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Micheline, Camille et le féminisme

Rompue aux ouvrages universitaires, l’historienne des femmes Micheline Dumont vient de terminer son premier livre « grand public », Le féminisme québécois raconté à Camille.

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Rompue aux ouvrages universitaires, l’historienne des femmes Micheline Dumont vient de terminer son premier livre « grand public », Le féminisme québécois raconté à Camille. Sans vouloir devenir la « maman Fonfon » du féminisme, l’ex-professeure à l’Université de Sherbrooke et coauteure de L’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles souhaite offrir un récit simple et accessible de cette épopée extraordinaire qui a mis les femmes en marche à la fin du 19e siècle.

Micheline Dumont raconte le rapport des premières féministes avec l’Église catholique, la longue lutte pour le droit de vote, la bataille pour le droit à l’avortement, l’épisode des « Yvettes » au référendum de 1980… Ce récit passionnant, elle l’offre à sa petite fille de 15 ans, Camille Johnson, née dans un monde où les filles ont, à peu de chose près, les mêmes chances que les garçons. Elle l’offre aussi à toutes les Québécoises qui veulent se rappeler d’où elles viennent. Nous avons rencontré Micheline Dumont et Camille Johnson sur un banc de parc, dans la roseraie du Jardin botanique de Montréal. Entretien croisé sur le féminisme, mot qui a toujours fait peur.

Mme Dumont, comment vous est venue l’idée de ce projet ?

Quand j’ai eu terminé, avec Louise Toupin, La Pensée féministe au Québec (Éditions du remue-ménage, 2003), qui était une anthologie de textes féministes, j’ai reçu beaucoup de commentaires. Les gens me disaient : « On aimerait lire un récit de l’histoire du féminisme, des débuts jusqu’à maintenant. » Je me suis aperçue qu’en effet, bien des gens ignorent cette histoire. Ils pensent qu’ils la connaissent parce qu’ils ont vaguement entendu parler des suffragettes, mais ils ne la connaissent pas ! C’est le cas des jeunes en particulier. Et même de beaucoup de femmes qui œuvrent dans des groupes de femmes. Je me suis dit que j’allais essayer de faire un récit simple, exempt de concepts compliqués et d’analyse idéologique. Et j’ai pensé l’adresser à Camille, qui est née en 1993, un siècle après la fondation du Conseil national des femmes du Canada. Je l’ai appelée et je lui ai demandé : « Accepterais-tu de le lire avant tout le monde et de m’indiquer les passages difficiles à comprendre ? » Elle a dit oui.

Camille, que connaissais-tu du féminisme avant de lire le livre ?

Ma grand-mère, ma mère — et mon père aussi — sont féministes. On m’a transmis ces valeurs-là depuis que je suis petite. Je me suis toujours dit que j’étais féministe. Quand j’entends un commentaire sexiste à l’école, je réplique. Mais je ne connaissais pas grand chose de l’histoire du féminisme. Je connaissais les grands noms : Marie Gérin-Lajoie, Thérèse Casgrain… Le livre m’a fait réaliser que pour arriver où nous sommes aujourd’hui, il a fallu que nous travaillions fort ! Il n’y a pas si longtemps, une femme ne pouvait rien faire sans la permission de son mari, même pas s’acheter une jupe !

Mme Dumont, vous avez déjà dit avoir mis beaucoup de temps à vous dire féministe, ce qui peut paraître surprenant !

C’est vrai. J’étais un peu comme les jeunes d’aujourd’hui. J’ai eu le privilège de faire des études universitaires à la fin des années 1950, alors que très peu de femmes en faisaient. Je me disais : « Les portes sont ouvertes; si tu veux faire quelque chose, tu te grouilles et tu le fais ! » Les affaires de bonnes femmes, ça ne m’intéressait pas ! J’avais des amies qui étaient parmi les fondatrices de la Fédération des femmes du Québec et je me disais : « Qu’est-ce qui leur prend ? » Puis est venu le mouvement des féministes radicales. Un jour, de passage à Montréal, je me suis arrêtée dans une librairie et j’ai acheté Ainsi soit-elle de Benoîte Groult, parce que tout le monde en parlait. Je suis montée dans l’autobus pour Sherbrooke et j’ai commencé à le lire. En arrivant à destination, j’étais devenue féministe. Ça a été aussi simple que ça. Cependant, autour de moi, beaucoup de femmes hésitaient à se dire féministes. C’est un mot qui a toujours fait peur au monde. Pourtant…

Camille, qu’est-ce qui t’a marquée ou étonnée le plus dans le livre ?

Ce sont surtout les années 1970 et 1980, où il se passe beaucoup de choses ! Tout arrive en même temps : la bataille pour l’avortement, le référendum… Les femmes sont très pré sentes, elles essaient de prendre leur place, elles font des manifs, elles disent : « Il faut que l’on nous prenne au sérieux ! On veut vraiment l’égalité, ce n’est pas une blague ! » Elles inventent des slogans comme : « Pas de libération du Québec sans libération des femmes; pas de libération des femmes sans libération du Québec ! » Elles s’intéressent beaucoup aux questions politiques. Et ça ne fait pas si longtemps qu’elles ont le droit de vote !

Aujourd’hui, sens-tu que les filles et les garçons sont parfaitement égaux ?

Égaux, oui, mais on n’a pas toujours les mêmes idées. Certains garçons de mon âge se sentent concernés par l’égalité des sexes; d’autres, pas du tout. N’empêche, je suis très contente de vivre à mon époque. Ce n’est pas parfait, on n’a pas encore l’égalité salariale dans tous les domaines mais, franchement, il y a eu de grandes améliorations. Si j’avais vécu il y a 100 ans, je n’irais pas à l’école, je serais chez moi en train de faire du ménage avec ma mère (rires) !

Mme Dumont, quel est votre objectif avec ce livre ?

Je souhaite atteindre le plus grand nombre de personnes possible, mettre le féminisme dans la mémoire collective, donner une légitimité au mouvement, le libérer de sa mauvaise réputation ! Ça me fâche que tant de jeunes femmes, aujourd’hui, disent : « Moi, je veux être policière ou moi, je ne veux pas me marier, ou encore moi, je n’accepte pas que mon compagnon agisse de telle façon… mais je ne suis pas féministe. » Au fond, elles sont comme moi il y a 30 ans : féministes sans le savoir. Je voudrais les persuader : « Écoutez, ce n’est pas dangereux. Si plus de femmes se disaient féministes, ça aiderait la cause. »

Êtes-vous optimiste quand vous pensez à l’avenir des filles de la génération de Camille ?

Pour cette génération, je ne sais pas, il y a encore trop d’inconnu. Mais j’ai pleinement confiance dans les filles qui ont 20 ans aujourd’hui. Elles sont très mobilisées, contre le capitalisme, la mondialisation, pour la protection de l’environnement, le pacifisme. À mon avis, un nouveau féminisme va ressortir de tout ce brassage d’idées.