Aller directement au contenu

Marie de l’incarnation. Maîtresse de sa destinée

Elle fut à la fois mère et religieuse cloîtrée, administratrice et épistolière, aventurière et éducatrice. Le destin de Marie de l’Incarnation ne ressemble à aucun autre.

Date de publication :

Auteur路e :

Elle fut à la fois mère et religieuse cloîtrée, administratrice et épistolière, aventurière et éducatrice. Le destin de Marie de l’Incarnation ne ressemble à aucun autre.

Née en à Tours, en France, Marie Guyart est attirée par les choses mystiques dès l’enfance. Enivrée par le silence des églises, elle ne peut s’empêcher de suivre des yeux les religieux et religieuses qui passent dans la rue. Mais quand, à 14 ans, elle annonce à ses parents qu’elle veut prendre le voile, ils balaient l’idée du revers de la main. Leur fille, d’humeur joyeuse, est faite pour le mariage et la famille, estiment-ils.

Ils la marient donc à 17 ans à un maître ouvrier en soieries. La vie de Marie Guyart s’annonce semblable à celle de toutes les petites Tourangelles de son époque. Personne ne peut imaginer que dans une vingtaine d’années, couverte d’un voile noir, elle traversera l’Atlantique au péril de sa vie. Ni qu’elle établira le premier monastère féminin et la première école de filles dans cette contrée neuve de forêts, de lacs et de neige qu’on appelle Canada.

Deux ans après leur mariage et six mois après la naissance de leur fils unique, l’époux de Marie meurt des suites d’une mauvaise grippe. Au cours des mois qui suivent, la jeune veuve entend de nouveau, et très fort, l’appel du cloître. Pendant 12 ans, elle y fera la sourde oreille pour se consacrer à l’éducation de son petit Claude. Mais à 31 ans, incapable de nier plus longtemps son destin, elle confie son fils à sa sœur et devient mère Marie de l’Incarnation, soulevant la consternation dans son entourage.

Ses écrits personnels montrent que ses premières années chez les Ursulines ont été éprouvantes. Bien qu’elle apprécie la paix du monastère et la proximité avec Dieu, elle brûle de culpabilité envers son garçon, qui se désintéresse de l’école, apprend-elle par des proches au parloir. Elle se sent mourir « toute vive » quand le jeune homme vient hanter les abords de son bâtiment en hurlant aux fenêtres : « Rendez-moi ma mère ! » Assignée aux tâches de broderie, Marie broie du noir, met en doute sa foi.

Une nuit, elle voit en rêve un vaste pays de montagnes, de vallées et de brouillard. Elle en est persuadée, c’est la Nouvelle-France, où le bon Dieu veut l’envoyer pour évangéliser les Amérindiens. Depuis quelques années, elle lit avec passion les descriptions exotiques des missionnaires jésuites outre-mer. Avec finesse, elle parvient à convaincre les autorités ecclésiastiques de l’y envoyer pour fonder une école de filles.

Le , avec cinq compagnes religieuses (deux autres ursulines et trois hospitalières), Marie de l’Incarnation monte à bord du Saint-Joseph, direction Nouvelle-France. La foule massée au port de Dieppe pour le départ est à la fois admirative et inquiète pour ces femmes, les premières à s’aventurer sans mari au pays des « sauvages ». Marie de l’Incarnation a alors 39 ans et le plus important chapitre de sa vie s’amorce.

La traversée de l’Atlantique est parsemée d’obstacles ; elle dure trois mois au lieu des 60 jours habituels. Le navire échappe à des pirates espagnols, manque de se fracasser sur un gigantesque iceberg, traverse des tempêtes terrifiantes. Les religieuses, navigatrices inexpérimentées, souffrent de mal de mer ainsi que de maux de tête en raison du manque d’eau à bord. Malgré tout, Marie de l’Incarnation ne doute pas un instant qu’elle se rendra à bon port.

Lorsque Marie et ses compagnes mettent le pied à Québec, le , la ville ne compte que quelques maisons de bois. Elles s’installent dans une mansarde rudimentaire près du port. Elles s’aperçoivent vite qu’on manque de tout en Nouvelle-France, des clous aux boutons, qu’il faut faire venir de France. Le premier hiver, il fait si froid que les religieuses dorment dans des coffres de bois rembourrés. Mais Marie ne se décourage pas. Les défi s sont à la mesure de son énergie.

Dès son arrivée, elle prend en main les destinées de la communauté : elle administre le maigre budget, sollicite par lettres des mécènes français, dessine les plans du futur monastère, cultive un jardin et accueille bientôt les filles des colons français et des Amérindiens pour leur enseigner le français, le calcul, la religion. Les petites Amérindiennes sont les « délices de son cœur ». Elle apprend quatre langues autochtones pour mieux communiquer avec elles et leurs parents.

Marie de l’Incarnation est un esprit libre et une humaniste. Quand Louis XIV, son roi, lui intime l’ordre de faire de ses protégées amérindiennes de parfaites petites Françaises, elle se braque. Ses élèves autochtones sont des « écureuils », plus à l’aise dans les bois que dans une maison française, répond-elle. « Si elles [sont contraintes], elles deviennent mélancoliques. » Elle leur enseigne dehors, sous le feuillage d’un grand frêne. Les petites demeurent à l’école le temps qui leur convient : de quelques jours à quelques mois, comme des « oiseaux passagers ».

Bien qu’elle soit cloîtrée, Marie de l’Incarnation devient une figure centrale de la société de la Nouvelle- France. Sage, intelligente, ambitieuse pour la colonie, elle est la confidente et la conseillère des intendants et des gouverneurs. Elle a des idées sur l’économie, la politique, et est dotée d’un courage qui ne se dément pas. Lorsqu’un incendie rase complètement le monastère en , elle assure sa reconstruction. Quand les Iroquois attaquent, elle ouvre les bras aux réfugiés. À chaque épreuve, elle se demande toutefois s’il ne vaudrait pas mieux rentrer en France. Mais, fortement attachée à son nouveau pays, elle reste.

La nuit, la femme d’action dort à peine. À la lueur de la chandelle, elle fait ses comptes et écrit. Des dictionnaires algonquins et iroquois, mais surtout des lettres, plusieurs milliers de lettres qui forment une véritable chronique de la vie en Nouvelle-France. Plusieurs d’entre elles s’adressent à son fils, devenu moine bénédictin en France. Leur relation épistolaire durera jusqu’à la mort de Marie en , à Québec. Claude, qui ne l’a jamais revue depuis qu’elle a quitté l’Europe, écrira sa première biographie en . Marie de l’Incarnation sera béatifiée en par le pape Jean-Paul II.