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Des lois, des mesures

De l’assurance parentale aux services de garde, en passant par les prestations de compassion et les horaires flexibles…

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De l’assurance parentale aux services de garde, en passant par les prestations de compassion et les horaires flexibles, plusieurs mesures publiques et privées visent à favoriser la conciliation travail-famille. État des lieux. « Le Québec possède des acquis majeurs en matière de conciliation que l’on ne retrouve pas nécessairement ailleurs en Amérique du Nord », affirme le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) dans sa plate-forme sur la conciliation famille-emploi-études, tout en plaidant pour des améliorations et de nouvelles initiatives. L’organisme salue l’existence du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), instauré en janvier 2006 et plus avantageux que son pendant fédéral, ainsi que du réseau des services de garde à contribution réduite, qui a vu le jour en 1997. D’ailleurs, ce dernier a eu une incidence positive sur le taux d’activité des mères québécoises, affirme Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à la Télé-université de l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir. Le taux d’activité des Québécoises de 25 à 44 ans ayant un enfant de moins de 6 ans est passé de 66 % en 1996 à 77 % en 2006, selon des données de Statistique Canada compilées par l’Institut de la statistique du Québec. Le CIAFT souligne aussi l’existence d’une disposition de la Loi sur les normes du travail qui permet de prendre 10 jours de congé par année pour obligations familiales, sans salaire toutefois. Le congé de paternité de trois à cinq semaines non transférable constitue une autre mesure importante, estime pour sa part Francine Descarries, professeure au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directrice universitaire de l’Alliance de recherche IREF/Relais-femmes. « Cela permet au père de développer très rapidement une compétence avec l’enfant, de se rapprocher de la quotidienneté des soins. On peut espérer qu’un meilleur partage des tâches et des responsabilités entre le père et la mère s’ensuivra. » Depuis la mise en place du Régime québécois d’assurance parentale le 1er janvier 2006, la proportion des pères qui prennent un congé de paternité a augmenté de façon importante. En 2006, 56 % des pères québécois admissibles au programme ont pris un congé parental payé, comparativement à 32 % en 2005, révèle une étude de Statistique Canada. Ailleurs au pays, 11 % des pères admissibles à un congé parental payé s’en sont prévalus en 2006. Dans le programme canadien, les parents peuvent se partager les 35 semaines de prestations parentales, mais il n’existe pas de congé de paternité non transférable. Le taux de remplacement du revenu est également moins élevé que dans le RQAP. D’autres mesures gouvernementales facilitent la conciliation travail-famille, comme les prestations de compassion, créées par le gouvernement fédéral pour permettre aux gens de prendre soin d’un membre de leur famille gravement malade, et le programme québécois d’exonération financière pour les services d’aide domestique. Le gouvernement du Québec offre également un soutien financier et technique aux municipalités et aux municipalités régionales de comté (MRC) pour l’élaboration ou la mise à jour d’une politique familiale. À compter de cet automne, il financera aussi des projets d’organismes sans but lucratif en matière de conciliation travail-famille. Il a également annoncé l’élaboration, d’ici la fin de l’année 2009, d’une norme dans ce domaine, pour reconnaître les bonnes pratiques d’entreprises ou d’organisations. Le Bureau de normalisation du Québec pilote actuellement les travaux. Lors du lancement, en décembre 2006, de la politique Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait et du dévoilement du plan d’action 2007-2010 qui l’accompagne, le gouvernement du Québec a par ailleurs indiqué qu’il avait l’intention d’offrir un « soutien financier et technique aux entreprises ainsi qu’aux associations patronales et syndicales » pour la promotion et l’implantation de mesures de conciliation travail-famille.

Du côté des entreprises

Si le gouvernement fait bonne figure en Amérique du Nord en matière de conciliation travail-famille, « ce qui manque actuellement, ce sont des mesures en entreprise », soutient la directrice du Service de la condition féminine de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ ) et membre du Conseil du statut de la femme, Carole Gingras. « De ce côté-là, je ne dirais pas que tout est à faire, mais il reste beaucoup à faire. » Les mesures existantes sont fréquemment éparpillées et leur application est inégale, estime Mme Gingras. « C’est souvent du cas par cas », affirme-t-elle, ajoutant qu’elles ont tendance à être davantage destinées aux hauts salariés et qu’elles ne sont pas forcément adaptées aux besoins des gens. Diane-Gabrielle Tremblay constate pour sa part que les horaires de travail sont souvent rigides. Même si davantage de mesures de conciliation existent sur papier dans le secteur public et les grandes entreprises que dans les petites entreprises, il faut aussi s’interroger sur leur application, mentionne-t-elle. « Même si théoriquement, l’individu a accès à une mesure, dans certains milieux de travail, le supérieur immédiat peut lui faire comprendre que ce ne serait pas apprécié et que cela aurait pour effet de reporter le travail sur les autres. » Une étude qu’elle a pilotée a démontré que la souplesse ou la rigidité du supérieur immédiat était un facteur déterminant dans l’application des mesures. Dans les petites et les moyennes entreprises, il existe généralement moins d’aide formelle que dans les grandes, mais le patron est parfois plus flexible. Selon Sylvie St-Onge, professeure au Service de l’enseignement du management à l’École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal, le regard posé sur les mesures de conciliation travail-famille dans les entreprises a changé depuis le milieu des années 1990. « En 1994-1995, dans les colloques, certains se demandaient s’il serait payant d’instaurer de telles mesures, voire si elles nuiraient à la compétitivité des entreprises. Aujourd’hui, le discours consiste plutôt à dire que les entreprises n’ont plus le choix, en particulier dans un contexte de rareté de personnel, où il faut attirer et retenir les employés », explique-t-elle. La présence de mesures de conciliation varie selon le type d’entreprise. « Souvent, les entreprises de grande taille, dans une bonne situation financière et qui embauchent des gens qui constituent une rareté sur le marché du travail offrent davantage de mesures de conciliation travail-famille formelles que les autres », révèle Sylvie St-Onge. Dans les milieux de travail où les employés sont moins qualifiés et plus facilement remplaçables, comme le commerce de détail ou l’industrie manufacturière, les mesures de conciliation se font plus rares, poursuit-elle. L’obtention d’accommodements dépend alors beaucoup de la bonne volonté du supérieur, indique Diane- Gabrielle Tremblay. Parmi les mesures qui permettent de mieux concilier responsabilités familiales et professionnelles figurent la flexibilité de l’horaire de travail, la possibilité d’effectuer une partie des tâches à domicile et la bonification des congés légaux pour motifs familiaux.

Place à l’amélioration

Pour Carole Gingras, les mesures incitatives ne sont pas suffisantes. L’idéal serait selon elle d’adopter une loi-cadre sur la conciliation travail-famille. Elle souhaiterait tout au moins l’adoption d’une politique à cet effet, s’accompagnant d’un cadre stratégique, d’objectifs à atteindre dans les milieux de travail et d’un échéancier. Elle jugerait important que les travailleurs et les travailleuses prennent part à cet exercice. Le CIAFT, lui, recommande notamment d’augmenter le nombre de places dans les services de garde. L’organisme souhaite aussi que des modifications soient apportées à la Loi sur les normes du travail pour que, par exemple, les employés connaissent leur horaire de travail au moins une semaine à l’avance, qu’ils puissent refuser de faire plus d’une heure supplémentaire par jour et que 5 des 10 journées de congé pour obligations familiales soient rémunérées, indique Stéphanie Tourangeau, responsable des dossiers équité salariale et conciliation travail-famille-études au CIAFT. Pour sa part, Francine Descarries croit que l’instauration de davantage de services d’aide aux devoirs serait appropriée. L’effet différencié des mesures sur les hommes et sur les femmes devrait aussi être examiné. La réduction du temps de travail des femmes pourrait diminuer leurs revenus et leur faire davantage porter la responsabilité des tâches domestiques. « Il faudrait rendre les mesures d’articulation famille-travail plus attrayantes pour les pères, pour qu’ils y aient davantage recours, et s’assurer qu’elles ne renforcent pas les conditions systémiques défavorables pour les femmes », estime Mme Descarries. Un dossier à suivre.