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8 mars 2007

Dépassé, le 8 mars ? Oh ! que non, répondent sept personnalités québécoises. « Mais, qui sait, on célébrera peut-être un jour la grande victoire du rapprochement des femmes et des hommes », lance l’anthropologue Bernard Arcand.

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Dépassé, le 8 mars ? Oh ! que non, répondent sept personnalités québécoises. « Mais, qui sait, on célébrera peut-être un jour la grande victoire du rapprochement des femmes et des hommes », lance l’anthropologue Bernard Arcand.

D’ici là, il reste beaucoup de pain sur la planche pour que l’égalité entre les sexes devienne réalité. La Journée internationale des femmes est l’occasion de le rappeler, nous disent Céline Galipeau, Marc Béland, DobaCaracol, Ousmane Traoré, Micheline Lachance et Bernard Arcand.

Céline Galipeau est chef d’antenne du Téléjournal-Le Point, la fin de semaine, à Radio-Canada. De 1992 à 2003, elle a été correspondante à Londres, Moscou, Paris et Pékin. Elle a couvert la guerre civile en Somalie, l’Irak sous Saddam Hussein, le conflit en Tchétchénie et la situation en Afghanistan depuis la chute des talibans.

« Pour encore trop de femmes dans le monde, le plus grand défi est de vivre. Dans certaines parties de la Chine et de l’Inde, naître fille est une malédiction. Au point où on préfère tuer les enfants de sexe féminin avant la naissance, ou peu après. On les appelle les femmes manquantes; elles n’ont ni visage, ni nom, ni sépulture… Ailleurs dans le monde, il y a des femmes qui ont le droit de naître, mais qui grandissent dans la violence, privées d’éducation et de soins, battues, violées, brûlées, vendues à 12, 13 ans à des hommes plus vieux. Je pense entre autres à Mina, une jeune femme que j’ai rencontrée en Afghanistan, qui a tenté de se suicider par le feu après avoir été violée par son fiancé.

La solution à tous ces problèmes ? C’est l’éducation, je crois. La tâche est colossale, car ce sont des mentalités vieilles de plusieurs siècles qu’il faut changer. Pour des milliers de femmes sur la planète, le 8 mars sera une journée comme les autres, faite d’injustices et de souffrances. Moi, ce jour-là, je penserai à elles. »

Marc Béland, comédien et danseur. Après avoir délaissé brièvement les planches de 1984 à 1989 pour se joindre à la troupe La La La Human Steps, il a joué dans maintes productions théâtrales et séries télévisées. On peut le voir au cinéma dans Guide de la petite vengeance.

« Le 8 mars, c’est une date qui rappelle qu’il y a encore du travail à faire. En ce sens, ce n’est pas une journée particulièrement réjouissante. D’autant plus que c’est une journée qui n’est célébrée que par les femmes, que les hommes passent sous silence. À mon sens, il convient moins de se demander quelles seront les prochaines luttes des femmes que ce que les hommes devraient encore faire pour améliorer notre sort commun. Les hommes sont restés interloqués pendant que les femmes luttaient pour améliorer leur condition.

Même si j’estime être un homme ouvert et intelligent, je pense qu’il y a encore des comportements inscrits en nous — presque génétiquement — que l’on doit changer pour le bien de tous. L’un de ceux-là est notre malaise par rapport à l’intimité, à la vie privée. Nous refusons encore d’accepter notre vulnérabilité. L’autre consiste à vouloir exercer un contrôle sur le ventre des femmes. Je pense à ces femmes violées au Rwanda, en ex-Yougoslavie, dont le ventre devient un lieu de guerre. Je pense à l’industrie de la génétique qui tente de ravir aux femmes le privilège de la maternité, qui a toujours échappé aux hommes. Si on réussit à briser tout ça, le changement sera plus profond que celui apporté par les gains en matière d’équité salariale — une cause juste, mais somme toute plus symbolique.

Carole Facal et Doriane Fabreg, chanteuses et percussionnistes du groupe DobaCaracol. Avec les chansons ensoleillées de leur album Soley, elles font danser les foules partout sur la planète.

Doriane Fabreg

« Le 8 mars, c’est une belle occasion de fêter, de rendre hommage aux femmes qui ont pavé la route pour nous. On n’y pense pas toujours, mais notre génération récolte les fruits des luttes féministes menées dans le passé. Je crois aussi que dans l’avenir, il faudra faire plus de place aux qualités “féminines” que sont la compassion, la sympathie, l’amour. Les femmes ont peut-être cela à apprendre à l’humanité, pour qu’on vive des temps un peu plus doux. »

Carole Facal

« Un jour, nous sommes allées jouer au Caire, en Égypte. Après le spectacle, des jeunes sont venus nous voir. Ils pleuraient, disaient que nous venions de changer leur vie : c’était la première fois qu’ils voyaient des femmes jouer sur des instruments de percussion et ils réalisaient que c’était possible. En les écoutant, nous avons pleuré nous aussi, prenant conscience de la chance que nous avions de vivre dans un pays où la femme a réussi à prendre sa place. Le défi de l’avenir, c’est de propager la notion d’égalité des sexes partout sur la planète. »

Ousmane Traoré, rappeur et co­fondateur du trio Dubmatique. À contre-courant des clichés de la culture rap, sa chanson « Petite Déesse », tirée de son premier disque solo Sincérité volontaire, dénonce l’hypersexualisation des jeunes filles par les médias.

« Le prochain défi des femmes sera d’imposer leur manière de voir les choses dans tous les grands débats sociaux. Ce sera là leur véritable indépendance et, par la bande, celle des hommes. J’aime à penser que l’équilibre entre l’homme et la femme dans une famille pourra être reproduit à l’échelle de la société. La vie est beaucoup plus facile pour tout le monde — y compris l’homme — quand le père et la mère se consultent, s’épaulent, prennent les décisions ensemble. La femme devrait pouvoir exercer dans la sphère publique le pouvoir qu’elle partage avec l’homme dans le privé. C’est la clé si on veut supprimer la violence et la guerre comme modes de résolution des conflits, ou détourner les hommes de leur insatiable quête de performance.

L’élection de Nancy Pelosi à la présidence du Congrès américain et celle, que je souhaite, de Ségolène Royal à la tête de la République française, voilà peut-être ce qui peut arriver de mieux au monde. “Moi je pense que le monde sera meilleur/Quand il sera dirigé par une fille en tailleur”. Je ne fais pas que le chanter : je le crois sincèrement. C’est ce que je dis à mes deux filles, en leur rappelant que d’autres avant elles se sont battues pour leur donner accès à l’éducation, le droit de vote et l’avancement professionnel. Fêter le 8 mars reste donc nécessaire, ne serait-ce que pour se rappeler qu’il y a peu, les femmes étaient confinées à la maison. »

Micheline Lachance, journaliste et écrivaine. Passionnée d’histoire, elle est l’auteure du Roman de Julie Papineau et de Lady Cartier.

« Fête et mémoire sont intimement liées. Le 8 mars est l’occasion de se souvenir de nos bons coups. Parmi eux, les avancées en matière d’équité salariale. Cette lutte est une belle histoire de solidarité féminine, entre des femmes d’allégeances politiques différentes. Il y en a eu d’autres : la lutte pour le droit à l’avortement, pour les garderies… Mais depuis la marche Du pain et des roses, nous sommes un peu endormies.

Quand je pense à la longue lutte des suffragettes pour obtenir le droit de vote, je me sens une responsabilité pour la suite des choses. Il me revient à l’esprit ce cri du cœur de Julie Papineau, dans une lettre à Louis-Joseph : « Il n’y a que la politique qui m’intéresse ! » Je les imagine, elle et ses consœurs des générations passées, nous enviant de pouvoir débattre nos idées sur la place publique. Les outils pour changer le monde leur faisaient défaut. Nous, nous n’avons pas cette excuse.

Je souhaite que les femmes occupent davantage l’arène politique. L’occasion est belle, avec les deux élections qui se dessinent. C’est avec des politiciennes à Québec et à Ottawa que nous pourrons mettre à l’avant-plan nos valeurs, telle l’importance de la conciliation travail-famille. »

Bernard Arcand, anthropologue récemment retraité de l’Université Laval, où il enseignait depuis 1976. Fin observateur des comportements humains, il a notamment écrit Le Jaguar et le Tamanoir, un essai sur la pornographie qui a été couronné du Prix du Gouverneur général en 1991.

« Le grand défi à relever consiste à essayer de dépasser la logique sexiste du simple rapport entre les hommes et les femmes. Il faut faire en sorte que la femme ne soit plus considérée comme le contraire de l’homme, que le fait d’être une femme ne signifie plus rien socialement. C’est la raison pour laquelle les femmes ont souffert depuis la nuit des temps. Quand on aura réglé ça, c’est toute l’humanité qui en bénéficiera.

D’ici là, il faut continuer à célébrer le 8 mars. On ne fête jamais trop ! Le calendrier romain comportait 200 jours de fête ! Mais je peux comprendre que la ferveur féministe se soit éteinte après que les femmes eurent mené, au cours du dernier siècle, des luttes visant à réparer des injustices inacceptables. Pour redonner du lustre à cette journée, peut-être conviendrait-il de lui attribuer un nouveau thème chaque année. Qui sait, on célébrera peut-être un jour la grande victoire du rapprochement des femmes et des hommes ? »