environnement où tous pourraient participer et mettre en commun leurs talents. Surtout, je n’aurais pas la prétention de posséder le Savoir. Je consulterais systématiquement des spécialistes sur les questions délicates. Personne n’a la vérité infuse. Si un jour j’accède à un haut poste dans l’Église, s’il vous plaît, rappelez-moi à l’ordre si je déroge !

E.B. : Je me méfie des changements draconiens. Je suis née en Russie, qui en a connu plusieurs : cela n’a mené nulle part. Il faut laisser la vie nous indiquer les changements à effectuer, puis les faire ensuite, peu à peu, sans brusquer personne. Je me contente d’espérer que le progrès est possible. Et qu’il adviendra.

R.R. : Il me faudrait non seulement un haut poste, mais de l’argent pour réaliser mon vœu. Je rêve depuis longtemps d’une mosquée gérée par et pour des femmes. Une mosquée où elles se sentiraient chez elles et en sécurité. Je pourrais notamment y faire profiter les plus jeunes de mon savoir sur les Écritures qui, comme je l’ai dit, sont beaucoup plus égalitaires que le message dominant le laisse entendre. Attention, les hommes seraient bienvenus dans cette mosquée. En fait, tout le monde pourrait y venir pour discuter, réciter de la poésie, bref, exprimer sa spiritualité à sa manière.

Je terminerais par une citation dont j’ai oublié l’auteur, mais qui résume parfaitement ma pensée : « Quand une musulmane devient leader, on dit d’elle qu’elle est militante. Si elle remplit ce rôle comme on s’y attend d’une femme, on la qualifie de leader inadéquate. Si elle le fait comme on s’y attend d’un leader, cette fois on la perçoit comme une femme inadéquate. »

Y a-t-il quelque chose à ajouter ?